Oeuvres [Document électronique] / Gérard de Nerval ; [textes établis, par Henri Lemaitre,...] Petits châteaux de Bohême Petits châteaux de Bohème A un ami O primavera, gioventù dell' anno, Blla madre di fiori, D'erbe novelle e di novelli amori... Pastor fido. Premier château I. La rue du Doyenné Odelettes Avril Déjà les beaux jours, la poussière, Un ciel d'azur et de lumière, Les murs enflammés, les longs soirs; Et rien de vert: à peine encore Un reflet rougeâtre décore Les grands arbres aux rameaux noirs! Ce beau temps me pèse et m'ennuie. Ce n'est qu'après des jours de pluie Que doit surgir, en un tableau, Le printemps verdissant et rose, Comme une nymphe fraîche éclose, Qui, souriante, sort de l'eau. Fantaisie Il est un air pour qui je donnerais Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber Un air très-vieux, languissant et funèbre, Qui pour moi seul a des charmes secrets Or chaque fois que je viens à l'entendre, De deux cents ans mon âme rajeunit... C'est sous Louis treize; et je crois voir s'étendre Un coteau vert, que le couchant jaunit, Puis un château de brique à coins de pierre, Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs, Ceint de grands parcs, avec une rivière Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs; Puis une dame, à sa haute fenêtre, Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens, Que, dans une autre existence peut-être, J'ai déjà vue... et dont je me souviens! La Grand'mère Voici trois ans qu'est morte ma grand'mère, - La bonne femme! - et, quand on l'enterra, Parents, amis, tout le monde pleura D'une douleur bien vraie et bien amère. Moi seul j'errais dans la maison, surpris Plus que chagrin; et, comme j'étais proche De son cercueil, - quelqu'un me fit reproche De voir cela sans larmes et sans cris. Douleur bruyante est bien vite passée: Depuis trois ans, d'autres émotions, Des biens, des maux, - des révolutions, - Ont dans les coeurs sa mémoire effacée. Moi seul j'y songe, et la pleure souvent; Depuis trois ans, par le temps prenant force Ainsi qu'un nom gravé dans une écorce, Son souvenir se creuse plus avant! La Cousine L'hiver a ses plaisirs; et souvent, le dimanche, Quand un peu de soleil jaunit la terre blanche, Avec une cousine on sort se promener... - Et ne vous faites pas attendre pour dîner, Dit la mère. Et quand on a bien, aux Tuileries, Vu sous les arbres noirs les toilettes fleuries, La jeune fille a froid... et vous fait observer Que le brouillard du soir commence à se lever. Et l'on revient, parlant du beau jour qu'on regrette, Qui s'est passé si vite... et de flamme discrète: Et l'on sent en rentrant, avec grand appétit, Du bas de l'escalier, - le dindon qui rôtit. Pensée de Byron Par mon amour et ma constance, J'avais cru fléchir ta rigueur, Et le souffle de l'espérance Avait pénétré dans mon coeur; Mais le temps, qu'en vain je prolonge, M'a découvert la vérité, L'espérance a fui comme un songe, Et mon amour seul m'est resté! Il est resté comme un abîme Entre ma vie et le bonheur, Comme un mal dont je suis victime, Comme un poids jeté sur mon coeur! Dans le chagrin qui me dévore, Je vois mes beaux jours s'envoler; Si mon oeil étincelle encore, C'est qu'une larme en va couler! Gaieté Petit piqueton de Mareuil, Plus clairet qu'un vin d'Argenteuil, Que ta saveur est souveraine! Les Romains ne t'ont pas compris Lorsqu'habitant l'ancien Paris Ils te préféraient le Surène. Ta liqueur rose, ô joli vin! Semble