--- ATTENTION : CONSERVEZ CETTE LICENCE SI VOUS REDISTRIBUEZ CE FICHIER --- License ABU -=-=-=-=-=- Version 1, Aout 1997 Copyright (C) 1997 Association de Bibliophiles Universels http://www.abu.org/ www@abu.org La base de textes de l'Association des Bibliophiles Universels (ABU) est une oeuvre de compilation, elle peut être copiée, diffusée et modifiée dans les conditions suivantes : 1. Toute copie à des fins privées, à des fins d'illustration de l'enseignement ou de recherche scientifique est autorisée. 2. Toute diffusion ou inclusion dans une autre oeuvre doit a) soit inclure la presente licence s'appliquant a l'ensemble de la diffusion ou de l'oeuvre derivee. b) soit permettre aux bénéficiaires de cette diffusion ou de cette oeuvre dérivée d'en extraire facilement et gratuitement une version numérisée de chaque texte inclu, muni de la présente licence. 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Ici gronde le fleuve aux vagues écumantes, Il serpente, et s'enfonce en un lointain obscur; Là le lac immobile étend ses eaux dormantes Où l'étoile du soir se lève dans l'azur. Au sommet de ces monts couronnés de bois sombres, Le crépuscule encor jette un dernier rayon, Et le char vaporeux de la reine des ombres Monte, et blanchit déjà les bords de l'horizon. Cependant, s'élançant de la flèche gothique, Un son religieux se répand dans les airs, Le voyageur s'arrête, et la cloche rustique Aux derniers bruits du jour mêle de saints concerts. Mais à ces doux tableaux mon âme indifférente N'éprouve devant eux ni charme, ni transports, Je contemple la terre, ainsi qu'une ombre errante : Le soleil des vivants n'échauffe plus les morts. De colline en colline en vain portant ma vue, Du sud à l'aquilon, de l'aurore au couchant, Je parcours tous les points de l'immense étendue, Et je dis : Nulle part le bonheur ne m'attend. Que me font ces vallons, ces palais, ces chaumières, Vains objets dont pour moi le charme est envolé; Fleuves, rochers, forêts, solitudes si chères, Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé. Que le tour du soleil ou commence ou s'achève, D'un oeil indifférent je le suis dans son cours; En un ciel sombre ou pur qu'il se couche ou se lève, Qu'importe le soleil? je n'attends rien des jours. Quand je pourrais le suivre en sa vaste carrière, Mes yeux verraient partout le vide et les déserts; Je ne désire rien de tout ce qu'il éclaire, Je ne demande rien à l'immense univers. Mais peut-être au-delà des bornes de sa sphère, Lieux où le vrai soleil éclaire d'autres cieux, Si je pouvais laisser ma dépouille à la terre, Ce que j'ai tant rêvé paraîtrait à mes yeux? Là, je m'enivrerais à la source où j'aspire, Là, je retrouverais et l'espoir et l'amour, Et ce bien idéal que toute âme désire, Et qui n'a pas de nom au terrestre séjour! Que ne puis-je, porté sur le char de l'aurore, Vague objet de mes voeux, m'élancer jusqu'à toi, Sur la terre d'exil pourquoi resté-je encore? Il n'est rien de commun entre la terre et moi. Quand la feuille des bois tombe dans la prairie, Le vent du soir s'élève et l'arrache aux vallons; Et moi, je suis semblable à la feuille flétrie : Emportez-moi comme elle, orageux aquilons! II L'Homme À Lord Byron. Toi, dont le monde encore ignore le vrai nom, Esprit mystérieux, mortel, ange, ou démon, Qui que tu sois, Byron, bon ou fatal génie, J'aime de tes concerts la sauvage harmonie, Comme j'aime le bruit de la foudre et des vents Se mêlant dans l'orage à la voix des torrents! La nuit est ton séjour, l'horreur est ton domaine : L'aigle, roi des déserts, dédaigne ainsi la plaine; Il ne veut, comme toi, que des rocs escarpés Que l'hiver a blanchis, que la foudre a frappés; Des rivages couverts des débris du naufrage, Ou des champs tout noircis des restes du carnage. Et, tandis que l'oiseau qui chante ses douleurs Bâtit au bord des eaux son nid parmi les fleurs, Lui, des sommets d'Athos franchit l'horrible cime, Suspend aux flancs des monts son aire sur l'abîme, Et là, seul, entouré de membres palpitants, De rochers d'un sang noir sans cesse dégouttants, Trouvant sa volupté dans les cris de sa proie, Bercé par la tempête, il s'endort dans sa joie. Et toi, Byron, semblable à ce brigand des airs, Les cris du désespoir sont tes plus doux concerts. Le mal est ton spectacle, et l'homme est ta victime. Ton oeil, comme Satan, a mesuré l'abîme, Et ton âme, y plongeant loin du jour et de Dieu, A dit à l'espérance un éternel adieu! Comme lui, maintenant, régnant dans les ténèbres, Ton génie invincible éclate en chants funèbres; Il triomphe, et ta voix, sur un mode infernal, Chante l'hymne de gloire au sombre dieu du mal. Mais que sert de lutter contre sa destinée? Elle n'a comme l'oeil qu'un étroit horizon. Ne porte pas plus loin tes yeux ni ta raison : Hors de là tout nous fuit, tout s'éteint, tout s'efface; Dans ce cercle borné Dieu t'a marqué ta place. Comment? pourquoi? qui sait? De ses puissantes mains Il a laissé tomber le monde et les humains, Comme il a dans nos champs répandu la poussière, Ou semé dans les airs la nuit et la lumière; Il le sait, il suffit : l'univers est à lui, Et nous n'avons à nous que le jour d'aujourd'hui! Notre crime est d'être homme et de vouloir connaître : Ignorer et servir, c'est la loi de notre être. Byron, ce mot est dur : longtemps j'en ai douté; Mais pourquoi reculer devant la vérité? Ton titre devant Dieu c'est d'être son ouvrage! De sentir, d'adorer ton divin esclavage; Dans l'ordre universel, faible atome emporté, D'unir à tes desseins ta libre volonté, D'avoir été conçu par son intelligence, De le glorifier par ta seule existence! Voilà, voilà ton sort. Ah! loin de l'accuser, Baise plutôt le joug que tu voudrais briser; Descends du rang des dieux qu'usurpait ton audace; Tout est bien, tout est bon, tout est grand à sa place; Aux regards de celui qui fit l'immensité, L'insecte vaut un monde : ils ont autant coûté! Mais cette loi, dis-tu, révolte ta justice; Elle n'est à tes yeux qu'un bizarre caprice, Un piège où la raison trébuche à chaque pas. Confessons-la, Byron, et ne la jugeons pas! Comme toi, ma raison en ténèbres abonde, Et ce n'est pas à moi de t'expliquer le monde. Que celui qui l'a fait t'explique l'univers! Plus je sonde l'abîme, hélas! plus je m'y perds. Ici-bas, la douleur à la douleur s'enchaîne. Le jour succède au jour, et la peine à la peine. Borné dans sa nature, infini dans ses voeux, L'homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux; Soit que déshérité de son antique gloire, De ses destins perdus il garde la mémoire; Soit que de ses désirs l'immense profondeur Lui présage de loin sa future grandeur : Imparfait ou déchu, l'homme est le grand mystère. Dans la prison des sens enchaîné sur la terre, Esclave, il sent un coeur né pour la liberté; Malheureux, il aspire à la félicité; Il veut aimer toujours, ce qu'il aime est fragile! Tout mortel est semblable à l'exilé d'Eden : Lorsque Dieu l'eut banni du céleste jardin, Mesurant d'un regard les fatales limites, Il s'assit en pleurant aux portes interdites. Il entendit de loin dans le divin séjour L'harmonieux soupir de l'éternel amour, Les accents du bonheur, les saints concerts des anges Qui, dans le sein de Dieu, célébraient ses louanges; Et, s'arrachant du ciel dans un pénible effort, Son oeil avec effroi retomba sur son sort. Malheur à qui du fond de l'exil de la vie Entendit ces concerts d'un monde qu'il envie! Du nectar idéal sitôt qu'elle a goûté, La nature répugne à la réalité : Dans le sein du possible en songe elle s'élance; Le réel est étroit, le possible est immense; L'âme avec ses désirs s'y bâtit un séjour, Où l'on puise à jamais la science et l'amour; L'homme, altéré toujours, toujours se désaltère; Et, de songes si beaux enivrants son sommeil, Ne se reconnaît plus au moment du réveil. Hélas! tel fut ton sort, telle est ma destinée. J'ai vidé comme toi la coupe empoisonnée; Mes yeux, comme les tiens, sans voir se sont ouverts; J'ai cherché vainement le mot de l'univers. J'ai demandé sa cause à toute la nature, J'ai demandé sa fin à toute créature; Dans l'abîme sans fond mon regard a plongé; De l'atome au soleil, j'ai tout interrogé; J'ai devancé les temps, j'ai remonté les âges. Tantôt passant les mers pour écouter les sages, Mais le monde à l'orgueil est un livre fermé! Tantôt, pour deviner le monde inanimé, Fuyant avec mon âme au sein de la nature, J'ai cru trouver un sens à cette langue obscure. J'étudiai la loi par qui roulent les cieux : Dans leurs brillants déserts Newton guida mes yeux, Des empires détruits je méditai la cendre : Dans ses sacrés tombeaux Rome m'a vu descendre; Des mânes les plus saints troublant le froid repos, J'ai pesé dans mes mains la cendre des héros. J'allais redemander à leur vaine poussière Cette immortalité que tout mortel espère! Que dis-je? suspendu sur le lit des mourants, Mes regards la cherchaient dans des yeux expirants; Sur ces sommets noircis par d'éternels nuages, Sur ces flots sillonnés par d'éternels orages, J'appelais, je bravais le choc des éléments. Semblable à la sybille en ses emportements, J'ai cru que la nature en ces rares spectacles Laissait tomber pour nous quelqu'un de ses oracles; J'aimais à m'enfoncer dans ces sombres horreurs. Mais en vain dans son calme, en vain dans ses fureurs, Cherchant ce grand secret sans pouvoir le surprendre, J'ai vu partout un Dieu sans jamais le comprendre! J'ai vu le bien, le mal, sans choix et sans dessein, Tomber comme au hasard, échappés de son sein; Mes yeux dans l'univers n'ont vu qu'un grand peut-être, J'ai blasphémé ce Dieu, ne pouvant le connaître; Et ma voix, se brisant contre ce ciel d'airain, N'a pas même eu l'honneur d'arrêter le destin. Mais, un jour que, plongé dans ma propre infortune, J'avais lassé le ciel d'une plainte importune, Une clarté d'en haut dans mon sein descendit, Me tenta de bénir ce que j'avais maudit, Et, cédant sans combattre au souffle qui m'inspire, L'hymne de la raison s'élança de ma lyre. - "Gloire à toi, dans les temps et dans l'éternité! Eternelle raison, suprême volonté! Toi, dont l'immensité reconnaît la présence! Toi, dont chaque matin annonce l'existence! Ton souffle créateur s'est abaissé sur moi; Celui qui n'était pas a paru devant toi! J'ai reconnu ta voix avant de me connaître, Je me suis élancé jusqu'aux portes de l'être : Me voici! le néant te salue en naissant; Me voici! mais que suis-je? un atome pensant! Qui peut entre nous deux mesurer la distance? Moi, qui respire en toi ma rapide existence, A l'insu de moi-même à ton gré façonné, Que me dois-tu, Seigneur, quand je ne suis pas né? Rien avant, rien après : Gloire à la fin suprême : Qui tira tout de soi se doit tout à soi-même! Jouis, grand artisan, de l'oeuvre de tes mains : Je suis, pour accomplir tes ordres souverains, Dispose, ordonne, agis; dans les temps, dans l'espace, Marque-moi pour ta gloire et mon jour et ma place; Mon être, sans se plaindre, et sans t'interroger, De soi-même, en silence, accourra s'y ranger. Comme ces globes d'or qui dans les champs du vide Suivent avec amour ton ombre qui les guide, Noyé dans la lumière, ou perdu dans la nuit, Je marcherai comme eux où ton doigt me conduit; Soit choisi par toi pour éclairer les mondes, Réfléchissant sur eux les feux dont tu m'inondes, Je m'élance entouré d'esclaves radieux, Et franchisse d'un pas tout l'abîme des cieux; Soit que, me reléguant loin, bien loin de ta vue, Tu ne fasses de moi, créature inconnue, Qu'un atome oublié sur les bords du néant, Ou qu'un grain de poussière emporté par le vent, Glorieux de mon sort, puisqu'il est ton ouvrage, J'irai, j'irai partout te rendre un même hommage, Et, d'un égal amour accomplissant ma loi, Jusqu'aux bords du néant murmurer : Gloire à toi! - "Ni si haut, ni si bas! simple enfant de la terre, Mon sort est un problème, et ma fin un mystère; Je ressemble, Seigneur, au globe de la nuit Qui, dans la route obscure où ton doigt le conduit, Réfléchit d'un côté les clartés éternelles, Et de l'autre est plongé dans les ombres mortelles. L'homme est le point fatal où les deux infinis Par la toute-puissance ont été réunis. A tout autre degré, moins malheureux peut-être, J'eusse été... Mais je suis ce que je devais être, J'adore sans la voir ta suprême raison, Gloire à toi qui m'as fait! Ce que tu fais est bon! - "Cependant, accablé sous le poids de ma chaîne, Du néant au tombeau l'adversité m'entraîne; Je marche dans la nuit par un chemin mauvais, Ignorant d'où je viens, incertain où je vais, Et je rappelle en vain ma jeunesse écoulée, Comme l'eau du torrent dans sa source troublée. Gloire à toi! Le malheur en naissant m'a choisi; Comme un jouet vivant, ta droite m'a saisi; J'ai mangé dans les pleurs le pain de ma misère, Et m'as abreuvé des eaux de ta colère. Gloire à toi! J'ai crié, tu n'as pas répondu; J'ai jeté sur la terre un regard confondu. J'ai cherché dans le ciel le jour de ta justice; Il s'est levé, Seigneur, et c'est pour mon supplice! Gloire à toi! L'innocence est coupable à tes yeux : Un seul être, du moins, me restait sous les cieux; Toi-même de nos jours avais mêlé la trame, Sa vie était ma vie, et son âme mon âme; Comme un fruit encor vert du rameau détaché, Je l'ai vu de mon sein avant l'âge arraché! Ce coup, que tu voulais me rendre plus terrible La frappa lentement pour m'être plus sensible; Dans ses traits expirants, où je lisais mon sort, J'ai vu lutter ensemble et l'amour et la mort; J'ai vu dans ses regards la flamme de la vie, Sous la main du trépas par degrés assoupie, Se ranimer encore au souffle de l'amour! Je disais chaque jour : Soleil! encore un jour! Semblable au criminel qui, plongé dans les ombres, Et descendu vivant dans les demeures sombres, Près du dernier flambeau qui doive l'éclairer, Se penche sur sa lampe et la voit expirer, Je voulais retenir l'âme qui s'évapore; Dans son dernier regard je la cherchais encore! Ce soupir, ô mon Dieu! dans ton sein s'exhala; Hors du monde avec lui mon espoir s'envola! Pardonne au désespoir un moment de blasphème, J'osai... Je me repens : Gloire au maître suprême! Il fit l'eau pour couler, l'aquilon pour courir, Les soleils pour brûler, et l'homme pour souffrir! - "Que j'ai bien accompli cette loi de mon être! La nature insensible obéit sans connaître; Moi seul, te découvrant sous la nécessité, J'immole avec amour ma propre volonté, Moi seul, je t'obéis avec intelligence; Moi seul, je me complais dans cette obéissance; Je jouis de remplir, en tout temps, en tout lieu, La loi de ma nature et l'ordre de mon Dieu; J'adore en mes destins ta sagesse suprême, J'aime ta volonté dans mes supplices même, Gloire à toi! Gloire à toi! Frappe, anéantis-moi! Tu n'entendras qu'un cri : Gloire à jamais à toi!" Ainsi ma voix monta vers la voûte céleste : Je rendis gloire au ciel, et le ciel fit le reste. Fais silence, ô ma lyre! Et toi, qui dans tes mains Tiens le coeur palpitant des sensibles humains, Byron, viens en tirer des torrents d'harmonie : C'est pour la vérité que Dieu fit le génie. Jette un cri vers le ciel, ô chantre des enfers! Le ciel même aux damnés enviera tes concerts! Peut-être qu'à ta voix, de la vivante flamme Un rayon descendra dans l'ombre de ton âme? Peut-être que ton coeur, ému de saints transports, S'apaisera soi-même à tes propres accords, Et qu'un éclair d'en haut perçant ta nuit profonde, Tu verseras sur nous la clarté qui t'inonde? Ah! si jamais ton luth, amolli par tes pleurs, Soupirait sous tes doigts l'hymne de tes douleurs, Ou si, du sein profond des ombres éternelles, Comme un ange tombé, tu secouais tes ailes, Et prenant vers le jour un lumineux essor, Parmi les choeurs sacrés tu t'asseyais encor; Jamais, jamais l'écho de la céleste voûte, Jamais ces harpes d'or que Dieu lui-même écoute, Jamais des séraphins les choeurs mélodieux, De plus divins accords n'auront ravi les cieux! Courage! enfant déchu d'une race divine! Tu portes sur ton front ta superbe origine! Tout homme en te voyant reconnaît dans tes yeux Un rayon éclipsé de la splendeur des cieux! Roi des chants immortels, reconnais-toi toi-même! Laisse aux fils de la nuit le doute et le blasphème; Dédaigne un faux encens qu'on offre de si bas, La gloire ne peut être où la vertu n'est pas. Viens reprendre ton rang dans ta splendeur première, Parmi ces purs enfants de gloire et de lumière, Que d'un souffle choisi Dieu voulut animer, Et qu'il fit pour chanter, pour croire et pour aimer! III A Elvire Oui, l'Anio murmure encore Le doux nom de Cynthie aux rochers de Tibur, Vaucluse a retenu le nom chéri de Laure, Et Ferrare au siècle futur Murmurera toujours celui d'Eléonore! Heureuse la beauté que le poète adore! Heureux le nom qu'il a chanté! Toi, qu'en secret son culte honore, Tu peux, tu peux mourir! dans la postérité Il lègue à ce qu'il aime une éternelle