faite du sang divin De quelque nymphe bocagère; Tu perles au bord désiré D'un verre à côtes, coloré Par les teintes de la fougère. Tu me guéris pendant l'été De la soif qu'un vin plus vanté M'avait laissé depuis la veille; Ton goût suret, mais doux aussi, Happant mon palais épaissi, Me rafraîchit quand je m'éveille. Eh quoi! si gai dès le matin, Je foule d'un pied incertain Le sentier où verdit ton pampre!... - Et je n'ai pas de Richelet Pour finir ce docte couplet... Et trouver une rime en ampre. Politique (1831) Dans Sainte-Pélagie, Sous ce règne élargie, Où, rêveur et pensif , Je vis captif, Pas une herbe ne pousse Et pas un brin de mousse Le long des murs grillés Et frais taillés! Oiseau qui fends l'espace... Et toi, brise, qui passe Sur l'étroit horizon De la prison, Dans votre vol superbe, Apportez-moi quelque herbe, Quelque gramen, mouvant Sa tête au vent! Qu'à mes pieds tourbillonne Une feuille d'automne Peinte de cent couleurs Comme les fleurs! Pour que mon âme triste Sache encor qu'il existe Une nature, un Dieu Dehors ce lieu, Faites-moi cette joie Qu'un instant je revoie Quelque chose de vert Avant l'hiver! Les Papillons I Le papillon, fleur sans tige, Qui voltige, Que l'on cueille en un réseau; Dans la nature infinie, Harmonie Entre la plante et l'oiseau! Quand revient l'été superbe, Je m'en vais au bois tout seul: Je m'étends dans la grande herbe, Perdu dans ce vert linceul. Sur ma tête renversée, Là, chacun d'eux à son tour, Passe comme une pensée De poésie ou d'amour! Voici le papillon Faune, Noir et jaune; Voici le Mars azuré, Agitant des étincelles Sur ses ailes D'un velours riche et moiré. Voici le Vulcain rapide, Qui vole comme un oiseau: Son aile noire et splendide Porte un grand ruban ponceau. Dieux! le Soufré, dans l'espace, Comme un éclair a relui... Mais le joyeux Nacré passe, Et je ne vois plus que lui! II Comme un éventail de soie, Il déploie Son manteau semé d'argent; Et sa robe bigarrée Est dorée D'un or verdâtre et changeant. Voici le Machaon-Zèbre, De fauve et de noir rayé; Le Deuil, en habit funèbre, Et le Miroir bleu strié; Voici l'Argus, feuille-morte, Le Morio, le Grand-Bleu, Et le Paon-de-Jour qui porte Sur chaque aile un oeil de feu! Mais le soir brunit nos plaines; Les Phalènes Prennent leur essor bruyant, Et les Sphinx aux couleurs sombres, Dans les ombres Voltigent en tournoyant. C'est le Grand-Paon à l'oeil rose Dessiné sur un fond gris, Qui ne vole qu'à nuit close, Comme les chauves-souris; Le Bombice du troène, Rayé de jaune et de vert, Et le Papillon du chêne Qui ne meurt pas en hiver! III Malheur, papillons que j'aime, Doux emblème, A vous pour votre beauté!... Un doigt, de votre corsage, Au passage, Froisse, hélas! le velouté!... Une toute jeune fille Au coeur tendre, au doux souris, Perçant vos coeurs d'une aiguille, Vous contemple, l'oeil surpris Et vos pattes sont coupées Par l'ongle blanc qui les mord, Et vos antennes crispées Dans les douleurs de la mort!... Le Point noir Quiconque a regardé le soleil fixement Croit voir devant ses yeux voler obstinément Autour de lui, dans l'air, une tache livide. Ainsi, tout jeune encore et plus audacieux, Sur la gloire un instant j'osai fixer les yeux: Un point noir est resté dans mon regard avide Depuis, mêlée à tout comme un signe de deuil, Partout, sur quelque endroit que s'arrête mon oeil, Je la vois se poser aussi, la tache noire! Quoi, toujours? Entre moi sans cesse et le bonheur! Oh! c'est que l'aigle seul - malheur à nous, malheur! - Contemple impunément le Soleil et la Gloire. Ni bonjour ni bonsoir Sur un air grec Le matin n'est plus! le soir pas encore! Pourtant de nos yeux l'éclair a pâli. Mais le soir vermeil ressemble à l'aurore, Et la nuit plus tard amène l'oubli! Les Cydalises Où sont nos amoureuses? Elles sont au tombeau: Elles sont plus heureuses, Dans un séjour plus beau! Elles sont près des anges, Dans le fond du ciel bleu, Et chantent les louanges De la mère de Dieu! O blanche fiancée! O jeune vierge en fleur! Amante délaissée, Que flétrit la douleur! L'éternité profonde Souriait dans vos yeux... Flambeaux éteints du monde Rallumez-vous aux cieux! Second château Corilla, joint en 1854 aux Filles du Feu, où nous le publions.] Troisième château Château de cartes, château de Bohême, château en Espagne deux groupes de poésies: I. Mysticisme. Le Christ aux Oliviers, Daphné, Vers Dorés, (repris dans les Chimères en 1854 et que nous publions à cette place avec les autres sonnets du même groupe). II. Lyrisme. et, dans le texte de L'Artiste, 1852, des Vers d'Opéra, qu'on trouvera dans notre section: En marge des Petits Châteaux.] Lyrisme Espagne Mon doux pays des Espagnes, Qui voudrait fuir ton beau ciel, Tes cités et tes montagnes, Et ton printemps éternel? Ton air pur qui nous enivre, Tes jours moins beaux que tes nuits, Tes champs, où Dieu voudrait vivre S'il quittait son paradis? Autrefois, ta souveraine, L'Arabie, en te fuyant, Laissa sur ton front de reine Sa couronne d'Orient! Un écho redit encore A ton rivage enchanté L'antique refrain du Maure: Gloire, amour et Liberté! Choeur d'amour Ici l'on passe Des jours enchantés! L'ennui s'efface Aux coeurs attristés Comme la trace Des flots agités. Heure frivole Et qu'il faut saisir, Passion folle Qui n'est qu'un désir, Et qui s'envole Après le plaisir! Chanson gothique Belle épousée, J'aime tes pleurs! C'est la rosée Qui sied aux fleurs. Les belles choses N'ont qu'un printemps, Semons de roses Les pas du Temps! Soit brune ou blonde, Faut-il choisir? Le Dieu du monde, C'est le Plaisir. La Sérénade (imitée d'Uhland) - Oh! quel doux chant m'éveille? - Près de ton lit je veille, Ma fille! et n'entends rien... Rendors-toi, c'est chimère! - J'entends dehors, ma mère, Un choeur aérien!... - Ta fièvre va renaître. - Ces chants de la fenêtre Semblent s'être approchés. Dors, pauvre enfant malade, Qui rêves sérénade... Les galants sont couchés! - Les hommes! que m'importe? Un nuage m'emporte... Adieu le monde, adieu! Mère, ces sons étranges C'est le concert des anges Qui m'appellent à Dieu! (Musique du prince Poniatowski.) En marge des petits châteaux de Bohême Autres odelettes Nobles et valets Ces nobles d'autrefois dont parlent les romans, Ces preux à fronts de boeuf, à figures dantesques, Dont les corps charpentés d'ossements gigantesques Semblaient avoir au sol racine et fondements; S'ils revenaient au monde, et qu'il leur prît l'idée De voir les héritiers de leurs noms immortels, Race de Laridons, encombrant les hôtels Des ministres, - rampante, avide et dégradée; Etres grêles, à buses, plastrons et faux mollets: - Certes ils comprendraient alors, ces nobles hommes, Que, depuis les vieux temps, au sang des gentilshommes Leurs filles ont mêlé bien du sang de valets! Le réveil en voiture Voici ce que je vis: - Les arbres sur ma route Fuyaient mêlés, ainsi qu'une armée en déroute; Et sous moi, comme