vie, Et l'amante et l'amant sur l'aile du génie Montent, d'un vol égal, à l'immortalité! Ah! si mon frêle esquif, battu par la tempête, Grâce à des vents plus doux, pouvait surgir au port? Si des soleils plus beaux se levaient sur ma tête? Si les pleurs d'une amante, attendrissant le sort, Ecartaient de mon front les ombres de la mort? Peut-être?..., oui, pardonne, ô maître de la lyre! Peut-être j'oserais, et que n'ose un amant? Egaler mon audace à l'amour qui m'inspire, Et, dans des chants rivaux célébrant mon délire, De notre amour aussi laisser un monument! Ainsi le voyageur qui dans son court passage Se repose un moment à l'abri du vallon, Sur l'arbre hospitalier dont il goûta l'ombrage Avant que de partir, aime à graver son nom! Vois-tu comme tout change ou meurt dans la nature? La terre perd ses fruits, les forêts leur parure; Le fleuve perd son onde au vaste sein des mers; Par un souffle des vents la prairie est fanée, Et le char de l'automne, au penchant de l'année, Roule, déjà poussé par la main des hivers! Comme un géant armé d'un glaive inévitable, Atteignant au hasard tous les êtres divers, Le temps avec la mort, d'un vol infatigable Renouvelle en fuyant ce mobile univers! Dans l'éternel oubli tombe ce qu'il moissonne : Tel un rapide été voit tomber sa couronne Dans la corbeille des glaneurs! Tel un pampre jauni voit la féconde automne Livrer ses fruits dorés au char des vendangeurs! Vous tomberez ainsi, courtes fleurs de la vie! Jeunesse, amour, plaisir, fugitive beauté! Beauté, présent d'un jour que le ciel nous envie, Ainsi vous tomberez, si la main du génie Ne vous rend l'immortalité! Vois d'un oeil de pitié la vulgaire jeunesse, Brillante de beauté, s'enivrant de plaisir! Quand elle aura tari sa coupe enchanteresse, Que restera-t-il d'elle? à peine un souvenir : Le tombeau qui l'attend l'engloutit tout entière, Un silence éternel succède à ses amours; Mais les siècles auront passé sur ta poussière, Elvire, et tu vivras toujours! IV Le soir Le soir ramène le silence. Assis sur ces rochers déserts, Je suis dans le vague des airs Le char de la nuit qui s'avance. Vénus se lève à l'horizon; A mes pieds l'étoile amoureuse De sa lueur mystérieuse Blanchit les tapis de gazon. De ce hêtre au feuillage sombre J'entends frissonner les rameaux : On dirait autour des tombeaux Qu'on entend voltiger une ombre. Tout à coup détaché des cieux, Un rayon de l'astre nocturne, Glissant sur mon front taciturne, Vient mollement toucher mes yeux. Doux reflet d'un globe de flamme, Charmant rayon, que me veux-tu? Viens-tu dans mon sein abattu Porter la lumière à mon âme? Descends-tu pour me révéler Des mondes le divin mystère? Ces secrets cachés dans la sphère Où le jour va te rappeler? Une secrète intelligence T'adresse-t-elle aux malheureux? Viens-tu la nuit briller sur eux Comme un rayon de l'espérance? Viens-tu dévoiler l'avenir Au coeur fatigué qui t'implore? Rayon divin, es-tu l'aurore Du jour qui ne doit pas finir? Mon coeur à ta clarté s'enflamme, Je sens des transports inconnus, Je songe à ceux qui ne sont plus : Douce lumière, es-tu leur âme? Peut-être ces mânes heureux Glissent ainsi sur le bocage? Enveloppé de leur image, Je crois me sentir plus près d'eux! Ah! si c'est vous, ombres chéries! Loin de la foule et loin du bruit, Revenez ainsi chaque nuit Vous mêler à mes rêveries. Ramenez la paix et l'amour Au sein de mon âme épuisée, Comme la nocturne rosée Qui tombe après les feux du jour. Venez!... mais des vapeurs funèbres Montent des bords de l'horizon : Elles voilent le doux rayon, Et tout rentre dans les ténèbres. V L'immortalité Le soleil de nos jours pâlit dès son aurore, Sur nos fronts languissants à peine il jette encore Quelques rayons tremblants qui combattent la nuit; L'ombre croit, le jour meurt, tout s'efface et tout fuit! Qu'un autre à cet aspect frissonne et s'attendrisse, Qu'il recule en tremblant des bords du précipice, Qu'il ne puisse de loin entendre sans frémir Le triste chant des morts tout prêt à retentir, Les soupirs étouffés d'une amante ou d'un frère Suspendus sur les bords de son lit funéraire, Ou l'airain gémissant, dont les sons éperdus Annoncent aux mortels qu'un malheureux n'est plus! Je te salue, ô mort ! Libérateur céleste, Tu ne m'apparais point sous cet aspect funeste Que t'a prêté longtemps l'épouvante ou l'erreur; Ton bras n'est point armé d'un glaive destructeur, Ton front n'est point cruel, ton oeil n'est point perfide, Au secours des douleurs un Dieu clément te guide; Tu n'anéantis pas, tu délivres! ta main, Céleste messager, porte un flambeau divin; Quand mon oeil fatigué se ferme à la lumière, Tu viens d'un jour plus pur inonder ma paupière; Et l'espoir près de toi, rêvant sur un tombeau, Appuyé sur la foi, m'ouvre un monde plus beau! Viens donc, viens détacher mes chaînes corporelles, Viens, ouvre ma prison; viens, prête-moi tes ailes; Que tardes-tu? Parais; que je m'élance enfin Vers cet être inconnu, mon principe et ma fin! Qui m'en a détaché? qui suis-je, et que dois-je être? Je meurs et ne sais pas ce que c'est que de naître. Toi, qu'en vain j'interroge, esprit, hôte inconnu, Avant de m'animer, quel ciel habitais-tu? Quel pouvoir t'a jeté sur ce globe fragile? Quelle main t'enferma dans ta prison d'argile? Par quels noeuds étonnants, par quels secrets rapports Le corps tient-il à toi comme tu tiens au corps? Quel jour séparera l'âme de la matière? Pour quel nouveau palais quitteras-tu la terre? As-tu tout oublié? Par-delà le tombeau, Vas-tu renaître encor dans un oubli nouveau? Vas-tu recommencer une semblable vie? Ou dans le sein de Dieu, ta source et ta patrie, Affranchi pour jamais de tes liens mortels, Vas-tu jouir enfin de tes droits éternels? Oui, tel est mon espoir, ô moitié de ma vie! C'est par lui que déjà mon âme raffermie A pu voir sans effroi sur tes traits enchanteurs Se faner du printemps les brillantes couleurs. C'est par lui que percé du trait qui me déchire, Jeune encore, en mourant vous me verrez sourire, Et que des pleurs de joie à nos derniers adieux, A ton dernier regard, brilleront dans mes yeux. "Vain espoir!" s'écriera le troupeau d'Epicure, Et celui dont la main disséquant la nature, Dans un coin du cerveau nouvellement décrit, Voit penser la matière et végéter l'esprit; Insensé! diront-ils, que trop d'orgueil abuse, Regarde autour de toi : tout commence et tout s'use, Tout marche vers un terme, et tout naît pour mourir; Dans ces prés jaunissants tu vois la fleur languir; Tu vois dans ces forêts le cèdre au front superbe Sous le poids de ses ans tomber, ramper sous l'herbe; Dans leurs lits desséchés tu vois les mers tarir; Les cieux même, les cieux commencent à pâlir; Cet astre dont le temps a caché la naissance, Le soleil, comme nous, marche à sa décadence, Et dans les cieux déserts les mortels éperdus Le chercheront un jour et ne le verront plus! Tu vois autour de toi dans la nature entière Les siècles entasser poussière sur poussière, Et le temps, d'un seul pas confondant ton orgueil, De tout ce qu'il produit devenir le cercueil. Et l'homme, et l'homme seul, ô sublime folie! Au fond de son tombeau croit retrouver la vie, Et dans le tourbillon au néant emporté. Abattu par le temps, rêve l'éternité! Qu'un autre vous réponde, ô sages de la terre! Laissez-moi mon erreur : j'aime, il faut que j'espère; Notre faible raison se trouble et se confond. Oui, la raison se tait : mais l'instinct vous répond. Pour moi, quand je verrais dans les célestes plaines, Les astres, s'écartant de leurs routes certaines, Dans les champs de l'éther l'un par l'autre heurtés, Parcourir au hasard les cieux épouvantés; Quand j'entendrais gémir et se briser la terre; Quand je verrais son globe errant et solitaire Flottant loin des soleils, pleurant l'homme détruit, Se perdre dans les champs de l'éternelle nuit; Et quand, dernier témoin de ces scènes funèbres, Entouré du chaos, de la mort, des ténèbres, Seul je serais debout : seul, malgré mon effroi, Etre infaillible et bon, j'espérerais en toi, Et, certain du retour de l'éternelle aurore, Sur les mondes détruits, je t'attendrais encore! Souvent, tu t'en souviens, dans cet heureux séjour Où naquit d'un regard notre immortel amour, Tantôt sur les sommets de ces rochers antiques, Tantôt aux bords déserts des lacs mélancoliques, Sur l'aile du désir, loin du monde emportés, Je plongeais avec toi dans ces obscurités. Les ombres à longs plis descendant des montagnes, Un moment à nos yeux dérobaient les campagnes : Mais bientôt s'avançant sans éclat et sans bruit Le choeur mystérieux des astres de la nuit, Nous rendant les objets voilés à notre vue, De ses molles lueurs revêtait l'étendue; Telle, en nos temples saints par le jour éclairés, Quand les rayons du soir pâlissent par degrés, La lampe, répandant sa pieuse lumière, D'un jour plus recueilli remplit le sanctuaire. Dans ton ivresse alors tu ramenais mes yeux, Et des cieux à la terre, et de la terre aux cieux; Dieu caché, disais-tu, la nature est ton temple! L'esprit te voit partout quand notre oeil la contemple; De tes perfections, qu'il cherche à concevoir, Ce monde est le reflet, l'image, le miroir; Le jour est ton regard, la beauté ton sourire : Partout le coeur t'adore et l'âme te respire; Eternel, infini, tout-puissant et tout bon, Ces vastes attributs n'achèvent pas ton nom; Et l'esprit, accablé sous ta sublime essence, Célèbre ta grandeur jusque dans son silence. Et cependant, ô Dieu! par sa sublime loi, Cet esprit abattu s'élance encore à toi, Et sentant que l'amour est la fin de son être, Impatient d'aimer, brûle de te connaître. Tu disais : et nos coeurs unissaient leurs soupirs Vers cet être inconnu qu'attestaient nos désirs; A genoux devant lui, l'aimant dans ses ouvrages, Et l'aurore et le soir lui portaient nos hommages, Et nos yeux enivrés contemplaient tour à tour La terre notre exil, et le ciel son séjour. Ah! si dans ces instants où l'âme fugitive S'élance et veut briser le sein qui la captive, Ce Dieu, du haut du ciel répondant à nos voeux, D'un trait libérateur nous eût frappés tous deux! Nos âmes, d'un seul bond remontant vers leur source, Ensemble auraient franchi les mondes dans leur course A travers l'infini, sur l'aile de l'amour, Elles auraient monté comme un rayon du jour, Et, jusqu'à Dieu lui-même arrivant éperdues, Se seraient dans son sein pour jamais confondues! Ces voeux nous trompaient-ils? Au néant destinés, Est-ce pour le néant que les êtres sont nés? Partageant le destin du corps qui la recèle, Dans la nuit du tombeau l'âme s'engloutit-elle? Tombe-t-elle en poussière? ou, prête à s'envoler, Comme un son qui n'est plus va-t-elle s'exhaler? Après un vain soupir, après l'adieu suprême De tout ce qui t'aimait, n'est-il plus rien qui t'aime? Ah! sur ce grand secret n'interroge que toi! Vois mourir ce qui t'aime, Elvire, et réponds-moi! VI Le vallon Mon coeur, lassé de tout, même de l'espérance, N'ira plus de ses voeux importuner le sort; Prêtez-moi seulement, vallon de mon enfance, Un asile d'un jour pour attendre la mort. Voici l'étroit sentier de l'obscure vallée : Du flanc de ces coteaux pendent des bois épais Qui, courbant sur mon front leur ombre entremêlée, Me couvrent tout entier de silence et de paix. Là, deux ruisseaux cachés sous des ponts de verdure Tracent en serpentant les contours du vallon; Ils mêlent un moment leur onde et leur murmure, Et non loin de leur source ils se perdent sans nom. La source de mes jours comme eux s'est écoulée, Elle a passé sans bruit, sans nom et sans retour : Mais leur onde est limpide, et mon âme troublée N'aura pas réfléchi les clartés d'un beau jour. La fraîcheur de leurs lits, l'ombre qui les couronne, M'enchaînent tout le jour sur les bords des ruisseaux; Comme un enfant bercé par un chant monotone, Mon âme s'assoupit au murmure des eaux. Ah! c'est là qu'entouré d'un rempart de verdure, D'un horizon borné qui suffit à mes yeux, J'aime à fixer mes pas, et, seul dans la nature, A n'entendre que l'onde, à ne voir que les cieux. J'ai trop vu, trop senti, trop aimé dans ma vie, Je viens chercher vivant le calme du Léthé; Beaux lieux, soyez pour moi ces bords où l'on oublie L'oubli seul désormais est ma félicité. Mon coeur est en repos, mon âme est en silence! Le bruit lointain du monde expire en arrivant, Comme un son éloigné qu'affaiblit la distance, A l'oreille incertaine apporté par le vent. D'ici je vois la vie, à travers un nuage, S'évanouir pour moi dans l'ombre du passé; L'amour seul est resté : comme une grande image Survit seule au réveil dans un songe effacé. Repose-toi, mon âme, en ce dernier asile, Ainsi qu'un voyageur, qui, le coeur plein d'espoir, S'assied avant d'entrer aux portes de la ville, Et respire un moment l'air embaumé du soir. Comme lui, de nos pieds secouons la poussière; L'homme par ce chemin ne repasse jamais : Comme lui, respirons au bout de la carrière Ce calme avant-coureur de l'éternelle paix. Tes jours, sombres et courts comme les jours d'automne, Déclinent comme l'ombre au penchant des coteaux; L'amitié te trahit, la pitié t'abandonne, Et seule, tu descends le sentier des tombeaux. Mais la nature est là qui t'invite et qui t'aime; Plonge-toi dans son sein qu'elle t'ouvre toujours; Quand tout change pour toi, la nature est la même, Et le même soleil se lève sur tes jours. De lumière et d'ombrage elle t'entoure encore; Détache ton amour des faux biens que tu perds; Adore ici l'écho qu'adorait Pythagore, Prête avec lui l'oreille aux célestes concerts. Suis le jour dans le ciel, suis l'ombre sur la terre, Dans les plaines de l'air vole avec l'aquilon, Avec le doux rayon de l'astre du mystère Glisse à travers les bois dans l'ombre du vallon. Dieu, pour le concevoir, a fait l'intelligence; Sous la nature enfin découvre son auteur! Une voix à l'esprit parle dans son silence, Qui n'a pas entendu cette voix dans son coeur? VII Le désespoir Lorsque du Créateur la parole féconde, Dans une heure fatale, eut enfanté le monde Des germes du chaos, De son oeuvre imparfaite il détourna sa face, Et d'un pied dédaigneux le lançant dans l'espace, Rentra dans son repos. Va, dit-il, je te livre à ta propre misère; Trop indigne à mes yeux d'amour ou de colère, Tu n'es rien devant moi. Roule au gré du hasard dans les déserts du vide; Qu'à jamais loin de moi le destin soit ton guide, Et le Malheur ton roi. Il dit. Comme un vautour qui plonge sur sa proie, Le Malheur, à ces mots, pousse, en signe de joie, Un long gémissement; Et pressant l'univers dans sa serre cruelle, Embrasse pour jamais de sa rage éternelle L'éternel aliment. Le mal dès lors régna dans son immense empire; Dès lors tout ce qui pense et tout ce qui respire Commença de souffrir; Et la terre, et le ciel, et l'âme, et la matière, Tout gémit : et la voix de la nature entière Ne fut qu'un long soupir. Levez donc vos regards vers les célestes plaines, Cherchez Dieu dans son oeuvre, invoquez dans vos peines Ce grand consolateur, Malheureux! sa bonté de son oeuvre est absente, Vous cherchez votre appui? l'univers vous présente Votre persécuteur. De quel nom te nommer, ô fatale puissance? Qu'on t'appelle destin, nature, providence, Inconcevable loi! Qu'on tremble sous ta main, ou bien qu'on la blasphème, Soumis ou révolté, qu'on te craigne ou qu'on t'aime, Toujours, c'est toujours toi! Hélas! ainsi que vous j'invoquai l'espérance; Mon esprit abusé but avec complaisance Son philtre empoisonneur; C'est elle qui, poussant nos pas dans les abîmes, De festons et de fleurs couronne les victimes Qu'elle livre au Malheur. Si du moins au hasard il décimait les hommes, Ou si sa main tombait sur tous tant que nous sommes Avec d'égales lois? Mais les siècles ont vu les âmes magnanimes, La beauté, le génie, ou les vertus sublimes, Victimes de son choix. Tel, quand des dieux de sang voulaient en sacrifices Des troupeaux innocents les sanglantes prémices, Dans leurs temples cruels, De cent taureaux choisis on formait l'hécatombe, Et l'agneau sans souillure, ou la blanche colombe Engraissaient leurs autels. Créateur, Tout-Puissant, principe de tout être! Toi pour qui le possible existe avant de naître : Roi de l'immensité, Tu pouvais cependant, au gré de ton envie, Puiser pour tes enfants le bonheur et la vie Dans ton éternité? Sans t'épuiser jamais, sur toute la nature Tu pouvais à longs flots répandre sans mesure Un bonheur absolu. L'espace, le pouvoir, le temps, rien ne te coûte. Ah! ma raison frémit; tu le pouvais sans doute, Tu ne l'as pas voulu. Quel crime avons-nous fait pour mériter de naître? L'insensible néant t'a-t-il demandé l'être, Ou l'a-t-il accepté? Sommes-nous, ô hasard, l'oeuvre de tes caprices? Ou plutôt, Dieu cruel, fallait-il nos supplices Pour ta félicité? Montez donc vers le ciel, montez, encens qu'il aime, Soupirs, gémissements, larmes, sanglots, blasphème, Plaisirs, concerts