ému par les vents soulevés, Le sol roulait des flots de glèbe et de pavés. Des clochers conduisaient parmi les plaines vertes Leurs hameaux aux maisons de plâtre, recouvertes En tuiles, qui trottaient ainsi que des troupeaux De moutons blancs, marqués en rouge sur le dos. Et les monts enivrés chancelaient: la rivière Comme un serpent boa, sur la vallée entière Etendu, s'élançait pour les entortiller... - J'étais en poste, moi, venant de m'éveiller! Le Relais En voyage, on s'arrête, on descend de voiture; Puis entre deux maisons on passe à l'aventure, Des chevaux, de la route et des fouets étourdi, L'oeil fatigué de voir et le corps engourdi. Et voici tout à coup, silencieuse et verte, Une vallée humide et de lilas couverte, Un ruisseau qui murmure entre les peupliers, - Et la route et le bruit sont bien vite oubliés! On se couche dans l'herbe et l'on s'écoute vivre, De l'odeur du foin vert à loisir on s'enivre, Et sans penser à rien on regarde les cieux... Hélas! une voix crie: "En voiture, messieurs!" Une allée du Luxembourg Elle a passé, la jeune fille Vive et preste comme un oiseau A la main une fleur qui brille, A la bouche un refrain nouveau. C'est peut-être la seule au monde Dont le coeur au mien répondrait, Qui venant dans ma nuit profonde D'un seul regard l'éclaircirait! Mais non, - ma jeunesse est finie... Adieu, doux rayon qui m'as lui, - Parfum, jeune fille, harmonie... Le bonheur passait, - il a fui! Notre-Dame de Paris Notre-Dame est bien vieille; on la verra peut-être Enterrer cependant Paris qu'elle a vu naître. Mais, dans quelque mille ans, le temps fera broncher Comme un loup fait un boeuf, cette carcasse lourde, Tordra ses nerfs de fer, et puis d'une dent sourde Rongera tristement ses vieux os de rocher. Bien des hommes de tous les pays de la terre Viendront pour contempler cette ruine austère, Rêveurs, et relisant le livre de Victor... - Alors ils croiront voir la vieille basilique, Toute ainsi qu'elle était puissante et magnifique, Se lever devant eux comme l'ombre d'un mort! Dans les bois Au printemps, l'oiseau naît et chante; N'avez-vous pas oui sa voix?... Elle est pure, simple et touchante, La voix de l'oiseau - dans les bois! L'été, l'oiseau cherche l'oiselle; Il aime, et n'aime qu'une fois. Qu'il est doux, paisible et fidèle, Le nid de l'oiseau - dans les bois! Puis quand vient l'automne brumeuse, Il se tait avant les temps froids. Hélas! qu'elle doit être heureuse La mort de l'oiseau - dans les bois! Vers d'opéra Chant des femmes en Illyrie Pays enchanté, C'est la beauté Qui doit te soumettre à ses chaînes. Là-haut sur ces monts Nous triomphons: L'infidèle est maître des plaines. Chez nous, Son amour jaloux Trouverait des inhumaines... Mais, pour nous conquérir, Que fut-il nous offrir? Un regard, un mot tendre, un soupir!... O soleil riant De l'Orient! Tu fais supporter l'esclavage; Et tes feux vainqueurs Domptent les coeurs, Mais l'amour peut bien davantage. Ses accents Sont tout-puissants Pour enflammer le courage... A qui sait tout oser Qui pourrait refuser Une fleur, un sourire, un baiser? Chant monténégrin C'est l'empereur Napoléon, Un nouveau César, nous dit-on, Qui rassembla ses capitaines: "Allez là-bas jusqu'à ces montagnes hautaines; N'hésitez pas! "Là sont des hommes indomptables, Au coeur de fer, Des rochers noirs et redoutables Comme les abords de l'enfer." Ils ont amené des canons Et des houzards et des dragons. "- Vous marchez tous, ô capitaines! Vers le trépas; Contemplez ces roches hautaines, N'avancez pas! "Car la montagne a des abîmes Pour vos canons; Les rocs détachés de leurs cimes Iront broyer vos escadrons. Monténégro, Dieu te protégé, Et tu seras libre à jamais, Comme la neige De tes sommets!" Choeur souterrain Au fond des ténèbres, Dans ces lieux funèbres, Combattons le sort: Et pour la vengeance, Tous d'intelligence, Préparons la mort. Marchons dans l'ombre; Un voile sombre Couvre les airs: Quand tout sommeille, Celui qui veille Brise ses fers! Le Roi de Thulé Il était un roi de Thulé A qui son amante fidèle Légua, comme souvenir d'elle, Une coupe d'or ciselé. C'était un trésor plein de charmes Où son amour se conservait: A chaque fois qu'il y buvait Ses yeux se remplissaient de larmes. Voyant ses derniers jours venir, Il divisa son héritage Mais il excepta du partage La coupe, son cher souvenir. Il fit à la table royale Asseoir les barons dans sa tour; Debout et rangée alentour, Brillait sa noblesse loyale. Sous le balcon grondait la mer. Le vieux roi se lève en silence, Il boit, - frissonne, et sa main lance La coupe d'or au flot amer! Il la vit tourner dans l'eau noire, La vague en s'ouvrant fit un pli, Le roi pencha son front pâli... Jamais on ne le vit plus boire. Poésies diverses Mélodie (imitée de Thomas Moore) Quand le plaisir brille en tes yeux Pleins de douceur et d'espérance, Quand le charme de l'existence Embellit tes traits gracieux, - Bien souvent alors je soupire En songeant que l'amer chagrin, Aujourd'hui loin de toi peut t'atteindre demain, Et de ta bouche aimable effacer le sourire; Car le Temps, tu le sais, entraîne sur ses pas Les illusions dissipées, Et les yeux refroidis, et les amis ingrats, Et les espérances trompées! Mais crois-moi mon amour! tous ces charmes naissants Que je contemple avec ivresse S'ils s'évanouissaient sous mes bras caressants, Tu conserverais ma tendresse! Si tes attraits étaient flétris, Si tu perdais ton doux sourire, La grâce de tes traits chéris Et tout ce qu'en toi l'on admire, Va, mon coeur n'est pas incertain: De sa sincérité tu pourrais tout attendre. Et mon amour, vainqueur du Temps et du Destin, S'enlacerait à toi, plus ardent et plus tendre! Oui, si tous tes attraits te quittaient aujourd'hui, J'en gémirais pour toi; mais en ce coeur fidèle Je trouverais peut-être une douceur nouvelle, Et, lorsque loin de toi les amants auraient fui, Chassant la jalousie en tourments si féconde, Une plus vive ardeur me viendrait animer! "Elle est donc à moi seul, dirais-je, puisqu'au monde Il ne reste que moi qui puisse encor l'aimer!" Mais qu'osé-je prévoir? tandis que la jeunesse T'entoure d'un éclat, hélas! bien passager, Tu ne peux te fier à toute la tendresse D'un coeur en qui le temps ne pourra rien changer. Tu le connaîtras mieux: s'accroissant d'âge en âge, L'amour constant ressemble à la fleur du soleil, Qui rend à son déclin, le soir, le même hommage Dont elle a, le matin, salué son réveil! Stances élégiaques Ce ruisseau, dont l'onde tremblante Réfléchit la clarté des cieux, Paraît dans sa course brillante Etinceler de mille feux; Tandis qu'au fond du lit paisible, Où, par une pente insensible, Lentement s'écoulent ses flots, Il entraîne une fange impure Qui d'amertume et de souillure Partout empoisonne ses eaux. De même un passager délire, Un éclair rapide et joyeux Entr'ouvre ma bouche au sourire, Et la gaîté brille en mes yeux; Cependant