divins! Cris du sang, voix des morts, plaintes inextinguibles, Montez, allez frapper les voûtes insensibles Du palais des destins! Terre, élève ta voix; cieux, répondez; abîmes, Noirs séjours où la mort entasse ses victimes, Ne formez qu'un soupir. Qu'une plainte éternelle accuse la nature, Et que la douleur donne à toute créature Une voix pour gémir. Du jour où la nature, au néant arrachée, S'échappa de tes mains comme une oeuvre ébauchée, Qu'as-tu vu cependant? Aux désordres du mal la matière asservie, Toute chair gémissant, hélas! et toute vie Jalouse du néant. Des éléments rivaux les luttes intestines; Le Temps, qui flétrit tout, assis sur les ruines Qu'entassèrent ses mains, Attendant sur le seuil tes oeuvres éphémères; Et la mort étouffant, dès le sein de leurs mères, Les germes des humains! La vertu succombant sous l'audace impunie, L'imposture en honneur, la vérité bannie; L'errante liberté Aux dieux vivants du monde offerte en sacrifice; Et la force, partout, fondant de l'injustice Le règne illimité. La valeur sans les dieux décidant des batailles! Un Caton libre encor déchirant ses entrailles Sur la foi de Platon! Un Brutus qui, mourant pour la vertu qu'il aime, Doute au dernier moment de cette vertu même, Et dit : Tu n'es qu'un nom!... La fortune toujours du parti des grands crimes! Les forfaits couronnés devenus légitimes! La gloire au prix du sang! Les enfants héritant l'iniquité des pères! Et le siècle qui meurt racontant ses misères Au siècle renaissant! Eh quoi! tant de tourments, de forfaits, de supplices, N'ont-ils pas fait fumer d'assez de sacrifices Tes lugubres autels? Ce soleil, vieux témoin des malheurs de la terre, Ne fera-t-il pas naître un seul jour qui n'éclaire L'angoisse des mortels? Héritiers des douleurs, victimes de la vie, Non, non, n'espérez pas que sa rage assouvie Endorme le Malheur! Jusqu'à ce que la Mort, ouvrant son aile immense, Engloutisse à jamais dans l'éternel silence L'éternelle douleur! VIII La providence à l'homme Quoi! le fils du néant a maudit l'existence! Quoi! tu peux m'accuser de mes propres bienfaits! Tu peux fermer tes yeux à la magnificence Des dons que je t'ai faits! Tu n'étais pas encor, créature insensée, Déjà de ton bonheur j'enfantais le dessein; Déjà, comme son fruit, l'éternelle pensée Te portait dans son sein. Oui, ton être futur vivait dans ma mémoire; Je préparais les temps selon ma volonté. Enfin ce jour parut; je dis : Nais pour ma gloire Et ta félicité! Tu naquis : ma tendresse, invisible et présente, Ne livra pas mon oeuvre aux chances du hasard; J'échauffai de tes sens la sève languissante, Des feux de mon regard. D'un lait mystérieux je remplis la mamelle; Tu t'enivras sans peine à ces sources d'amour. J'affermis les ressorts, j'arrondis la prunelle Où se peignit le jour. Ton âme, quelque temps par les sens éclipsée, Comme tes yeux au jour, s'ouvrit à la raison : Tu pensas; la parole acheva ta pensée, Et j'y gravai mon nom. En quel éclatant caractère Ce grand nom s'offrit à tes yeux! Tu vis ma bonté sur la terre, Tu lus ma grandeur dans les cieux! L'ordre était mon intelligence; La nature, ma providence; L'espace, mon immensité! Et, de mon être ombre altérée, Le temps te peignit ma durée, Et le destin, ma volonté! Tu m'adoras dans ma puissance, Tu me bénis dans ton bonheur, Et tu marchas en ma présence Dans la simplicité du coeur; Mais aujourd'hui que l'infortune A couvert d'une ombre importune Ces vives clartés du réveil, Ta voix m'interroge et me blâme, Le nuage couvre ton âme, Et tu ne crois plus au soleil. "Non, tu n'es plus qu'un grand problème Que le sort offre à la raison; Si ce monde était ton emblème, Ce monde serait juste et bon." Arrête, orgueilleuse pensée; A la loi que je t'ai tracée Tu prétends comparer ma loi? Connais leur différence auguste : Tu n'as qu'un jour pour être juste, J'ai l'éternité devant moi! Quand les voiles de ma sagesse A tes yeux seront abattus, Ces maux, dont gémit ta faiblesse, Seront transformés en vertus, De ces obscurités cessantes Tu verras sortir triomphantes Ma justice et ta liberté; C'est la flamme qui purifie Le creuset divin où la vie Se change en immortalité! Mais ton coeur endurci doute et murmure encore; Ce jour ne suffit pas à tes yeux révoltés, Et dans la nuit des sens tu voudrais voir éclore De l'éternelle aurore Les célestes clartés! Attends; ce demi-jour, mêlé d'une ombre obscure, Suffit pour te guider en ce terrestre lieu : Regarde qui je suis, et marche sans murmure, Comme fait la nature Sur la foi de son Dieu. La terre ne sait pas la loi qui la féconde; L'océan, refoulé sous mon bras tout-puissant, Sait-il comment au gré du nocturne croissant De sa prison profonde La mer vomit son onde, Et des bords qu'elle inonde Recule en mugissant? Ce soleil éclatant, ombre de ma lumière, Sait-il où le conduit le signe de ma main? S'est-il tracé soi-même un glorieux chemin? Au bout de sa carrière, Quand j'éteins sa lumière, Promet-il à la terre Le soleil de demain? Cependant tout subsiste et marche en assurance. Ma voix chaque matin réveille l'univers! J'appelle le soleil du fond de ses déserts : Franchissant la distance, Il monte en ma présence, Me répond, et s'élance Sur le trône des airs! Et toi, dont mon souffle est la vie; Toi, sur qui mes yeux sont ouverts, Peux-tu craindre que je t'oublie, Homme, roi de cet univers? Crois-tu que ma vertu sommeille? Non, mon regard immense veille Sur tous les mondes à la fois! La mer qui fuit à ma parole, Ou la poussière qui s'envole, Suivent et comprennent mes lois. Marche au flambeau de l'espérance Jusque dans l'ombre du trépas, Assuré que ma providence Ne tend point de piège à tes pas. Chaque aurore la justifie, L'univers entier s'y confie, Et l'homme seul en a douté! Mais ma vengeance paternelle Confondra ce doute infidèle Dans l'abîme de ma bonté. IX Souvenir En vain le jour succède au jour, Ils glissent sans laisser de trace; Dans mon âme rien ne t'efface, Ô dernier songe de l'amour! Je vois mes rapides années S'accumuler derrière moi, Comme le chêne autour de soi Voit tomber ses feuilles fanées. Mon front est blanchi par le temps; Mon sang refroidi coule à peine, Semblable à cette onde qu'enchaîne Le souffle glacé des autans. Mais ta jeune et brillante image, Que le regret vient embellir, Dans mon sein ne saurait vieillir : Comme l'âme, elle n'a point d'âge. Non, tu n'as pas quitté mes yeux; Et quand mon regard solitaire Cessa de te voir sur la terre, Soudain je te vis dans les cieux. Là, tu m'apparais telle encore Que tu fus à ce dernier jour, Quand vers ton céleste séjour Tu t'envolas avec l'aurore. Ta pure et touchante beauté Dans les cieux même t'a suivie; Tes yeux, où s'éteignait la vie, Rayonnent d'immortalité! Du zéphyr l'amoureuse haleine Soulève encor tes longs cheveux; Sur ton sein leurs flots onduleux Retombent en tresses d'ébène. L'ombre de ce voile incertain Adoucit encor ton image, Comme l'aube qui se dégage Des derniers voiles du matin. Du soleil la céleste flamme Avec les jours revient et fuit; Mais mon amour n'a pas de nuit, Et tu luis toujours sur mon âme. C'est toi que j'entends, que je vois, Dans le désert, dans le nuage; L'onde réfléchit ton image; Le zéphyr m'apporte ta voix. Tandis que la terre sommeille, Si j'entends le vent soupirer, Je crois t'entendre murmurer Des mots sacrés à mon oreille. Si j'admire ces feux épars Qui des nuits parsèment le voile, Je crois te voir dans chaque étoile Qui plaît le plus à mes regards. Et si le souffle du zéphyr M'enivre du parfum des fleurs, Dans ses plus suaves odeurs C'est ton souffle que je respire. C'est ta main qui sèche mes pleurs, Quand je vais, triste et solitaire, Répandre en secret ma prière Près des autels consolateurs. Quand je dors, tu veilles dans l'ombre; Tes ailes reposent sur moi; Tous mes songes viennent de toi, Doux comme le regard d'une ombre. Pendant mon sommeil, si ta main De mes jours déliait la trame, Céleste moitié de mon âme, J'irais m'éveiller dans ton sein! Comme deux rayons de l'aurore, Comme deux soupirs confondus, Nos deux âmes ne forment plus Qu'une âme, et je soupire encore! X Ode Delicta majorum immeritus lues HORAT., od. VI, lib. III. Peuple! des crimes de tes pères Le Ciel punissant tes enfants, De châtiments héréditaires Accablera leurs descendants! Jusqu'à ce qu'une main propice Relève l'auguste édifice Par qui la terre touche aux cieux, Et que le zèle et la prière Dissipent l'indigne poussière Qui couvre l'image des dieux! Sortez de vos débris antiques, Temples que pleurait Israël; Relevez-vous, sacrés portiques; Lévites, montez à l'autel! Aux sons des harpes de Solime, Que la renaissante victime S'immole sous vos chastes mains! Et qu'avec les pleurs de la terre Son sang éteigne le tonnerre Qui gronde encor sur les humains! Plein d'une superbe folie, Ce peuple au front audacieux S'est dit un jour : "Dieu m'humilie; Soyons à nous-mêmes nos dieux. Notre intelligence sublime A sondé le ciel et l'abîme Pour y chercher ce grand esprit! Mais ni dans les flancs de la terre, Mais ni dans les feux de la sphère, Son nom pour nous ne fut écrit. "Déjà nous enseignons au monde A briser le sceptre des rois; Déjà notre audace profonde Se rit du joug usé des lois. Secouez, malheureux esclaves, Secouez d'indignes entraves. Rentrez dans votre liberté! Mortel! du jour où tu respires, Ta loi, c'est ce que tu désires; Ton devoir, c'est la volupté! "Ta pensée a franchi l'espace, Tes calculs précèdent les temps, La foudre cède à ton audace, Les cieux roulent tes chars flottants; Comme un feu que tout alimente, Ta raison, sans cesse croissante, S'étendra sur l'immensité! Et ta puissance, qu'elle assure, N'aura de terme et de mesure Que l'espace et l'éternité. "Heureux nos fils! heureux cet âge Qui, fécondé par nos leçons, Viendra recueillir l'héritage Des dogmes que nous lui laissons! Pourquoi les jalouses années Bornent-elles nos destinées A de si rapides instants? Ô loi trop injuste et trop dure! Pour triompher de la nature Que nous a-t-il manqué? le temps." Eh bien! le temps sur vos poussières A peine encore a fait un pas! Sortez, ô mânes de nos pères, Sortez de la nuit du trépas! Venez contempler votre ouvrage! Venez partager de cet âge La gloire et la félicité! Ô race en promesses féconde, Paraissez! bienfaiteurs du monde, Voilà votre postérité! Que vois-je? ils détournent la vue, Et, se cachant sous leurs lambeaux, Leur foule, de honte éperdue, Fuit et rentre dans les tombeaux! Non, non, restez, ombres coupables; Auteurs de nos jours déplorables, Restez! ce supplice est trop doux. Le Ciel, trop lent à vous poursuivre, Devait vous condamner à vivre Dans le siècle enfanté par vous! Où sont-ils, ces jours où la France, A la tête des nations, Se levait comme un astre immense Inondant tout de ses rayons? Parmi nos siècles, siècle unique, De quel cortège magnifique La gloire composait ta cour! Semblable au dieu qui nous éclaire, Ta grandeur étonnait la terre, Dont tes clartés étaient l'amour! Toujours les siècles du génie Sont donc les siècles des vertus! Toujours les dieux de l'harmonie Pour les héros sont descendus! Près du trône qui les inspire, Voyez-les déposer la lyre Dans de pures et chastes mains, Et les Racine et les Turenne Enchaîner les grâces d'Athène Au char triomphant des Romains! Mais, ô déclin! quel souffle aride De notre âge a séché les fleurs? Eh quoi ! le lourd compas d'Euclide Etouffe nos arts enchanteurs! Elans de l'âme et du génie! Des calculs la froide manie Chez nos pères vous remplaça : Ils posèrent sur la nature Le doigt glacé qui la mesure, Et la nature se glaça! Et toi, prêtresse de la terre, Vierge du Pinde ou de Sion, Tu fuis ce globe de matière, Privé de ton dernier rayon! Ton souffle divin se retire De ces coeurs flétris, que la lyre N'émeut plus de ses sons touchants! Et pour son Dieu qui le contemple, Sans toi l'univers est un temple Qui n'a plus ni parfums ni chants! Pleurons donc, enfants de nos pères! Pleurons! de deuil couvrons nos fronts! Lavons dans nos larmes amères Tant d'irréparables affronts! Comme les fils d'Héliodore, Rassemblons du soir à l'aurore Les débris du temple abattu! Et sous ces cendres criminelles Cherchons encor les étincelles Du génie et de la vertu! XI L'enthousiasme Ainsi, quand l'aigle du tonnerre Enlevait Ganymède aux cieux, L'enfant, s'attachant à la terre, Luttait contre l'oiseau des dieux; Mais entre ses serres rapides L'aigle pressant ses flancs timides, L'arrachait aux champs paternels; Et, sourd à la voix qui l'implore, Il le jetait, tremblant encore, Jusques aux pieds des immortels. Ainsi quand tu fonds sur mon âme, Enthousiasme, aigle vainqueur, Au bruit de tes ailes de flamme Je frémis d'une sainte horreur; Je me débats sous ta puissance, Je fuis, je crains que ta présence N'anéantisse un coeur mortel, Comme un feu que la foudre allume, Qui ne s'éteint plus, et consume Le bûcher, le temple et l'autel. Mais à l'essor de la pensée L'instinct des sens s'oppose en vain; Sous le dieu, mon âme oppressée Bondit, s'élance, et bat mon sein. La foudre en mes veines circule : Etonné du feu qui me brûle, Je l'irrite en le combattant, Et la lave de mon génie Déborde en torrents d'harmonie, Et me consume en s'échappant. Muse, contemple ta victime! Ce n'est plus ce front inspiré, Ce n'est plus ce regard sublime Qui lançait un rayon sacré : Sous ta dévorante influence, A peine un reste d'existence A ma jeunesse est échappé. Mon front, que la pâleur efface, Ne conserve plus que la trace De la foudre qui m'a frappé. Heureux le poète insensible! Son luth n'est point baigné de pleurs, Son enthousiasme paisible N'a point ces tragiques fureurs. De sa veine féconde et pure Coulent, avec nombre et mesure, Des ruisseaux de lait et de miel; Et ce pusillanime Icare, Trahi par l'aile de Pindare, Ne retombe jamais du ciel. Mais nous, pour embraser les âmes, Il faut brûler, il faut ravir Au ciel jaloux ses triples flammes. Pour tout peindre, il faut tout sentir. Foyers brûlants de la lumière, Nos coeurs de la nature entière Doivent concentrer les rayons; Et l'on accuse notre vie! Mais ce flambeau qu'on nous envie S'allume au feu des passions. Non, jamais un sein pacifique N'enfanta ces divins élans, Ni ce désordre sympathique Qui soumet le monde à nos chants. Non, non, quand l'Apollon d'Homère, Pour lancer ses traits sur la terre, Descendait des sommets d'Eryx, Volant aux rives infernales, Il trempait ses armes fatales Dans les eaux bouillantes du Styx. Descendez de l'auguste cime Qu'indignent de lâches transports! Ce n'est que d'un luth magnanime Que partent les divins accords. Le coeur des enfants de la lyre Ressemble au marbre qui soupire Sur le sépulcre de Memnon; Pour lui donner la voix et l'âme, Il faut que de sa chaste flamme L'oeil du jour lui lance un rayon. Et tu veux qu'éveillant encore Des feux sous la cendre couverts, Mon reste d'âme s'évapore En accents perdus dans les airs! La gloire est le rêve d'une ombre; Elle a trop retranché le nombre Des jours qu'elle devait charmer. Tu veux que je lui sacrifie Ce dernier souffle de ma vie! Je veux le garder pour aimer. XII La retraite A M. de C*** Aux bords de ton lac enchanté, Loin des sots préjugés que l'erreur déifie, Couvert du bouclier de ta philosophie, Le temps n'emporte rien de ta félicité; Ton matin fut brillant; et ma jeunesse envie L'azur calme et serein du beau soir de ta vie! Ce qu'on appelle nos beaux jours N'est qu'un éclair brillant dans une nuit d'orage, Et rien, excepté nos amours, N'y mérite un regret du sage; Mais, que dis-je? on aime à tout âge : Ce feu durable et doux, dans l'âme renfermé, Donne plus de chaleur en jetant moins de flamme; C'est le souffle divin dont tout l'homme est formé, Il ne s'éteint qu'avec son âme. Etendre son esprit, resserrer ses désirs, C'est là ce grand secret ignoré du vulgaire : Tu le connais, ami; cet heureux coin de terre Renferme tes amours, tes goûts et tes plaisirs; Tes voeux ne passent point ton champêtre domaine, Mais ton esprit plus vaste étend son horizon, Et, du monde embrassant la scène, Le flambeau de l'étude éclaire ta raison. Tu vois qu'aux bords du Tibre, et du Nil et du Gange, En tous lieux, en tous temps, sous des masques divers, L'homme partout est l'homme, et qu'en cet univers, Dans un ordre éternel tout passe et rien ne change; Tu vois les nations s'éclipser tour à tour Comme les astres dans l'espace, De mains en mains le sceptre passe, Chaque peuple a son siècle, et chaque homme a son jour; Sujets à cette loi suprême, Empire, gloire, liberté, Tout est par le temps emporté, Le temps emporta les dieux même De la crédule antiquité, Et ce que des mortels dans leur orgueil extrême Osaient nommer la vérité. Au milieu de ce grand nuage, Réponds-moi : que fera le sage Toujours entre le doute et l'erreur combattu? Content du peu de jours qu'il saisit au passage, Il se hâte d'en faire usage Pour le bonheur et la vertu. J'ai vu ce sage heureux; dans ses belles demeures J'ai goûté l'hospitalité, A l'ombre du jardin que ses mains ont planté, Aux doux sons de sa lyre il endormait les heures En chantant sa félicité. Soyez touché, grand Dieu, de sa reconnaissance. Il ne vous lasse point d'un inutile voeu; Gardez-lui seulement sa rustique opulence, Donnez tout à celui qui vous demande peu. Des doux objets de sa tendresse Qu'à son riant foyer toujours environné, Sa femme et ses enfants couronnent sa vieillesse, Comme de ses fruits mûrs un arbre est couronné. Que sous l'or des épis ses collines jaunissent; Qu'au pied de son rocher son lac soit toujours pur; Que de ses beaux jasmins les ombres s'épaississent; Que son soleil soit doux, que son ciel soit d'azur, Et que pour l'étranger toujours ses vins mûrissent. Pour moi, loin de ce port de la félicité, Hélas! par la jeunesse et l'espoir emporté, Je vais tenter encore et les flots et l'orage; Mais, ballotté par l'onde et fatigué du vent, Au pied de ton rocher sauvage, Ami, je reviendrai souvent Rattacher, vers le soir, ma barque à ton rivage. XIII Le lac Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages, Dans la nuit éternelle emportés sans retour, Ne pourrons-nous jamais sur l'océan des âges Jeter l'ancre un seul jour? O lac! l'année à peine a fini sa carrière, Et près des flots chéris qu'elle devait revoir, Regarde! je viens seul m'asseoir sur cette pierre Où tu la vis s'asseoir! Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes; Ainsi tu te brisais sur leurs flancs déchirés; Ainsi le vent jetait l'écume de tes ondes Sur ses pieds adorés. Un soir, t'en souvient-il? nous voguions en silence, On n'entendait au loin, sur l'onde et sous les cieux, Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence Tes flots harmonieux. Tout à coup des accents inconnus à la terre Du rivage charmé frappèrent les échos; Le flot fut attentif, et la voix qui m'est chère Laissa tomber ces mots : "O temps, suspends ton vol! et vous, heures propices Suspendez votre cours : Laissez-nous savourer les rapides délices Des plus beaux de nos jours! "Assez de malheureux ici-bas vous implorent, Coulez, coulez pour eux; Prenez avec leurs jours les soins qui les dévorent, Oubliez les heureux. "Mais je demande en vain quelques moments encore, Le temps m'échappe et fuit; Je dis à cette nuit : Sois plus lente; et l'aurore Va dissiper la nuit. "Aimons donc, aimons donc! de l'heure fugitive, Hâtons-nous, jouissons! L'homme n'a point de port, le temps n'a point de rive; Il coule, et nous passons!" Temps jaloux, se peut-il que ces moments d'ivresse, Où l'amour à longs flots nous verse le bonheur, S'envolent loin de nous de la même vitesse Que les jours de malheur? Eh quoi! n'en pourrons-nous fixer au moins la trace? Quoi! passés pour jamais? quoi! tout entiers perdus? Ce temps qui les donna, ce temps qui les efface, Ne nous les rendra plus? Éternité, néant, passé, sombres abîmes, Que faites-vous des jours que vous engloutissez? Parlez : nous rendrez-vous ces extases sublimes Que vous nous ravissez? O lac! rochers muets! grottes! forêt obscure! Vous, que le temps épargne ou qu'il peut rajeunir, Gardez de cette nuit, gardez, belle nature, Au moins le souvenir! Qu'il soit dans ton repos, qu'il soit dans tes orages, Beau lac, et dans l'aspect de tes riants coteaux, Et dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvages Qui pendent sur tes eaux. Qu'il soit dans le zéphyr qui frémit et qui passe, Dans les bruits de tes bords par tes bords répétés, Dans l'astre au front d'argent qui blanchit ta surface De ses molles clartés. Que le vent qui gémit, le roseau qui soupire Que les parfums légers de ton air embaumé, Que tout ce qu'on entend, l'on voit ou l'on respire, Tout dise : Ils ont aimé! XIV La gloire A un poète exilé Généreux favoris des filles de mémoire, Deux sentiers différents devant vous vont s'ouvrir : L'un conduit au bonheur, l'autre mène à la gloire; Mortels, il faut choisir. Ton sort, ô Manoel, suivit la loi commune; La muse t'enivra de précoces faveurs; Tes jours furent tissus de gloire et d'infortune, Et tu verses des pleurs! Rougis plutôt, rougis d'envier au vulgaire Le stérile repos dont son coeur est jaloux : Les dieux ont fait pour lui tous les biens de la terre, Mais la lyre est à nous. Les siècles sont à toi, le monde est ta patrie. Quand nous ne sommes plus, notre ombre a des autels Où le juste avenir prépare à ton génie Des honneurs immortels. Ainsi l'aigle superbe au séjour du tonnerre S'élance; et, soutenant son vol audacieux, Semble dire aux mortels : Je suis né sur la terre, Mais je vis dans les cieux. Oui, la gloire t'attend; mais arrête, et contemple A quel prix on pénètre en ses parvis sacrés; Vois : l'infortune, assise à la porte du temple, En garde les degrés. Ici, c'est ce vieillard que l'ingrate Ionie A vu de mers en mers promener ses malheurs : Aveugle, il mendiait au prix de son génie Un pain mouillé de pleurs. Là, le Tasse, brûlé d'une flamme fatale, Expiant dans les fers sa gloire et son amour, Quand il va recueillir la palme triomphale, Descend au noir séjour. Partout des malheureux, des proscrits, des victimes, Luttant contre le sort ou contre les bourreaux; On dirait que le ciel aux coeurs plus magnanimes Mesure plus de maux. Impose donc silence aux plaintes de ta lyre, Des coeurs nés sans vertu l'infortune est l'écueil; Mais toi, roi détrôné, que ton malheur t'inspire Un généreux orgueil! Que t'importe après tout que cet ordre barbare T'enchaîne loin des bords qui furent ton berceau? Que t'importe en quels lieux le destin te prépare Un glorieux tombeau? Ni l'exil, ni les fers de ces tyrans du Tage N'enchaîneront ta gloire aux bords où tu mourras : Lisbonne la réclame, et voilà l'héritage Que tu lui laisseras! Ceux qui l'ont méconnu pleureront le grand homme; Athène à des proscrits ouvre son Panthéon; Coriolan expire, et les enfants de Rome Revendiquent son nom. Aux rivages des morts avant que de descendre, Ovide lève au ciel ses suppliantes mains : Aux Sarmates grossiers il a légué sa cendre, Et sa gloire aux Romains. XV Ode sur la naissance du Duc de Bordeaux Versez du sang! frappez encore! Plus vous retranchez ses rameaux, Plus le tronc sacré voit éclore Ses rejetons toujours nouveaux! Est-ce un dieu qui trompe le crime ? Toujours d'une auguste victime Le sang est fertile en vengeur! Toujours échappé d'Athalie Quelque enfant que le fer oublie Grandit à l'ombre du Seigneur! Il est né l'enfant du miracle! Héritier du sang d'un martyr, Il est né d'un tardif oracle, Il est né d'un dernier soupir! Aux accents du bronze qui tonne La France s'éveille et s'étonne Du fruit que la mort a porté! Jeux du sort! merveilles divines! Ainsi fleurit sur des ruines Un lis que l'orage a planté. Il vient, quand les peuples victimes Du sommeil de leurs conducteurs, Errent aux penchants des abîmes Comme des troupeaux sans pasteurs! Entre un passé qui s'évapore, Vers un avenir qu'il ignore, L'homme nage dans un chaos! Le doute égare sa boussole, Le monde attend une parole, La terre a besoin d'un héros! Courage ! c'est ainsi qu'ils naissent! C'est ainsi que dans sa bonté Un dieu les sème! Ils apparaissent Sur des jours de stérilité! Ainsi, dans une sainte attente, Quand des pasteurs la troupe errante Parlait d'un Moïse nouveau, De la nuit déchirant le voile, Une mystérieuse étoile Les conduisit vers un berceau! Sacré berceau! frêle espérance Qu'une mère tient dans ses bras! Déjà tu rassures la France, Les miracles ne trompent pas! Confiante dans son délire, A ce berceau déjà ma lyre Ouvre un avenir triomphant; Et, comme ces rois de l'Aurore, Un instinct que mon âme ignore Me fait adorer un enfant! Comme l'orphelin de Pergame, Il verra près de son berceau Un roi, des princes, une femme, Pleurer aussi sur un tombeau! Bercé sur le sein de sa mère, S'il vient à demander son père, Il verra se baisser leurs yeux! Et cette veuve inconsolée, En lui cachant le mausolée, Du doigt lui montrera les cieux! Jeté sur le déclin des âges, Il verra l'empire sans fin, Sorti de glorieux orages, Frémir encor de son déclin. Mais son glaive aux champs de victoire Nous rappellera la mémoire Des destins promis à Clovis, Tant que le tronçon d'une épée, D'un rayon de gloire frappée, Brillerait aux mains de ses fils! Sourd aux leçons efféminées Dont le siècle aime à les nourrir, Il saura que les destinées Font roi, pour régner ou mourir; Que des vieux héros de sa race Le premier titre fut l'audace, Et le premier trône un pavois; Et qu'en vain l'humanité crie : Le sang versé pour la patrie Est toujours la pourpre des rois! Tremblant à la voix de l'histoire, Ce juge vivant des humains, Français! il saura que la gloire Tient deux flambeaux entre ses mains L'un, d'une sanglante lumière Sillonne l'horrible carrière Des peuples par le crime heureux; Semblable aux torches des furies Que jadis les fameux impies Sur leurs pas traînaient après eux! L'autre, du sombre oubli des âges, Tombeau des peuples et des rois, Ne sauve que les siècles sages, Et les légitimes exploits : Ses clartés immenses et pures, Traversant les races futures, Vont s'unir au jour éternel; Pareil à ces feux pacifiques, Ô Vesta! que des mains pudiques Entretenaient sur ton autel! Il saura qu'aux jours où nous sommes, Pour vieillir au trône des rois, Il faut montrer aux yeux des hommes Ses vertus auprès de ses droits; Qu'assis à ce degré suprême, Il faut s'y défendre soi-même, Comme les dieux sur leurs autels; Rappeler en tout leur image, Et faire adorer le nuage Qui les sépare des mortels! Au pied du trône séculaire Où s'assied un autre Nestor, De la tempête populaire Le flot calmé murmure encor! Ce juste, que le ciel contemple, Lui montrera par son exemple Comment, sur les écueils jeté, On élève sur le rivage, Avec les débris du naufrage, Un temple à l'immortalité! Ainsi s'expliquaient sur ma lyre Les destins présents à mes yeux; Et tout secondait mon délire, Et sur la terre, et dans les cieux! Le doux regard de l'espérance Eclairait le deuil de la France : Comme, après une longue nuit, Sortant d'un berceau de ténèbres, L'aube efface les pas funèbres De l'ombre obscure qui s'enfuit. XVI La prière Le roi brillant du jour, se couchant dans sa gloire, Descend avec lenteur de son char de victoire. Le nuage éclatant qui le cache à nos yeux Conserve en sillons d'or sa trace dans les cieux, Et d'un reflet de pourpre inonde l'étendue. Comme une lampe d'or, dans l'azur suspendue, La lune se balance aux bords de l'horizon; Ses rayons affaiblis dorment sur le gazon, Et le voile des nuits sur les monts se déplie : C'est l'heure où la nature, un moment recueillie, Entre la nuit qui tombe et le jour qui s'enfuit, S'élève au Créateur du jour et de la nuit, Et semble offrir à Dieu, dans son brillant langage, De la création le magnifique hommage. Voilà le sacrifice immense, universel! L'univers est le temple, et la terre est l'autel; Les cieux en sont le dôme : et ces astres sans nombre, Ces feux demi-voilés, pâle ornement de l'ombre, Dans la voûte d'azur avec ordre semés, Sont les sacrés flambeaux pour ce temple allumés : Et ces nuages purs qu'un jour mourant colore, Et qu'un souffle léger, du couchant à l'aurore, Dans les plaines de l'air, repliant mollement, Roule en flocons de pourpre aux bords du firmament, Sont les flots de l'encens qui monte et s'évapore Jusqu'au trône du Dieu que la nature adore. Mais ce temple est sans voix. Où sont les saints concerts ? D'où s'élèvera l'hymne au roi de l'univers? Tout se tait : mon coeur seul parle dans ce silence. La voix de l'univers, c'est mon intelligence. Sur les rayons du soir, sur les ailes du vent, Elle s'élève à Dieu comme un parfum vivant; Et, donnant un langage à toute créature, Prête pour l'adorer mon âme à la nature. Seul, invoquant ici son regard paternel, Je remplis le désert du nom de l'Eternel; Et celui qui, du sein de sa gloire infinie, Des sphères qu'il ordonne écoute l'harmonie, Ecoute aussi la voix de mon humble raison, Qui contemple sa gloire et murmure son nom. Salut, principe et fin de toi-même et du monde, Toi qui rends d'un regard l'immensité féconde; Ame de l'univers, Dieu, père, créateur, Sous tous ces noms divers je crois en toi, Seigneur; Et, sans avoir besoin d'entendre ta parole, Je lis au front des cieux mon glorieux symbole. L'étendue à mes yeux révèle ta grandeur, La terre ta bonté, les astres ta splendeur. Tu t'es produit toi-même en ton brillant ouvrage; L'univers tout entier réfléchit ton image, Et mon âme à son tour réfléchit l'univers. Ma pensée, embrassant tes attributs divers, Partout autour de soi te découvre et t'adore, Se contemple soi-même et t'y découvre encore : Ainsi l'astre du jour éclate dans les cieux, Se réfléchit dans l'onde et se peint à mes yeux. C'est peu de croire en toi, bonté, beauté suprême; Je te cherche partout, j'aspire à toi, je t'aime; Mon âme est un rayon de lumière et d'amour Qui, du foyer divin, détaché pour un jour, De désirs dévorants loin de toi consumée, Brûle de remonter à sa source enflammée. Je respire, je sens, je pense, j'aime en toi. Ce monde qui te cache est transparent pour moi; C'est toi que je découvre au fond de la nature, C'est toi que je bénis dans toute créature. Pour m'approcher de toi, j'ai fui dans ces déserts; Là, quand l'aube, agitant son voile dans les airs, Entr'ouvre l'horizon qu'un jour naissant colore, Et sème sur les monts les perles de l'aurore, Pour moi c'est ton regard qui, du divin séjour, S'entr'ouvre sur le monde et lui répand le jour : Quand l'astre à son midi, suspendant sa carrière, M'inonde de chaleur, de vie et de lumière, Dans ses puissants rayons, qui raniment mes sens, Seigneur, c'est ta vertu, ton souffle que je sens; Et quand la nuit, guidant son cortège d'étoiles, Sur le monde endormi jette ses sombres voiles, Seul, au sein du désert et de l'obscurité, Méditant de la nuit la douce majesté, Enveloppé de calme, et d'ombre, et de silence, Mon âme, de plus près, adore ta présence; D'un jour intérieur je me sens éclairer, Et j'entends une voix qui me dit d'espérer. Oui, j'espère, Seigneur, en ta magnificence : Partout à pleines mains prodiguant l'existence, Tu n'auras pas borné le nombre de mes jours A ces jours d'ici-bas, si troublés et si courts. Je te vois en tous lieux conserver et produire; Celui qui peut créer dédaigne de détruire. Témoin de ta puissance et sûr de ta bonté, J'attends le jour sans fin de l'immortalité. La mort m'entoure en vain de ses ombres funèbres, Ma raison voit le jour à travers ces ténèbres. C'est le dernier degré qui m'approche de toi, C'est le voile qui tombe entre ta face et moi. Hâte pour moi, Seigneur, ce moment que j'implore; Ou, si dans tes secrets tu le retiens encore, Entends du haut du ciel le cri de mes besoins; L'atome et l'univers sont l'objet de tes soins, Des dons de ta bonté soutiens mon indigence, Nourris mon corps de pain, mon âme d'espérance; Réchauffe d'un regard de tes yeux tout-puissants Mon esprit éclipsé par l'ombre de mes sens Et, comme le soleil aspire la rosée, Dans ton sein, à jamais, absorbe ma pensée. XVII Invocation O toi qui m'apparus dans ce désert du monde, Habitante du ciel, passagère en ces lieux! O toi qui fis briller dans cette nuit profonde Un rayon d'amour à mes yeux; A mes yeux étonnés montre-toi tout entière, Dis-moi quel est ton nom, ton pays, ton destin. Ton berceau fut-il sur la terre? Ou n'es-tu qu'un souffle divin? Vas-tu revoir demain l'éternelle lumière? Ou dans ce lieu d'exil, de deuil, et de misère, Dois-tu poursuivre encor ton pénible chemin? Ah! quel que soit ton nom, ton destin, ta patrie, Ou fille de la terre, ou du divin séjour, Ah! laisse-moi, toute ma vie, T'offrir mon culte ou mon amour. Si tu dois, comme nous, achever ta carrière, Sois mon appui, mon guide, et souffre qu'en tous lieux, De tes pas adorés je baise la poussière. Mais si tu prends ton vol, et si, loin de nos yeux, Soeur des anges, bientôt tu remontes près d'eux, Après m'avoir aimé quelques jours sur la terre, Souviens-toi de moi dans les cieux. XVIII La Foi O néant! ô seul Dieu que je puisse comprendre! Silencieux abîme où je vais redescendre, Pourquoi laissas-tu l'homme échapper de ta main? De quel sommeil profond je dormais dans ton sein! Dans l'éternel oubli j'y dormirais encore; Mes yeux n'auraient pas vu ce faux jour que j'abhorre, Et dans ta longue nuit, mon paisible sommeil N'aurait jamais connu ni songes, ni réveil. - Mais puisque je naquis, sans doute il fallait naître. Si l'on m'eût consulté, j'aurais refusé l'être. Vains regrets! le destin me condamnait au jour, Et je vins, ô soleil, te maudire à mon tour. - Cependant, il est vrai, cette première aurore, Ce réveil incertain d'un