mon âme est de glace, Et rien n'effacera la trace Des malheurs qui m'ont terrassé. En vain passera ma jeunesse, Toujours l'importune tristesse Gonflera, mon coeur oppressé. Car il est un nuage sombre, Un souvenir mouillé de pleurs, Qui m'accable et répand son ombre Sur mes plaisirs et mes douleurs. Dans ma profonde indifférence, De la joie ou de la souffrance L'aiguillon ne peut m'émouvoir; Les biens que le vulgaire envie Peut-être embelliront ma vie, Mais rien ne me rendra l'espoir. Du tronc à demi détachée Par le souffle des noirs autans, Lorsque la branche desséchée Revoit les beaux jours du printemps, Si parfois un rayon mobile, Errant sur sa tête stérile, Vient brillanter ses rameaux nus, Elle sourit à la lumière; Mais la verdure printanière Sur son front ne renaîtra plus. Mélodie irlandaise (imitée de Thomas Moore) Le soleil du matin commençait sa carrière, Je vis près du rivage une barque légère Se bercer mollement sur les flots argentés. Je revins quand la nuit descendait sur la rive: La nacelle était là, mais l'onde fugitive Ne baignait plus ses flancs dans le sable arrêtés. Et voilà notre sort! au matin de la vie Par des rêves d'espoir notre âme poursuivie Se balance un moment sur les flots du bonheur; Mais, sitôt que le soir étend son voile sombre, L'onde qui nous portait se retire, et dans l'ombre Bientôt nous restons seuls en proie à la douleur. Au déclin de nos jours on dit que notre tête Doit trouver le repos sous un ciel sans tempête; Mais qu'importe à mes voeux le calme de la nuit! Rendez-moi le matin, la fraîcheur et les charmes; Car je préfère encor ses brouillards et ses larmes Aux plus douces lueurs du soleil qui s'enfuit. Oh! qui n'a désiré voir tout à coup renaître Cet instant dont le charme éveilla dans son être Et des sens inconnus et de nouveaux transports! Où son âme, semblable à l'écorce embaumée, Qui disperse en brûlant sa vapeur parfumée, Dans les feux de l'amour exhala ses trésors! Laisse-moi Non, laisse-moi, je t'en supplie; En vain, si jeune et si jolie, Tu voudrais ranimer mon cœur: Ne vois-tu pas, à ma tristesse, Que mon front pâle et sans jeunesse Ne doit plus sourire au bonheur? Quand l'hiver aux froides haleines Des fleurs qui brillent dans nos plaines Glace le sein épanoui, Qui peut rendre à la feuille morte Ses parfums que la brise emporte Et son éclat évanoui? Oh! si je t'avais rencontrée Alors que mon âme enivrée Palpitait de vie et d'amours, Avec quel transport, quel délire J'aurais accueilli ton sourire Dont le charme eût nourri mes jours! Mais à présent, ô jeune fille! Ton regard, c'est l'astre qui brille Aux yeux troublés des matelots, Dont la barque en proie au naufrage, A l'instant où cesse l'orage, Se brise et s'enfuit sous les flots. Non, laisse-moi, je t'en supplie; En vain, si jeune et si jolie, Tu voudrais ranimer mon cœur: Sur ce front pâle et sans jeunesse Ne vois-tu pas que la tristesse A banni l'espoir du bonheur? Romance Air: Le noble éclat du diadème Ah! sous une feinte allégresse Ne nous cache pas ta douleur! Tu plais autant par ta tristesse Que par ton sourire enchanteur A travers, la vapeur légère L'Aurore ainsi charme les yeux; Et, belle en sa pâle lumière, La nuit, Phoebé charme les cieux. Qui te voit, muette et pensive, Seule rêver le long du jour, Te prend pour la vierge naïve Qui soupire un premier amour Oubliant l'auguste couronne Qui ceint tes superbes cheveux, A ses transports il s'abandonne, Et