être qui s'ignore, Cet espace infini s'ouvrant devant ses yeux, Ce long regard de l'homme interrogeant les cieux, Ce vague enchantement, ces torrents d'espérance, Eblouissent les yeux au seuil de l'existence. Salut, nouveau séjour où le temps m'a jeté, Globe, témoin futur de ma félicité! Salut, sacré flambeau qui nourris la nature! Soleil, premier amour de toute créature! Vastes cieux, qui cachez le Dieu qui vous a faits! Terre, berceau de l'homme, admirable palais! Homme, semblable à moi, mon compagnon, mon frère! Toi plus belle à mes yeux, à mon âme plus chère! Salut, objets, témoins, instruments du bonheur! Remplissez vos destins, je vous apporte un coeur... - Que ce rêve est brillant! mais, hélas! c'est un rêve. Il commençait alors; maintenant il s'achève. La douleur lentement m'entr'ouvre le tombeau : Salut, mon dernier jour! sois mon jour le plus beau! J'ai vécu; j'ai passé ce désert de la vie, Où toujours sous mes pas chaque fleur s'est flétrie; Où toujours l'espérance, abusant ma raison, Me montrait le bonheur dans un vague horizon. Où du vent de la mort les brûlantes haleines Sous mes lèvres toujours tarissaient les fontaines. Qu'un autre, s'exhalant en regrets superflus, Redemande au passé ses jours qui ne sont plus, Pleure de son printemps l'aurore évanouie, Et consente à revivre une seconde vie : Pour moi, quand le destin m'offrirait à mon choix Le sceptre du génie, ou le trône des rois, La gloire, la beauté, les trésors, la sagesse, Et joindrait à ses dons l'éternelle jeunesse, J'en jure par la mort; dans un monde pareil, Non, je ne voudrais pas rajeunir d'un soleil. Je ne veux pas d'un monde où tout change, où tout passe; Où, jusqu'au souvenir, tout s'use et tout s'efface; Où tout est fugitif, périssable, incertain; Où le jour du bonheur n'a pas de lendemain! - Combien de fois ainsi, trompé par l'existence, De mon sein pour jamais j'ai banni l'espérance! Combien de fois ainsi mon esprit abattu A cru s'envelopper d'une froide vertu, Et, rêvant de Zénon la trompeuse sagesse, Sous un manteau stoïque a caché sa faiblesse! Dans son indifférence un jour enseveli, Pour trouver le repos il invoquait l'oubli. Vain repos! faux sommeil! - Tel qu'au pied des collines, Où Rome sort du sein de ses propres ruines, L'oeil voit dans ce chaos, confusément épars, D'antiques monuments, de modernes remparts, Des théâtres croulants, dont les frontons superbes Dorment dans la poussière ou rampent sous les herbes, Les palais des héros par les ronces couverts, Des dieux couchés au seuil de leurs temples déserts, L'obélisque éternel ombrageant la chaumière, La colonne portant une image étrangère, L'herbe dans le forum, les fleurs dans les tombeaux, Et ces vieux panthéons peuplés de dieux nouveaux; Tandis que, s'élevant de distance en distance, Un faible bruit de vie interrompt ce silence : Telle est notre âme, après ces longs ébranlements; Secouant la raison jusqu'en ses fondements, Le malheur n'en fait plus qu'une immense ruine, Où comme un grand débris le désespoir domine! De sentiments éteints silencieux chaos, Eléments opposés, sans vie et sans repos, Restes de passions par le temps effacées, Combat désordonné de voeux et de pensées, Souvenirs expirants, regrets, dégoûts, remords. Si du moins ces débris nous attestaient sa mort! Mais sous ce vaste deuil l'âme encore est vivante; Ce feu sans aliment soi-même s'alimente; Il renaît de sa cendre, et ce fatal flambeau Craint de brûler encore au-delà du tombeau. Ame! qui donc es-tu? flamme qui me dévore, Dois-tu vivre après moi? dois-tu souffrir encore? Hôte mystérieux, que vas-tu devenir? Au grand flambeau du jour vas-tu te réunir? Peut-être de ce feu tu n'es qu'une étincelle, Qu'un rayon égaré, que cet astre rappelle. Peut-être que, mourant lorsque l'homme est détruit, Tu n'es qu'un suc plus pur que la terre a produit, Une fange animée, une argile pensante... Mais que vois-je? à ce mot, tu frémis d'épouvante : Redoutant le néant, et lasse de souffrir, Hélas! tu crains de vivre et trembles de mourir. - Qui te révélera, redoutable mystère? J'écoute en vain la voix des sages de la terre : Le doute égare aussi ces sublimes esprits, Et de la même argile ils ont été pétris. Rassemblant les rayons de l'antique sagesse, Socrate te cherchait aux beaux jours de la Grèce; Platon à Sunium te cherchait après lui; Deux mille ans sont passés, je te cherche aujourd'hui; Deux mille ans passeront, et les enfants des hommes S'agiteront encor dans la nuit où nous sommes. La vérité rebelle échappe à nos regards, Et Dieu seul réunit tous ses rayons épars. - Ainsi, prêt à fermer mes yeux à la lumière, Nul espoir ne viendra consoler ma paupière : Mon âme aura passé, sans guide et sans flambeau De la nuit d'ici-bas dans la nuit du tombeau, Et j'emporte au hasard, au monde où je m'élance, Ma vertu sans espoir, mes maux sans récompense. Réponds-moi, Dieu cruel! S'il est vrai que tu sois, J'ai donc le droit fatal de maudire tes lois! Après le poids du jour, du moins le mercenaire Le soir s'assied à l'ombre, et reçoit son salaire : Et moi, quand je fléchis sous le fardeau du sort, Quand mon jour est fini, mon salaire est la mort. ..................................................... ..................................................... - Mais, tandis qu'exhalant le doute et le blasphème, Les yeux sur mon tombeau, je pleure sur moi-même, La foi, se réveillant, comme un doux souvenir, Jette un rayon d'espoir sur mon pâle avenir, Sous l'ombre de la mort me ranime et m'enflamme, Et rend à mes vieux jours la jeunesse de l'âme. Je remonte aux lueurs de ce flambeau divin, Du couchant de ma vie à son riant matin; J'embrasse d'un regard la destinée humaine; A mes yeux satisfaits tout s'ordonne et s'enchaîne; Je lis dans l'avenir la raison du présent; L'espoir ferme après moi les portes du néant, Et rouvrant l'horizon à mon âme ravie, M'explique par la mort l'énigme de la vie. Cette foi qui m'attend au bord de mon tombeau, Hélas! il m'en souvient, plana sur mon berceau. De la terre promise immortel héritage, Les pères à leurs fils l'ont transmis d'âge en âge. Notre esprit la reçoit à son premier réveil, Comme les dons d'en haut, la vie et le soleil; Comme le lait de l'âme, en ouvrant la paupière, Elle a coulé pour nous des lèvres d'une mère; Elle a pénétré l'homme en sa tendre saison; Son flambeau dans les coeurs précéda la raison. L'enfant, en essayant sa première parole, Balbutie au berceau son sublime symbole, Et, sous l'oeil maternel germant à son insu, Il la sent dans son coeur croître avec la vertu. Ah! si la vérité fut faite pour la terre, Sans doute elle a reçu ce simple caractère; Sans doute dès l'enfance offerte à nos regards, Dans l'esprit par les sens entrant de toutes parts, Comme les purs rayons de la céleste flamme Elle a dû dès l'aurore environner notre âme, De l'esprit par l'amour descendre dans les coeurs, S'unir au souvenir, se fondre dans les moeurs; Ainsi qu'un grain fécond que l'hiver couvre encore, Dans notre sein longtemps germer avant d'éclore, Et, quand l'homme a passé son orageux été, Donner son fruit divin pour l'immortalité. Soleil mystérieux! flambeau d'une autre sphère, Prête à mes yeux mourants ta mystique lumière, Pars du sein du Très-Haut, rayon consolateur. Astre vivifiant, lève-toi dans mon coeur! Hélas! je n'ai que toi; dans mes heures funèbres, Ma raison qui pâlit m'abandonne aux ténèbres; Cette raison superbe, insuffisant flambeau, S'éteint comme la vie aux portes du tombeau; Viens donc la remplacer, ô céleste lumière! Viens d'un jour sans nuage inonder ma paupière; Tiens-moi lieu du soleil que je ne dois plus voir, Et brille à l'horizon comme l'astre du soir. XIX Le Génie A M. de Bonald Impavidum ferient ruinae Ainsi, quand parmi les tempêtes, Au sommet brûlant du Sina, Jadis le plus grand des prophètes Gravait les tables de Juda; Pendant cet entretien sublime, Un nuage couvrait la cime Du mont inaccessible aux yeux, Et, tremblant aux coups du tonnerre, Juda, couché dans la poussière, Vit ses lois descendre des cieux. Ainsi des sophistes célèbres Dissipant les fausses clartés, Tu tires du sein des ténèbres D'éblouissantes vérités. Ce voile qui des lois premières Couvrait les augustes mystères, Se déchire et tombe à ta voix; Et tu suis ta route assurée, Jusqu'à cette source sacrée Où le monde a puisé ses lois. Assis sur la base immuable De l'éternelle vérité, Tu vois d'un oeil inaltérable Les phases de l'humanité. Secoués de leurs gonds antiques, Les empires, les républiques S'écroulent en débris épars; Tu ris des terreurs où nous sommes : Partout où nous voyons les hommes, Un Dieu se montre à tes regards! En vain par quelque faux système, Un système faux est détruit; Par le désordre à l'ordre même, L'univers moral est conduit. Et comme autour d'un astre unique, La terre, dans sa route oblique, Décrit sa route dans les airs; Ainsi, par une loi plus belle, Ainsi la justice éternelle Est le pivot de l'univers! Mais quoi! tandis que le génie Te ravit si loin de nos yeux, Les lâches clameurs de l'envie Te suivent jusque dans les cieux! Crois-moi, dédaigne d'en descendre; Ne t'abaisse pas pour entendre Ces bourdonnements détracteurs. Poursuis ta sublime carrière, Poursuis; le mépris du vulgaire Est l'apanage des grands coeurs. Objet de ses amours frivoles, Ne l'as-tu pas vu tour à tour Se forger de frêles idoles Qu'il adore et brise en un jour? N'as-tu pas vu son inconstance De l'héréditaire croyance Eteindre les sacrés flambeaux? Brûler ce qu'adoraient ses pères, Et donner le nom de lumières A l'épaisse nuit des tombeaux? Secouant ses antiques rênes, Mais par d'autres tyrans flatté, Tout meurtri du poids de ses chaînes, L'entends-tu crier : Liberté? Dans ses sacrilèges caprices, Le vois-tu, donnant à ses vices Les noms de toutes les vertus; Traîner Socrate aux gémonies, Pour faire, en des temples impies, L'apothéose d'Anitus? Si pour caresser sa faiblesse, Sous tes pinceaux adulateurs, Tu parais du nom de sagesse Les leçons de ses corrupteurs, Tu verrais ses mains avilies, Arrachant des palmes flétries De quelque front déshonoré, Les répandre sur ton passage. Et, changeant la gloire en outrage, T'offrir un triomphe abhorré! Mais loin d'abandonner la lice Où ta jeunesse a combattu, Tu sais que l'estime du vice Est un outrage à la vertu! Tu t'honores de tant de haine, Tu plains ces faibles coeurs qu'entraîne Le cours de leur siècle égaré; Et seul contre le flot rapide, Tu marches d'un pas intrépide Au but que la gloire a montré! Tel un torrent, fils de l'orage, En roulant du sommet des monts, S'il rencontre sur son passage Un chêne, l'orgueil des vallons; Il s'irrite, il écume, il gronde, Il presse des plis de son onde L'arbre vainement menacé; Mais debout parmi les ruines, Le chêne aux profondes racines Demeure; et le fleuve a passé! Toi donc, des mépris de ton âge Sans être jamais rebuté, Retrempe ton mâle courage Dans les flots de l'adversité! Pour cette lutte qui s'achève, Que la vérité soit ton glaive, La justice ton bouclier. Va! dédaigne d'autres armures; Et si tu reçois des blessures, Nous les couvrirons de laurier! Vois-tu dans la carrière antique, Autour des coursiers et des chars, Jaillir la poussière olympique Qui les dérobe à nos regards? Dans sa course ainsi le génie, Par les nuages de l'envie Marche longtemps environné; Mais au terme de la carrière, Des flots de l'indigne poussière Il sort vainqueur et couronné. XX Philosophie Au Marquis de L.M.F. Oh! qui m'emportera vers les tièdes rivages, Où l'Arno couronné de ses pâles ombrages, Aux murs des Médicis en sa course arrêté, Réfléchit le palais par un sage habité, Et semble, au bruit flatteur de son onde plus lente, Murmurer les grands noms de Pétrarque et du Dante? Ou plutôt, que ne puis-je, au doux tomber du jour, Quand le front soulagé du fardeau de la cour, Tu vas sous tes bosquets chercher ton Égérie, Suivre, en rêvant, tes pas de prairie en prairie; Jusqu'au modeste toit par tes mains embelli, Où tu cours adorer le silence et l'oubli! J'adore aussi ces dieux : depuis que la sagesse Aux rayons du malheur a mûri ma jeunesse, Pour nourrir ma raison des seuls fruits immortels, J'y cherche en soupirant l'ombre de leurs autels; Et, s'il est au sommet de la verte colline, S'il est sur le penchant du coteau qui s'incline, S'il est aux bords déserts du torrent ignoré Quelque rustique abri, de verdure entouré, Dont le pampre arrondi sur le seuil domestique Dessine en serpentant le flexible portique; Semblable à la colombe errante sur les eaux, Qui, des cèdres d'Arar découvrant les rameaux, Vola sur leur sommet poser ses pieds de rose, Soudain mon âme errante y vole et s'y repose! Aussi, pendant qu'admis dans les conseils des rois, Représentant d'un maître honoré par son choix, Tu tiens un des grands fils de la trame du monde; Moi, parmi les pasteurs, assis aux bords de l'onde, Je suis d'un oeil rêveur les barques sur les eaux; J'écoute les soupirs du vent dans les roseaux; Nonchalamment couché près du lit des fontaines, Je suis l'ombre qui tourne autour du tronc des chênes, Ou je grave un vain nom sur l'écorce des bois, Ou je parle à l'écho qui répond à ma voix, Ou dans le vague azur contemplant les nuages, Je laisse errer comme eux mes flottantes images; La nuit tombe, et le Temps, de son doigt redouté, Me marque un jour de plus que je n'ai pas compté! Quelquefois seulement quand mon âme oppressée Sent en rythmes nombreux déborder ma pensée; Au souffle inspirateur du soir dans les déserts, Ma lyre abandonnée exhale encor des vers! J'aime à sentir ces fruits d'une sève plus mûre, Tomber, sans qu'on les cueille, au gré de la nature, Comme le sauvageon secoué par les vents, Sur les gazons flétris, de ses rameaux mouvants Laisse tomber ces fruits que la branche abandonne, Et qui meurent au pied de l'arbre qui les donne! Il fut un temps, peut-être, où mes jours mieux remplis, Par la gloire éclairés, par l'amour embellis, Et fuyant loin de moi sur des ailes rapides, Dans la nuit du passé ne tombaient pas si vides. Aux douteuses clartés de l'humaine raison, Egaré dans les cieux sur les pas de Platon, Par ma propre vertu je cherchais à connaître Si l'âme est en effet un souffle du grand être; Si ce rayon divers, dans l'argile enfermé, Doit être par la mort éteint ou rallumé; S'il doit après mille ans revivre sur la terre; Ou si, changeant sept fois de destins et de sphère, Et montant d'astre en astre à son centre divin, D'un but qui fuit toujours il s'approche sans fin? Si dans ces changements nos souvenirs survivent? Si nos soins, nos amours, si nos vertus nous suivent? S'il est un juge assis aux portes des enfers, Qui sépare à jamais les justes des pervers? S'il est de saintes lois qui, du ciel émanées, Des empires mortels prolongent les années, Jettent un frein au peuple indocile à leur voix, Et placent l'équité sous la garde des rois? Ou si d'un dieu qui dort l'aveugle nonchalance Laisse au gré du destin trébucher sa balance, Et livre, en détournant ses yeux indifférents, La nature au hasard, et la terre aux tyrans? Mais ainsi que des cieux, où son vol se déploie, L'aigle souvent trompé redescend sans sa proie, Dans ces vastes hauteurs où mon oeil s'est porté Je n'ai rien découvert que doute et vanité! Et las d'errer sans fin dans des champs sans limite, Au seul jour où je vis, au seul bord que j'habite, J'ai borné désormais ma pensée et mes soins : Pourvu qu'un dieu caché fournisse à mes besoins! Pourvu que dans les bras d'une épouse chérie Je goûte obscurément les doux fruits de ma vie! Que le rustique enclos par mes pères planté Me donne un toit l'hiver, et de l'ombre l'été; Et que d'heureux enfants ma table couronnée D'un convive de plus se peuple chaque année! Ami! je n'irai plus ravir si loin de moi, Dans les secrets de Dieu ces comment, ces pourquoi, Ni du risible effort de mon faible génie, Aider péniblement la sagesse infinie! Vivre est assez pour nous; un plus sage l'a dit : Le soin de chaque jour à chaque jour suffit. Humble, et du saint des saints respectant les mystères, J'héritai l'innocence et le dieu de mes pères; En inclinant mon front j'élève à lui mes bras, Car la terre l'adore et ne le comprend pas : Semblable à l'Alcyon, que la mer dorme ou gronde, Qui dans son nid flottant s'endort en paix sur l'onde, Me reposant sur Dieu du soin de me guider A ce port invisible où tout doit aborder, Je laisse mon esprit, libre d'inquiétude, D'un facile bonheur faisant sa seule étude, Et prêtant sans orgueil la voile à tous les vents, Les yeux tournés vers lui, suivre le cours du temps. Toi, qui longtemps battu des vents et de l'orage, Jouissant aujourd'hui de ce ciel sans nuage, Du sein de ton repos contemples du même oeil Nos revers sans dédain, nos erreurs sans orgueil; Dont la raison facile, et chaste sans rudesse, Des sages de ton temps n'a pris que la sagesse, Et qui reçus d'en haut ce don mystérieux De parler aux mortels dans la langue des dieux; De ces bords enchanteurs où ta voix me convie, Où s'écoule à flots purs l'automne de ta vie, Où les eaux et les fleurs, et l'ombre, et l'amitié, De tes jours nonchalants usurpent la moitié, Dans ces vers inégaux que ta muse entrelace, Dis-nous, comme autrefois nous l'aurait dit Horace, Si l'homme doit combattre ou suivre son destin? Si je me suis trompé de but ou de chemin? S'il est vers la sagesse une autre route à suivre? Et si l'art d'être heureux n'est pas tout l'art de vivre. XXI Le golfe de Baya, près de Naples Vois-tu comme le flot paisible Sur le rivage vient mourir! Vois-tu le volage zéphyr Rider, d'une haleine insensible, L'onde qu'il aime à parcourir! Montons sur la barque légère Que ma main guide sans efforts, Et de ce golfe solitaire Rasons timidement les bords. Loin de nous déjà fuit la rive. Tandis que d'une main craintive Tu tiens le docile aviron, Courbé sur la rame bruyante Au sein de l'onde frémissante Je trace un rapide sillon. Dieu! quelle fraîcheur on respire! Plongé dans le sein de Thétis, Le soleil a cédé l'empire A la pâle reine des nuits. Le sein des fleurs demi-fermées S'ouvre, et de vapeurs embaumées En ce moment remplit les airs; Et du soir la brise légère Des plus doux parfums de la terre A son tour embaume les mers. Quels chants sur ces flots retentissent? Quels chants éclatent sur ces bords? De ces deux concerts qui s'unissent L'écho prolonge les accords. N'osant se fier aux étoiles, Le pêcheur, repliant ses voiles, Salue, en chantant, son séjour. Tandis qu'une folle jeunesse Pousse au ciel des cris d'allégresse, Et fête son heureux retour. Mais déjà l'ombre plus épaisse Tombe, et brunit les vastes mers; Le bord s'efface, le bruit cesse, Le silence occupe les airs. C'est l'heure où la mélancolie S'assoit pensive et recueillie Aux bords silencieux des mers, Et, méditant sur les ruines, Contemple au penchant des collines Ce palais, ces temples déserts. O de la liberté vieille et sainte patrie! Terre autrefois féconde en sublimes vertus! Sous d'indignes Césars maintenant asservie, Ton empire est tombé! tes héros ne sont plus! Mais dans ton sein l'âme agrandie Croit sur leurs monuments respirer leur génie, Comme on respire encor dans un temple aboli La majesté du dieu dont il était rempli. Mais n'interrogeons pas vos cendres généreuses, Vieux Romains! fiers Catons! mânes des deux Brutus! Allons redemander à ces murs abattus Des souvenirs plus doux, des ombres plus heureuses, Horace, dans ce frais séjour, Dans une retraite embellie Par le plaisir et le génie, Fuyait les pompes de la cour; Properce y visitait Cinthie, Et sous les regards de Délie Tibulle y modulait les soupirs de l'amour. Plus loin, voici l'asile où vint chanter le Tasse, Quand, victime à la fois du génie et du sort, Errant dans l'univers, sans refuge et sans port, La pitié recueillit son illustre disgrâce. Non loin des mêmes bords, plus tard il vint mourir; La gloire l'appelait, il arrive, il succombe : La palme qui l'attend devant lui semble fuir, Et son laurier tardif n'ombrage que sa tombe. Colline de Baya! poétique séjour! Voluptueux vallon qu'habita tour à tour Tout ce qui fut grand dans le monde, Tu ne retentis plus de gloire ni d'amour. Pas une voix qui me réponde, Que le bruit plaintif de cette onde, Ou l'écho réveillé des débris d'alentour! Ainsi tout change, ainsi tout passe; Ainsi nous-mêmes nous passons, Hélas! sans laisser plus de trace Que cette barque où nous glissons Sur cette mer où tout s'efface. XXII Le Temple Qu'il est doux, quand du soir l'étoile solitaire, Précédant de la nuit le char silencieux, S'élève lentement dans la voûte des cieux, Et que l'ombre et le jour se disputent la terre, Qu'il est doux de porter ses pas religieux Dans le fond du vallon, vers ce temple rustique Dont la mousse a couvert le modeste portique, Mais où le ciel encor parle à des coeurs pieux! Salut, bois consacré! Salut, champ funéraire, Des tombeaux du village humble dépositaire; Je bénis en passant tes simples monuments. Malheur à qui des morts profane la poussière! J'ai fléchi le genou devant leur humble pierre, Et la nef a reçu mes pas retentissants. Quelle nuit! quel silence! au fond du sanctuaire A peine on aperçoit la tremblante lumière De la lampe qui brûle auprès des saints autels. Seule elle luit encor, quand l'univers sommeille : Emblème consolant de la bonté qui veille Pour recueillir ici les soupirs des mortels. Avançons. Aucun bruit n'a frappé mon oreille; Le parvis frémit seul sous mes pas mesurés; Du sanctuaire enfin j'ai franchi les degrés. Murs sacrés, saints autels! je suis seul, et mon âme Peut verser devant vous ses douleurs et sa flamme, Et confier au ciel des accents ignorés, Que lui seul connaîtra, que vous seuls entendrez. Mais quoi! de ces autels j'ose approcher sans crainte! J'ose apporter, grand Dieu, dans cette auguste enceinte Un coeur encor brûlant de douleur et d'amour! Et je ne tremble pas que ta majesté sainte Ne venge le respect qu'on doit à son séjour! Non : je ne rougis plus du feu qui me consume : L'amour est innocent quand la vertu l'allume. Aussi pur que l'objet à qui je l'ai juré, Le mien brûle mon coeur, mais c'est d'un feu sacré; La constance l'honore et le malheur l'épure. Je l'ai dit à la terre, à toute la nature; Devant tes saints autels je l'ai dit sans effroi : J'oserais, Dieu puissant, la nommer devant toi. Oui, malgré la terreur que ton temple m'inspire, Ma bouche a murmuré tout bas le nom d'Elvire; Et ce nom répété de tombeaux en tombeaux, Comme l'accent plaintif d'une ombre qui soupire, De l'enceinte funèbre a troublé le repos. Adieu, froids monuments! adieu, saintes demeures! Deux fois l'écho nocturne a répété les heures, Depuis que devant vous mes larmes ont coulé : Le ciel a vu ces pleurs, et je sors consolé. Peut-être au même instant, sur un autre rivage, Elvire veille ainsi, seule avec mon image, Et dans un temple obscur, les yeux baignés de pleurs Vient aux autels déserts confier ses douleurs. XXIII Chants lyriques de Saül Imitation des psaumes de David Je répandrai mon âme au seuil du sanctuaire! Seigneur, dans ton nom seul je mettrai mon espoir; Mes cris t'éveilleront, et mon humble prière S'élèvera vers toi, comme l'encens du soir! Dans quel abaissement ma gloire s'est perdue! J'erre sur la montagne ainsi qu'un passereau; Et par tant de rigueurs mon âme confondue, Mon âme est devant toi, comme un désert sans eau. Pour mes fiers ennemis ce deuil est une fête. Ils se montrent, Seigneur, ton Christ humilié. Le voilà, disent-ils : ses dieux l'ont oublié; Et Moloch en passant a secoué la tête Et souri de pitié! ..................................................... ..................................................... ..................................................... ..................................................... Seigneur, tendez votre arc; levez-vous, jugez-moi! Remplissez mon carquois de vos flèches brûlantes! Que des hauteurs du ciel vos foudres dévorantes Portent sur eux la mort qu'ils appelaient sur moi! Dieu se lève, il s'élance, il abaisse la voûte De ces cieux éternels ébranlés sous ses pas; Le soleil et la foudre ont éclairé sa route; Ses anges devant lui font voler le trépas. Le feu de son courroux fait monter la fumée, Son éclat a fendu les nuages des cieux; La terre est consumée D'un regard de ses yeux. Il parle; sa voix foudroyante A fait chanceler d'épouvante Les cèdres du Liban, les rochers des déserts; Le Jourdain montre à nu sa source reculée; De la terre ébranlée Les os sont découverts. Le Seigneur m'a livré la race criminelle Des superbes enfants d'Ammon. Levez-vous, ô Saül! et que l'ombre éternelle Engloutisse jusqu'à leur nom! ..................................................... ..................................................... ..................................................... ..................................................... Que vois-je? vous tremblez, orgueilleux oppresseurs! Le héros prend sa lance, Il l'agite, il s'élance; A sa seule présence, La terreur de ses yeux a passé dans vos coeurs! Fuyez!... il est trop tard! sa redoutable épée Décrit autour de vous un cercle menaçant, En tout lieu vous poursuit, en tout lieu vous attend, Et déjà mille fois dans votre sang trempée, S'enivre encor de votre sang. Son coursier superbe Foule comme l'herbe Les corps des mourants; Le héros l'excite, Et le précipite A travers les rangs; Les feux l'environnent, Les casques résonnent Sous ses pieds sanglants : Devant sa carrière Cette foule altière Tombe tout entière Sous ses traits brûlants, Comme la poussière Qu'emportent les vents. Où sont ces fiers Ismaélites, Ces enfants de Moab, cette race d'Edom? Iduméens, guerriers d'Ammon; Et vous, superbes fils de Tyr et de Sidon, Et vous, cruels Amalécites? Les voilà devant moi comme un fleuve tari, Et leur mémoire même a péri! ..................................................... ..................................................... ..................................................... ..................................................... Que de biens le Seigneur m'apprête! Qu'il couronne d'honneurs la vieilesse du roi! Ephraïm, Manassé, Galaad, sont à moi; Jacob, mon bouclier, est l'appui de ma tête. Que de biens le Seigneur m'apprête! Qu'il couronne d'honneurs la vieillesse du roi! Des bords où l'aurore se lève Aux bords où le soleil s'achève Son cours tracé par l'Eternel, L'opulente Saba, la grasse Ethiopie, La riche mer de Tyr, les déserts d'Arabie, Adorent le roi d'Israël. Peuples, frappez des mains, le roi des rois s'avance, Il monte, il s'est assis sur son trône éclatant; Il pose de Sion l'éternel fondement; La montagne frémit de joie et d'espérance. Peuples, frappez des mains, le roi des rois s'avance, Il pose de Sion l'éternel fondement. De sa main pleine de justice, Il verse aux nations l'abondance et la paix. Réjouis-toi, Sion, sous ton ombre propice, Ainsi que le palmier qui parfume Cadès, La paix et l'équité fleurissent à jamais. De sa main pleine de justice, Il verse aux nations l'abondance et la paix. Dieu chérit de Sion les sacrés tabernacles Plus que les tentes d'Israël; Il y fait sa demeure, il y rend ses oracles, Il y fait éclater sa gloire et ses miracles; Sion, ainsi que lui ton nom est immortel. Dieu chérit de Sion les sacrés tabernacles Plus que les tentes d'Israël. C'est là qu'un jour vaut mieux que mille; C'est là qu'environné de la troupe docile De ses nombreux enfants, sa gloire et son appui, Le roi vieillit, semblable à l'olivier fertile Qui voit ses rejetons fleurir autour de lui. XXIV Hymne au soleil Vous avez pris pitié de sa longue douleur! Vous me rendez le jour, Dieu que l'amour implore! Déjà mon front couvert d'une molle pâleur, Des teintes de la vie à ses yeux se colore; Déjà dans tout mon être une douce chaleur Circule avec mon sang, remonte dans mon coeur : Je renais pour aimer encore! Mais la nature aussi se réveille en ce jour! Au doux soleil de mai nous la voyons renaître; Les oiseaux de Vénus autour de ma fenêtre Du plus chéri des mois proclament le retour! Guidez mes premiers pas dans nos vertes campagnes! Conduis-moi, chère Elvire, et soutiens ton amant : Je veux voir le soleil s'élever lentement, Précipiter son char du haut de nos montagnes, Jusqu'à l'heure où dans l'onde il ira s'engloutir, Et cédera les airs au nocturne zéphyr! Viens! Que crains-tu pour moi? Le ciel est sans nuage! Ce plus beau de nos jours passera sans orage; Et c'est l'heure où déjà sur les gazons en fleurs Dorment près des troupeaux les paisibles pasteurs! Dieu! que les airs sont doux! Que la lumière est pure! Tu règnes en vainqueur sur toute la nature, O soleil! et des cieux, où ton char est porté, Tu lui verses la vie et la fécondité! Le jour où, séparant la nuit de la lumière, L'éternel te lança dans ta vaste carrière, L'univers tout entier te reconnut pour roi; Et l'homme, en t'adorant, s'inclina devant toi! De ce jour, poursuivant ta carrière enflammée, Tu décris sans repos ta route accoutumée; L'éclat de tes rayons ne s'est point affaibli, Et sous la main des temps ton front n'a point pâli! Quand la voix du matin vient réveiller l'aurore, L'Indien, prosterné, te bénit et t'adore! Et moi, quand le midi de ses feux bienfaisants Ranime par degrés mes membres languissants, Il me semble qu'un Dieu, dans tes rayons de flamme, En échauffant mon sein, pénètre dans mon âme! Et je sens de ses fers mon esprit détaché, Comme si du Très-Haut le bras m'avait touché! Mais ton sublime auteur défend-il de le croire? N'es-tu point, ô soleil! un rayon de sa gloire? Quand tu vas mesurant l'immensité des cieux, O soleil! n'es-tu point un regard de ses yeux? Ah! si j'ai quelquefois, aux jours de l'infortune, Blasphémé du soleil la lumière importune; Si j'ai maudit les dons que j'ai reçus de toi, Dieu, qui lis dans les coeurs, ô Dieu! pardonne-moi! Je n'avais pas goûté la volupté suprême De revoir la nature auprès de ce que j'aime, De sentir dans mon coeur, aux rayons d'un beau jour, Redescendre à la fois et la vie et l'amour! Insensé! j'ignorais tout le prix de la vie! Mais ce jour me l'apprend, et je te glorifie! XXV Adieu Oui, j'ai quitté ce port tranquille, Ce port si longtemps appelé, Où loin des ennuis de la ville, Dans un loisir doux et facile, Sans bruit mes jours auraient coulé. J'ai quitté l'obscure vallée, Le toit champêtre d'un ami; Loin des bocages de Bissy, Ma muse, à regret exilée, S'éloigne triste et désolée Du séjour qu'elle avait choisi. Nous n'irons plus dans les prairies, Au premier rayon du matin, Egarer, d'un pas incertain, Nos poétiques rêveries. Nous ne verrons plus le soleil, Du haut des cimes d'Italie Précipitant son char vermeil, Semblable au père de la vie, Rendre à la nature assoupie Le premier éclat du réveil. Nous ne goûterons plus votre ombre, Vieux pins, l'honneur de ces forêts, Vous n'entendrez plus nos secrets; Sous cette grotte humide et sombre Nous ne chercherons plus le frais, Et le soir, au temple rustique, Quand la cloche mélancolique Appellera tout le hameau, Nous n'irons plus, à la prière, Nous courber sur la simple pierre Qui couvre un rustique tombeau. Adieu, vallons; adieu, bocages; Lac azuré, rochers sauvages, Bois touffus, tranquille séjour, Séjour des heureux et des sages, Je vous ai quittés sans retour. Déjà ma barque fugitive Au souffle des zéphyrs trompeurs, S'éloigne à regret de la rive Que m'offraient des dieux protecteurs. J'affronte de nouveaux orages; Sans doute à de nouveaux naufrages Mon frêle esquif est dévoué; Et pourtant à la fleur de l'âge, Sur quels écueils, sur quels rivages N'ai-je déjà pas échoué? Mais d'une plainte téméraire Pourquoi fatiguer le destin? A peine au milieu du chemin, Faut-il regarder en arrière? Mes lèvres à peine ont goûté Le calice amer de la vie, Loin de moi je l'ai rejeté; Mais l'arrêt cruel est porté, Il faut boire jusqu'à la lie! Lorsque mes pas auront franchi Les deux tiers de notre carrière, Sous le poids d'une vie entière Quand mes cheveux auront blanchi, Je reviendrai du vieux Bissy Visiter le toit solitaire Où le ciel me garde un ami. Dans quelque retraite profonde, Sous les arbres par lui plantés, Nous verrons couler comme l'onde La fin de nos jours agités. Là, sans crainte et sans espérance, Sur notre orageuse existence, Ramenés par le souvenir, Jetant nos regards en arrière, Nous mesurerons la carrière Qu'il aura fallu parcourir. Tel un pilote octogénaire, Du haut d'un rocher solitaire, Le soir, tranquillement assis, Laisse au loin égarer sa vue Et contemple encor l'étendue Des mers qu'il sillonna jadis. XXVI La semaine Sainte à la Roche-Guyon Ici viennent mourir les derniers bruits du monde : Nautoniers sans étoile, abordez! c'est le port : Ici l'âme se plonge en une paix profonde, Et cette paix n'est pas la mort. Ici jamais le ciel n'est orageux ni sombre; Un jour égal et pur y repose les yeux. C'est ce vivant soleil, dont le soleil est l'ombre, Qui le répand du haut des cieux. Comme un homme éveillé longtemps avant l'aurore Jeunes, nous avons fui dans cet heureux séjour, Notre rêve est fini, le vôtre dure encore; Eveillez-vous! voilà le jour. Coeurs tendres, approchez! Ici l'on aime encore; Mais l'amour, épuré, s'allume sur l'autel. Tout ce qu'il a d'humain, à ce feu s'évapore; Tout ce qui reste est immortel! La prière qui veille en ces saintes demeures De l'astre matinal nous annonce le cours; Et, conduisant pour nous le char pieux des heures, Remplit et mesure nos jours. L'airain religieux s'éveille avec l'aurore; Il mêle notre hommage à la voix des zéphyrs, Et les airs, ébranlés sous le marteau sonore, Prennent l'accent de nos soupirs. Dans le creux du rocher, sous une voûte obscure, S'élève un