sent d'amour les premiers feux! A Victor Hugo (qui m'avait donné son livre du Rhin) De votre amitié, maître, emportant cette preuve Je tiens donc sous mon bras Le Rhin. - J'ai l'air d'un fleuve Et je me sens grandir par la comparaison. Mais le Fleuve sait-il lui pauvre Dieu sauvage Ce qui lui donne un nom, une source, un rivage, Et s'il coule pour tous quelle en est la raison? Assis au mamelon de l'immense nature, Peut-être ignore-t-il comme la créature D'où lui vient ce bienfait qu'il doit aux Immortels: Moi je sais que de vous, douce et sainte habitude, Me vient l'Enthousiasme et l'Amour et l'Étude, Et que mon peu de feu salaud à vos autels. De Ramsgate à Anvers A cette côte anglaise J'ai donc fait mes adieux, Et sa blanche falaise S'efface au bord des cieux! Que la mer me sourie! Plaise aux dieux que je sois Bientôt dans ta patrie, O grand maître anversois! Rubens! à toi je songe, Seul peut-être et pensif Sur cette mer où plonge Notre fumeux esquif. Histoire et poésie, Tout me vient à travers Ma mémoire saisie Des merveilles d'Anvers. Cette mer qui sommeille Est belle comme aux jours Où, riante et vermeille, Tu la peuplais d'Amours. Ainsi ton seul génie, Froid aux réalités, De la mer d'Ionie Lui prêtait les clartés, Lorsque la nef dorée Amenait autrefois Cette reine adorée Qui s'unit aux Valois, Fleur de la renaissance, Honneur de ses palais, - Qu'attendait hors de France Le coupe-tête anglais! Mais alors sa fortune Bravait tous les complots, Et la cour de Neptune La suivait sur les flots. Tes grasses Néréides Et tes Tritons pansus S'accoudaient tout humides Sur les dauphins bossus. L'Océan qui moutonne Roulait dans ses flots verts La gigantesque tonne Du Silène d'Anvers, Pour ta Flandre honorée, Son nourrisson divin A sa boisson ambrée Donna l'ardeur du vin! - Des cieux tu fis descendre Vers ce peuple enivré, Comme aux fêtes de Flandre, L'Olympe en char doré. Joie, amour et délire, Hélas! trop expiés! Les rois sur le navire Et les dieux à leurs pieds! - Adieu, splendeur finie D'un siècle solennel! Mais toi seul, ô génie! Tu restes éternel. A M. Alexandre Dumas, à Francfort En partant de Baden, j'avais d'abord songé Que par monsieur Eloi, que par monsieur Elgé, Je pourrais, attendant des fortunes meilleures, Aller prendre ma place au bateau de six heures; Ce qui m'avait conduit, plein d'un espoir si beau, De l'hôtel du Soleil à l'hôtel du Corbeau; Mais, à Strasbourg, le sort ne me fut, point prospère; Éloi fils avait trop compté sur Éloi père... Et je repars, pleurant mon destin non pareil, De l'hôtel du Corbeau pour l'hôtel du Soleil! Une femme est l'Amour Une femme est l'amour, la gloire et l'espérance; Aux enfants quelle guide, à l'homme consolé, Elle élève le coeur et calme la souffrance, Comme un esprit des cieux sur la terre exilé. Courbé par le travail ou par la destinée, L'homme à sa voix s'élève et son front s'éclaircit; Toujours impatient dans sa course bornée, Un sourire le dompte et son coeur s'adoucit. Dans ce siècle de fer la gloire est incertaine Bien longtemps à l'attendre il faut se résigner. Mais qui n'aimerait pas, dans sa grâce sereine, La beauté qui la donne ou qui la fait gagner? A Madame Henri Heine Vous avez des yeux noirs et vous êtes si belle Que le poète en vous voit luire l'étincelle Dont s'anime la force et que nous envions: Le génie à son tour embrase toute chose, Il vous rend sa lumière, et vous êtes la rose Qui s'embellit sous ses rayons.