simple autel : roi du ciel, est-ce toi? Oui, contraint par l'amour, le Dieu de la nature Y descend, visible à la foi. Que ma raison se taise, et que mon coeur adore! La croix à mes regards révèle un nouveau jour; Aux pieds d'un Dieu mourant, puis-je douter encore? Non, l'amour m'explique l'amour! Tous ces fronts prosternés, ce feu qui les embrase, Ces parfums, ces soupirs s'exhalant du saint lieu, Ces élans enflammés, ces larmes de l'extase, Tout me répond que c'est un Dieu. Favoris du Seigneur, souffrez qu'à votre exemple, Ainsi qu'un mendiant aux portes d'un palais, J'adore aussi de loin, sur le seuil de son temple, Le Dieu qui vous donne la paix. Ah! laissez-moi mêler mon hymne à vos louanges! Que mon encens souillé monte avec votre encens. Jadis les fils de l'homme aux saints concerts des anges Ne mêlaient-ils pas leurs accents! Du nombre des vivants chaque aurore m'efface, Je suis rempli de jours, de douleurs, de remords. Sous le portique obscur venez marquer ma place, Ici, près du séjour des morts! Souffrez qu'un étranger veille auprès de leur cendre, Brûlant sur un cercueil comme ces saints flambeaux; La mort m'a tout ravi, la mort doit tout me rendre; J'attends le réveil des tombeaux! Ah! puissé-je près d'eux, au gré de mon envie, A l'ombre de l'autel, et non loin de ce port, Seul, achever ainsi les restes de ma vie Entre l'espérance et la mort! XXVII Le Chrétien mourant Qu'entends-je? autour de moi l'airain sacré résonne! Quelle foule pieuse en pleurant m'environne? Pour qui ce chant funèbre et ce pâle flambeau? O mort, est-ce ta voix qui frappe mon oreille Pour la dernière fois? eh quoi! je me réveille Sur le bord du tombeau! O toi! d'un feu divin précieuse étincelle, De ce corps périssable habitante immortelle, Dissipe ces terreurs : la mort vient t'affranchir! Prends ton vol, ô mon âme! et dépouille tes chaînes. Déposer le fardeau des misères humaines, Est-ce donc là mourir? Oui, le temps a cessé de mesurer mes heures. Messagers rayonnants des célestes demeures, Dans quels palais nouveaux allez-vous me ravir? Déjà, déjà je nage en des flots de lumière; L'espace devant moi s'agrandit, et la terre Sous mes pieds semble fuir! Mais qu'entends-je? au moment où mon âme s'éveille, Des soupirs, des sanglots ont frappé mon oreille? Compagnons de l'exil, quoi! vous pleurez ma mort? Vous pleurez? et déjà dans la coupe sacrée J'ai bu l'oubli des maux, et mon âme enivrée Entre au céleste port! XXVIII Dieu A M. de la Mennais. Oui, mon âme se plaît à secouer ses chaînes : Déposant le fardeau des misères humaines, Laissant errer mes sens dans ce monde des corps, Au monde des esprits je monte sans efforts. Là, foulant à mes pieds cet univers visible, Je plane en liberté dans les champs du possible, Mon âme est à l'étroit dans sa vaste prison : Il me faut un séjour qui n'ait pas d'horizon. Comme une goutte d'eau dans l'Océan versée, L'infini dans son sein absorbe ma pensée; Là, reine de l'espace et de l'éternité, Elle ose mesurer le temps, l'immensité, Aborder le néant, parcourir l'existence, Et concevoir de Dieu l'inconcevable essence. Mais sitôt que je veux peindre ce que je sens, Toute parole expire en efforts impuissants. Mon âme croit parler, ma langue embarrassée Frappe l'air de vingt sons, ombre de ma pensée. Dieu fit pour les esprits deux langages divers : En sons articulés l'un vole dans les airs; Ce langage borné s'apprend parmi les hommes, Il suffit aux besoins de l'exil où nous sommes, Et, suivant des mortels les destins inconstants Change avec les climats ou passe avec les temps. L'autre, éternel, sublime, universel, immense, Est le langage inné de toute intelligence : Ce n'est point un son mort dans les airs répandu, C'est un verbe vivant dans le coeur entendu; On l'entend, on l'explique, on le parle avec l'âme; Ce langage senti touche, illumine, enflamme; De ce que l'âme éprouve interprètes brûlants, Il n'a que des soupirs, des ardeurs, des élans; C'est la langue du ciel que parle la prière, Et que le tendre amour comprend seul sur la terre. Aux pures régions où j'aime à m'envoler, L'enthousiasme aussi vient me la révéler; Lui seul est mon flambeau dans cette nuit profonde, Et mieux que la raison il m'explique le monde. Viens donc! il est mon guide, et je veux t'en servir. A ses ailes de feu, viens, laisse-toi ravir! Déjà l'ombre du monde à nos regards s'efface, Nous échappons au temps, nous franchissons l'espace, Et dans l'ordre éternel de la réalité, Nous voilà face à face avec la vérité! Cet astre universel, sans déclin, sans aurore, C'est Dieu, c'est ce grand tout, qui soi-même s'adore! Il est; tout est en lui : l'immensité, les temps, De son être infini sont les purs éléments; L'espace est son séjour, l'éternité son âge; Le jour est son regard, le monde est son image; Tout l'univers subsiste à l'ombre de sa main; L'être à flots éternels découlant de son sein, Comme un fleuve nourri par cette source immense, S'en échappe, et revient finir où tout commence. Sans bornes comme lui ses ouvrages parfaits Bénissent en naissant la main qui les a faits! Il peuple l'infini chaque fois qu'il respire; Pour lui, vouloir c'est faire, exister c'est produire! Tirant tout de soi seul, rapportant tout à soi, Sa volonté suprême est sa suprême loi! Mais cette volonté, sans ombre et sans faiblesse, Est à la fois puissance, ordre, équité, sagesse. Sur tout ce qui peut être il l'exerce à son gré; Le néant jusqu'à lui s'élève par degré : Intelligence, amour, force, beauté, jeunesse, Sans s'épuiser jamais, il peut donner sans cesse, Et comblant le néant de ses dons précieux, Des derniers rangs de l'être il peut tirer des dieux! Mais ces dieux de sa main, ces fils de sa puissance, Mesurent d'eux à lui l'éternelle distance, Tendant par leur nature à l'être qui les fit; Il est leur fin à tous, et lui seul se suffit! Voilà, voilà le Dieu que tout esprit adore, Qu'Abraham a servi, que rêvait Pythagore, Que Socrate annonçait, qu'entrevoyait Platon; Ce Dieu que l'univers révèle à la raison, Que la justice attend, que l'infortune espère, Et que le Christ enfin vint montrer à la terre! Ce n'est plus là ce Dieu par l'homme fabriqué, Ce Dieu par l'imposture à l'erreur expliqué, Ce Dieu défiguré par la main des faux prêtres, Qu'adoraient en tremblant nos crédules ancêtres. Il est seul, il est un, il est juste, il est bon; La terre voit son oeuvre, et le ciel sait son nom! Heureux qui le connaît! plus heureux qui l'adore! Qui, tandis que le monde ou l'outrage ou l'ignore, Seul, aux rayons pieux des lampes de la nuit, S'élève au sanctuaire où la foi l'introduit Et, consumé d'amour et de reconnaissance, Brûle comme l'encens son âme en sa présence! Mais pour monter à lui notre esprit abattu Doit emprunter d'en haut sa force et sa vertu. Il faut voler au ciel sur des ailes de flamme : Le désir et l'amour sont les ailes de l'âme. Ah! que ne suis-je né dans l'âge où les humains, Jeunes, à peine encore échappés de ses mains, Près de Dieu par le temps, plus près par l'innocence, Conversaient avec lui, marchaient en sa présence? Que n'ai-je vu le monde à son premier soleil? Que n'ai-je entendu l'homme à son premier réveil? Tout lui parlait de toi, tu lui parlais toi-même; L'univers respirait ta majesté suprême; La nature, sortant des mains du Créateur, Etalait en tous sens le nom de son auteur; Ce nom, caché depuis sous la rouille des âges, En traits plus éclatants brillait sur tes ouvrages; L'homme dans le passé ne remontait qu'à toi; Il invoquait son père, et tu disais : C'est moi. Longtemps comme un enfant ta voix daigna l'instruire, Et par la main longtemps tu voulus le conduire. Que de fois dans ta gloire à lui tu t'es montré, Aux vallons de Sennar, aux chênes de Membré, Dans le buisson d'Horeb, ou sur l'auguste cime Où Moïse aux Hébreux dictait sa loi sublime! Ces enfants de Jacob, premiers-nés des humains, Reçurent quarante ans la manne de tes mains : Tu frappais leur esprit par tes vivants oracles! Tu parlais à leurs yeux par la voix des miracles! Et lorsqu'ils t'oubliaient, tes anges descendus Rappelaient ta mémoire à leurs coeurs éperdus! Mais enfin, comme un fleuve éloigné de sa source, Ce souvenir si pur s'altéra dans sa course! De cet astre vieilli la sombre nuit des temps Eclipsa par degrés les rayons éclatants; Tu cessas de parler; l'oubli, la main des âges, Usèrent ce grand nom empreint dans tes ouvrages; Les siècles en passant firent pâlir la foi; L'homme plaça le doute entre le monde et toi. Oui, ce monde, Seigneur, est vieilli pour ta gloire; Il a perdu ton nom, ta trace et ta mémoire Et pour les retrouver il nous faut, dans son cours, Remonter flots à flots le long fleuve des jours! Nature! firmament! l'oeil en vain vous contemple; Hélas! sans voir le Dieu, l'homme admire le temple, Il voit, il suit en vain, dans les déserts des cieux, De leurs mille soleils le cours mystérieux! Il ne reconnaît plus la main qui les dirige! Un prodige éternel cesse d'être un prodige! Comme ils brillaient hier, ils brilleront demain! Qui sait où commença leur glorieux chemin? Qui sait si ce flambeau, qui luit et qui féconde, Une première fois s'est levé sur le monde? Nos pères n'ont point vu briller son premier tour, Et les jours éternels n'ont point de premier jour. Sur le monde moral, en vain ta providence, Dans ces grands changements révèle ta présence! C'est en vain qu'en tes jeux l'empire des humains Passe d'un sceptre à l'autre, errant de mains en mains; Nos yeux accoutumés à sa vicissitude Se sont fait de ta gloire une froide habitude; Les siècles ont tant vu de ces grands coups du sort : Le spectacle est usé, l'homme engourdi s'endort. Réveille-nous, grand Dieu! parle et change le monde; Fais entendre au néant ta parole féconde. Il est temps! lève-toi! sors de ce long repos; Tire un autre univers de cet autre chaos. A nos yeux assoupis il faut d'autres spectacles! A nos esprits flottants il faut d'autres miracles! Change l'ordre des cieux qui ne nous parle plus! Lance un nouveau soleil à nos yeux éperdus! Détruis ce vieux palais, indigne de ta gloire; Viens! montre-toi toi-même et force-nous de croire! Mais peut-être, avant l'heure où dans les cieux déserts Le soleil cessera d'éclairer l'univers, De ce soleil moral la lumière éclipsée Cessera par degrés d'éclairer la pensée; Et le jour qui verra ce grand flambeau détruit Plongera l'univers dans l'éternelle nuit. Alors tu briseras ton inutile ouvrage : Ses débris foudroyés rediront d'âge en âge : Seul je suis! hors de moi rien ne peut subsister! L'homme cessa de croire, il cessa d'exister! XXIX L'automne Salut! bois couronnés d'un reste de verdure! Feuillages jaunissants sur les gazons épars! Salut, derniers beaux jours! Le deuil de la nature Convient à la douleur et plaît à mes regards! Je suis d'un pas rêveur le sentier solitaire, J'aime à revoir encor, pour la dernière fois, Ce soleil pâlissant, dont la faible lumière Perce à peine à mes pieds l'obscurité des bois! Oui, dans ces jours d'automne où la nature expire, A ses regards voilés, je trouve plus d'attraits, C'est l'adieu d'un ami, c'est le dernier sourire Des lèvres que la mort va fermer pour jamais! Ainsi, prêt à quitter l'horizon de la vie, Pleurant de mes longs jours l'espoir évanoui, Je me retourne encore, et d'un regard d'envie Je contemple ses biens dont je n'ai pas joui! Terre, soleil, vallons, belle et douce nature, Je vous dois une larme aux bords de mon tombeau; L'air est si parfumé! la lumière est si pure! Aux regards d'un mourant le soleil est si beau! Je voudrais maintenant vider jusqu'à la lie Ce calice mêlé de nectar et de fiel! Au fond de cette coupe où je buvais la vie, Peut-être restait-il une goutte de miel? Peut-être l'avenir me gardait-il encore Un retour de bonheur dont l'espoir est perdu? Peut-être dans la foule, une âme que j'ignore Aurait compris mon âme, et m'aurait répondu?... La fleur tombe en livrant ses parfums au zéphire; A la vie, au soleil, ce sont là ses adieux; Moi, je meurs; et mon âme, au moment qu'elle expire, S'exhale comme un son triste et mélodieux. XXX La Poésie sacrée Dithyrambe A M. Eugène de Genoude. Son front est couronné de palmes et d'étoiles; Son regard immortel, que rien ne peut ternir, Traversant tous les temps, soulevant tous les voiles, Réveille le passé, plonge dans l'avenir! Du monde sous ses yeux ses fastes se déroulent, Les siècles à ses pieds comme un torrent s'écoulent; A son gré descendant ou remontant leurs cours, Elle sonne aux tombeaux l'heure, l'heure fatale, Ou sur sa lyre virginale Chante au monde vieilli ce jour, père des jours! ------ Ecoutez! - Jéhova s'élance Du sein de son éternité. Le chaos endormi s'éveille en sa présence, Sa vertu le féconde, et sa toute-puissance Repose sur l'immensité! Dieu dit, et le jour fut; Dieu dit, et les étoiles De la nuit éternelle éclaircirent les voiles; Tous les éléments divers A sa voix se séparèrent; Les eaux soudain s'écoulèrent Dans le lit creusé des mers; Les montagnes s'élevèrent, Et les aquilons volèrent Dans les libres champs des airs! Sept fois de Jéhova la parole féconde Se fit entendre au monde, Et sept fois le néant à sa voix répondit; Et Dieu dit : Faisons l'homme à ma vivante image. Il dit, l'homme naquit; à ce dernier ouvrage Le Verbe créateur s'arrête et s'apllaudit! ------ Mais ce n'est plus un Dieu! - C'est l'homme qui soupire Eden a fui!... voilà le travail et la mort! Dans les larmes sa voix expire; La corde du bonheur se brise sur sa lyre, Et Job en tire un son triste comme le sort. ------ Ah! périsse à jamais le jour qui m'a vu naître! Ah! périsse à jamais la nuit qui m'a conçu! Et le sein qui m'a donné l'être, Et les genoux qui m'ont reçu! Que du nombre des jours Dieu pour jamais l'efface; Que, toujours obscurci des ombres du trépas, Ce jour parmi les jours ne trouve plus sa place, Qu'il soit comme s'il n'était pas! Maintenant dans l'oubli je dormirais encore, Et j'achèverais mon sommeil Dans cette longue nuit qui n'aura point d'aurore, Avec ces conquérants que la terre dévore, Avec le fruit conçu qui meurt avant d'éclore Et qui n'a pas vu le soleil. Mes jours déclinent comme l'ombre; Je voudrais les précipiter. O mon Dieu! retranchez le nombre Des soleils que je dois compter! L'aspect de ma longue infortune Eloigne, repousse, importune Mes frères lassés de mes maux; En vain je m'adresse à leur foule, Leur pitié m'échappe et s'écoule Comme l'onde au flanc des coteaux. Ainsi qu'un nuage qui passe, Mon printemps s'est évanoui; Mes yeux ne verront plus la trace De tous ces biens dont j'ai joui. Par le souffle de la colère, Hélas! arraché à la terre, Je vais d'où l'on ne revient pas! Mes vallons, ma propre demeure, Et cet oeil même qui me pleure, Ne reverront jamais mes pas! L'homme vit un jour sur la terre Entre la mort et la douleur; Rassasié de sa misère, Il tombe enfin comme la fleur; Il tombe! Au moins par la rosée Des fleurs la racine arrosée Peut-elle un moment refleurir! Mais l'homme, hélas!, après la vie, C'est un lac dont l'eau s'est enfuie : On le cherche, il vient de tarir. Mes jours fondent comme la neige Au souffle du courroux divin; Mon espérance, qu'il abrège, S'enfuit comme l'eau de ma main; Ouvrez-moi mon dernier asile; Là, j'ai dans l'ombre un lit tranquille, Lit préparé pour mes douleurs! O tombeau! vous êtes mon père! Et je dis aux vers de la terre : Vous êtes ma mère et mes soeurs! Mais les jours heureux de l'impie Ne s'éclipsent pas au matin; Tranquille, il prolonge sa vie Avec le sang de l'orphelin! Il étend au loin ses racines; Comme un troupeau sur les collines, Sa famille couvre Ségor; Puis dans un riche mausolée Il est couché dans la vallée, Et l'on dirait qu'il vit encor. C'est le secret de Dieu, je me tais et l'adore! C'est sa main qui traça les sentiers de l'aurore, Qui pesa l'Océan, qui suspendit les cieux! Pour lui, l'abîme est nu, l'enfer même est sans voiles! Il a fondé la terre et semé les étoiles! Et qui suis-je à ses yeux? ------ Mais la harpe a frémi sous les doigts d'Isaïe; De son sein bouillonnant la menace à longs flots S'échappe; un Dieu l'appelle, il s'élance, il s'écrie : Cieux et terre, écoutez! silence au fils d'Amos! ------ Osias n'était plus : Dieu m'apparut; je vis Adonaï vêtu de gloire et d'épouvante! Les bords éblouissants de sa robe flottante Remplissaient le sacré parvis! Des séraphins debout sur des marches d'ivoire Se voilaient devant lui de six ailes de feux; Volant de l'un à l'autre, ils se disaient entre eux : Saint, saint, saint, le Seigneur, le Dieu, le roi des dieux! Toute la terre est pleine de sa gloire! Du temple à ces accents la voûte s'ébranla, Adonaï s'enfuit sous la nue enflammée : Le saint lieu fut rempli de torrents de fumée. La terre sous mes pieds trembla! Et moi! je resterais dans un lâche silence! Moi qui t'ai vu, Seigneur, je n'oserais parler! A ce peuple impur qui t'offense Je craindrais de te révéler! Qui marchera pour nous? dit le Dieu des armées. Qui parlera pour moi? dit Dieu : Qui? moi, Seigneur! Touche mes lèvres enflammées! Me voilà! je suis prêt!... malheur! Malheur à vous qui dès l'aurore Respirez les parfums du vin! Et que le soir retrouve encore Chancelants aux bords du festin! Malheur à vous qui par l'usure Etendez sans fin ni mesure La borne immense de vos champs! Voulez-vous donc, mortels avides, Habiter dans vos champs arides, Seuls, sur la terre des vivants? Malheur à vous, race insensée! Enfants d'un siècle audacieux, Qui dites dans votre pensée : Nous sommes sages à nos yeux : Vous changez ma nuit en lumière, Et le jour en ombre grossière Où se cachent vos voluptés! Mais, comme un taureau dans la plaine, Vous traînez après vous la chaîne Des vos longues iniquités! Malheur à vous, filles de l'onde! Iles de Sydon et de Tyr! Tyrans! qui trafiquez du monde Avec la pourpre et l'or d'Ophyr! Malheur à vous! votre heure sonne! En vain l'Océan vous couronne, Malheur à toi, reine des eaux, A toi qui, sur des mers nouvelles, Fais retentir comme des ailes Les voiles de mille vaisseaux! Ils sont enfin venus les jours de ma justice; Ma colère, dit Dieu, se déborde sur vous! Plus d'encens, plus de sacrifice Qui puisse éteindre mon courroux! Je livrerai ce peuple à la mort, au carnage; Le fer moissonnera comme l'herbe sauvage Ses bataillons entiers! - Seigneur! épargnez-nous! Seigneur! - Non, point de trêve, Et je ferai sur lui ruisseler de mon glaive Le sang de ses guerriers! Ses torrents sécheront sous ma brûlante haleine; Ma main nivellera, comme une vaste plaine, Ses murs et ses palais; Le feu les brûlera comme il brûle le chaume. Là, plus de nation, de ville, de royaume; Le silence à jamais! Ses murs se couvriront de ronces et d'épines; L'hyène et le serpent peupleront ses ruines; Les hiboux, les vautours, L'un l'autre s'appelant durant la nuit obscure, Viendront à leurs petits porter la nourriture Au sommet de ses tours! ------ Mais Dieu ferme à ces mots les lèvres d'Isaïe; Le sombre Ezéchiel Sur le tronc desséché de l'ingrat Israël Fait descendre à son tour la parole de vie. ------ L'Eternel emporta mon esprit au désert : D'ossements desséchés le sol était couvert; J'approche en frissonnant; mais Jéhova me crie : Si je parle à ces os, reprendront-ils la vie? - Eternel, tu le sais! - Eh bien! dit le Seigneur, Ecoute mes accents! retiens-les et dis-leur : Ossements desséchés! insensible poussière! Levez-vous! recevez l'esprit et la lumière! Que vos membres épars s'assemblent à ma voix! Que l'esprit vous anime une seconde fois! Qu'entre vos os flétris vos muscles se replacent! Que votre sang circule et vos nerfs s'entrelacent! Levez-vous et vivez, et voyez qui je suis! J'écoutai le Seigneur, j'obéis et je dis : Esprits, soufflez sur eux du couchant, de l'aurore; Soufflez de l'aquilon, soufflez!... Pressés d'éclore, Ces restes du tombeau, réveillés par mes cris, Entrechoquent soudain leurs ossements flétris; Aux clartés du soleil leur paupière se rouvre, Leurs os sont rassemblés, et la chair les recouvre! Et ce champ de la mort tout entier se leva, Redevint un grand peuple, et connut Jéhova! ------ Mais Dieu de ses enfants a perdu la mémoire; La fille de Sion, méditant ses malheurs, S'assied en soupirant, et, veuve de sa gloire, Ecoute Jérémie, et retrouve des pleurs. ------ Le seigneur, m'accablant du poids de sa colère, Retire tour à tour et ramène sa main; Vous qui passez par le chemin, Est-il une misère égale à ma misère? En vain ma voix s'élève, il n'entend plus ma voix; Il m'a choisi pour but de ses flèches de flamme, Et tout le jour contre mon âme Sa fureur a lancé les fils de son carquois! Sur mes os consumés ma peau s'est desséchée; Les enfants m'ont chanté dans leurs dérisions; Seul, au milieu des nations, Le Seigneur m'a jeté comme une herbe arrachée. Il s'est enveloppé de son divin courroux; Il a fermé ma route, il a troublé ma voie; Mon sein n'a plus connu la joie, Et j'ai dit au Seigneur : Seigneur, souvenez-vous, Souvenez-vous, Seigneur, de ces jours de colère; Souvenez-vous du fiel dont vous m'avez nourri; Non, votre amour n'est point tari : Vous me frappez, Seigneur, et c'est pourquoi j'espère. Je repasse en pleurant ces misérables jours; J'ai connu le Seigneur dès ma plus tendre aurore : Quand il punit, il aime encore; Il ne s'est pas, mon âme, éloigné pour toujours. Heureux qui le connaît! heureux qui dès l'enfance Porta le joug d'un Dieu, clément dans sa rigueur! Il croit au salut du Seigneur, S'assied au bord du fleuve et l'attend en silence. Il sent peser sur lui ce joug de votre amour; Il répand dans la nuit ses pleurs et sa prière, Et la bouche dans la poussière, Il invoque, il espère, il attend votre jour. ------ Silence, ô lyre! et vous silence, Prophètes, voix de l'avenir! Tout l'univers se tait d'avance Devant celui qui doit venir! Fermez-vous, lèvres inspirées; Reposez-vous, harpes sacrées, Jusqu'au jour où sur les hauts lieux Une voix au monde inconnue, Fera retentir dans la nue : PAIX A LA TERRE, ET GLOIRE AUX CIEUX! ------------------------- FIN DU FICHIER medipoet1 -------------------------------- --- ATTENTION : CONSERVEZ CETTE LICENCE SI VOUS REDISTRIBUEZ CE FICHIER --- License ABU -=-=-=-=-=- Version 1, Aout 1997 Copyright (C) 1997 Association de Bibliophiles Universels http://www.abu.org/ www@abu.org La base de textes de l'Association des Bibliophiles Universels (ABU) est une oeuvre de compilation, elle peut être copiée, diffusée et modifiée dans les conditions suivantes : 1. Toute copie à des fins privées, à des fins d'illustration de l'enseignement ou de recherche scientifique est autorisée. 2. Toute diffusion ou inclusion dans une autre oeuvre doit a) soit inclure la presente licence s'appliquant a l'ensemble de la diffusion ou de l'oeuvre derivee. b) soit permettre aux bénéficiaires de cette diffusion ou de cette oeuvre dérivée d'en extraire facilement et gratuitement une version numérisée de chaque texte inclu, muni de la présente licence. Cette possibilité doit etre mentionnée explicitement et de façon claire, ainsi que le fait que la présente notice s'applique aux documents extraits. c) permettre aux bénéficiaires de cette diffusion ou de cette oeuvre dérivée d'en extraire facilement et gratuitement la version numérisée originale, munie le cas echeant des amélioration visée au paragraphe 6, si elle sont présente dans la diffusion ou la nouvelle oeuvre. 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Ce copyright s'applique obligatoirement à toute amélioration par simple correction d'erreurs ou d'oublis mineurs (orthographe, phrase manquante, ...), c'est-a-dire ne correspondant pas a l'adjonction d'une autre variante connue du texte, qui devra donc comporter la présente notice. ----------------------- FIN DE LA LICENCE ABU -------------------------------- --- ATTENTION : CONSERVEZ CET EN-TETE SI VOUS REDISTRIBUEZ CE FICHIER --- ----------------------- FIN DE L'EN-TETE -------------------------------- ------------------------- DEBUT DU FICHIER nouvmedi1 -------------------------------- Nouvelles méditations poétiques Musae Jovis omnia plena! VIRG. I L'esprit de Dieu A L. de V**. Le feu divin qui nous consume Ressemble à ces feux indiscrets Qu'un pasteur imprudent allume Aux bord de profondes forêts; Tant qu'aucun souffle ne l'éveille, L'humble foyer couve et sommeille; Mais s'il respire l'aquilon, Tout à coup la flamme engourdie S'enfle, déborde; et l'incendie Embrase un immense horizon! O mon âme, de quels rivages Viendra ce souffle inattendu? Serait-ce un enfant des orages? Un soupir à peine entendu? Viendra-t-il, comme un doux zéphyre, Mollement caresser ma lyre, Ainsi qu'il caresse une fleur? Ou sous ses ailes frémissantes, Briser ses cordes gémissantes Du cri perçant de la douleur? Viens du couchant ou de l'aurore! Doux ou terrible au gré du sort, Le sein généreux qui t'implore Brave la souffrance ou la mort! Aux coeurs altérés d'harmonie Qu'importe le prix du génie? Si c'est la mort, il faut mourir!... On dit que la bouche d'Orphée, Par les flots de l'Ebre étouffée, Rendit un ultime soupir! Mais soit qu'un mortel vive ou meure, Toujours rebelle à nos souhaits, L'esprit ne souffle qu'à son heure, Et ne se repose jamais! Préparons-lui des lèvres pures, Un oeil chaste, un front sans souillures, Comme, aux approches du saint lieu, Des enfants, des vierges voilées, Jonchent de roses effeuillées La route où va passer un Dieu! Fuyant des bords qui l'ont vu naître, De Jéthro l'antique berger Un jour devant lui vit paraître Un mystérieux étranger; Dans l'ombre, ses larges prunelles Lançaient de pâles étincelles, Ses pas ébranlaient le vallon; Le courroux gonflait sa poitrine, Et le souffle de sa narine Résonnait comme l'aquilon! Dans un formidable silence Ils se mesurent un moment; Soudain l'un sur l'autre s'élance, Saisi d'un même emportement : Leurs bras menaçants se replient, Leurs fronts luttent, leurs membres crient, Leurs flancs pressent leurs flancs pressés; Comme un chêne qu'on déracine Leur tronc se balance et s'incline Sur leurs genoux entrelacés! Tous deux ils glissent dans la lutte, Et Jacob enfin terrassé Chancelle, tombe, et dans sa chute Entraîne l'ange renversé : Palpitant de crainte et de rage, Soudain le pasteur se dégage Des bras du combattant des cieux, L'abat, le presse, le surmonte, Et sur son sein gonflé de honte Pose un genou victorieux! Mais, sur le lutteur qu'il domine, Jacob encor mal affermi, Sent à son tour sur sa poitrine Le poids du céleste ennemi!... Enfin, depuis les heures sombres Où le soir lutte avec les ombres, Tantôt vaincu, tantôt vainqueur, Contre ce rival qu'il ignore Il combattit jusqu'à l'aurore... Et c'était l'esprit du Seigneur! Ainsi dans les ombres du doute L'homme, hélas! égaré souvent, Se trace à soi-même sa route, Et veut voguer contre le vent; Mais dans cette lutte insensée, Bientôt notre aile terrassée Par le souffle qui la combat, Sur la terre tombe essoufflée Comme la voile désenflée Qui tombe et dort le long du mât. Attendons le souffle suprême; Dans un repos silencieux; Nous ne sommes rien de nous-même Qu'un instrument mélodieux! Quand le doigt d'en haut se retire, Restons muets comme la lyre Qui recueille ses saints transports Jusqu'à ce que la main puissante Touche la corde frémissante Où dorment les divins accords! II Sapho L'aurore se levait, la mer battait la plage; Ainsi parla Sapho debout sur le rivage, Et près d'elle, à genoux, les filles de Lesbos Se penchaient sur l'abîme et contemplaient les flots : Fatal rocher, profond abîme! Je vous aborde sans effroi! Vous allez à Vénus dérober sa victime : J'ai méconnu l'amour, l'amour punit mon crime. O Neptune! tes flots seront plus doux pour moi! Vois-tu de quelles fleurs j'ai couronné ma tête? Vois : ce front, si longtemps chargé de mon ennui, Orné pour mon trépas comme pour une fête, Du bandeau solennel étincelle aujourd'hui! On dit que dans ton sein... mais je ne puis le croire! On échappe au courroux de l'implacable Amour; On dit que, par tes soins, si l'on renaît au jour, D'une flamme insensée on y perd la mémoire! Mais de l'abîme, ô dieu! quel que soit le secours, Garde-toi, garde-toi de préserver mes jours! Je ne viens pas chercher dans tes ondes propices Un oubli passager, vain remède à mes maux! J'y viens, j'y viens trouver le calme des tombeaux! Reçois, ô roi des mers, mes joyeux sacrifices! Et vous, pourquoi ces pleurs? pourquoi ces vains sanglots? Chantez, chantez un hymne, ô vierges de Lesbos! Importuns souvenirs, me suivrez-vous sans cesse? C'était sous les bosquets du temple de Vénus; Moi-même, de Vénus insensible prêtresse, Je chantais sur la lyre un hymne à la déesse : Aux pieds de ses autels, soudain je t'aperçus! Dieux! quels transports nouveaux! ô dieux! comment décrire Tous les feux dont mon sein se remplit à la fois? Ma langue se glaça, je demeurais sans voix, Et ma tremblante main laissa tomber ma lyre! Non : jamais aux regards de l'ingrate Daphné Tu ne parus plus beau, divin fils de Latone; Jamais le thyrse en main, de pampres couronné, Le jeune dieu de l'Inde, en triomphe traîné, N'apparut plus brillant aux regards d'Erigone. Tout sortit... de lui seul je me souvins, hélas! Sans rougir de ma flamme, en tout temps, à toute heure, J'errais seule et pensive autour de sa demeure. Un pouvoir plus qu'humain m'enchaînait sur ses pas! Que j'aimais à le voir, de la foule enivrée, Au gymnase, au théâtre, attirer tous les yeux, Lancer le disque au loin, d'une main assurée, Et sur tous ses rivaux l'emporter dans nos jeux! Que j'aimais à le voir, penché sur la crinière D'un coursier de I'Elide aussi prompt que les vents, S'élancer le premier au bout de la carrière, Et, le front couronné, revenir à pas lents! Ah! de tous ses succès, que mon âme était fière! Et si de ce beau front de sueur humecté J'avais pu seulement essuyer la poussière... O dieux! j'aurais donné tout, jusqu'à ma beauté, Pour être un seul instant ou sa soeur ou sa mère! Vous, qui n'avez jamais rien pu pour mon bonheur! Vaines divinités des rives du Permesse, Moi-même, dans vos arts, j'instruisis sa jeunesse; Je composai pour lui ces chants pleins de douceur, Ces chants qui m'ont valu les transports de la Grèce : Ces chants, qui des Enfers fléchiraient la rigueur, Malheureuse Sapho! n'ont pu fléchir son coeur, Et son ingratitude a payé ta tendresse! Redoublez vos soupirs! redoublez vos sanglots! Pleurez! pleurez ma honte, ô filles de Lesbos! Si l'ingrat cependant s'était laissé toucher! Si mes soins, si mes chants, si mes trop faibles charmes A son indifférence avaient pu l'arracher! S'il eût été du moins attendri par mes larmes! Jamais pour un mortel, jamais la main des dieux N'aurait filé des jours plus doux, plus glorieux! Que d'éclat cet amour eût jeté sur sa vie! Ses jours à ces dieux même auraient pu faire envie! Et l'amant de Sapho, fameux dans l'univers, Aurait été, comme eux, immortel dans mes vers! C'est pour lui que j'aurais, sur tes autels propices, Fait fumer en tout temps l'encens des sacrifices, O Vénus! c'est pour lui que j'aurais nuit et jour Suspendu quelque offrande aux autels de l'Amour! C'est pour lui que j'aurais, durant les nuits entières Aux trois fatales soeurs adressé mes prières! Ou bien que, reprenant mon luth mélodieux , J'aurais redit les airs qui lui plaisaient le mieux! Pour lui j'aurais voulu dans les jeux d'Ionie Disputer aux vainqueurs les palmes du génie! Que ces lauriers brillants à mon orgueil offerts En les cueillant pour lui m'auraient été plus chers! J'aurais mis à ses pieds le prix de ma victoire, Et couronné son front des rayons de ma gloire. Souvent à la prière abaissant mon orgueil, De ta porte, ô Phaon! j'allais baiser le seuil. Au moins, disais-je, au moins, si ta rigueur jalouse Me refuse à jamais ce doux titre d'épouse, Souffre, ô trop cher enfant, que Sapho, près de toi, Esclave si tu veux, vive au moins sous ta loi! Que m'importe ce nom et cette ignominie! Pourvu qu'à tes côtés je consume ma vie! Pourvu que je te voie, et qu'à mon dernier jour D'un regard de pitié tu plaignes tant d'amour! Ne crains pas mes périls, ne crains pas ma faiblesse; Vénus égalera ma force à ma tendresse. Sur les flots, sur la terre, attachée à tes pas, Tu me verras te suivre au milieu des combats; Tu me verras, de Mars affrontant la furie, Détourner tous les traits qui menacent ta vie, Entre la mort et toi toujours prompte à courir... Trop heureuse pour lui si j'avais pu mourir! "Lorsque enfin, fatigué des travaux de Bellone, "Sous la tente au sommeil ton âme s'abandonne, "Ce sommeil, ô Phaon! qui n'est plus fait pour moi, "Seule me laissera veillant autour de toi! "Et si quelque souci vient rouvrir ta paupière, "Assise à tes côtés durant la nuit entière, "Mon luth sur mes genoux soupirant mon amour, "Je charmerai ta peine en attendant le jour! Je disais; et les vents emportaient ma prière! L'écho répétait seul ma plainte solitaire; Et l'écho seul encor répond à mes sanglots! Pleurez! pleurez ma honte, ô filles de Lesbos! Toi qui fus une fois mon bonheur et ma gloire! O lyre! que ma main fit résonner pour lui, Ton aspect que j'aimais m'importune aujourd'hui, Et chacun de tes airs rappelle à ma mémoire Et mes feux, et ma honte, et l'ingrat qui m'a fui! Brise-toi dans mes mains, lyre à jamais funeste! Aux autels de Vénus, dans ses sacrés parvis Je ne te suspends pas! que le courroux céleste Sur ces flots orageux disperse tes débris! Et que de mes tourments nul vestige ne reste! Que ne puis-je de même engloutir dans ces mers Et ma fatale gloire, et mes chants, et mes vers! Que ne puis-je effacer mes traces sur la terre! Que ne puis-je aux Enfers descendre tout entière! Et, brûlant ces écrits où doit vivre Phaon, Emporter avec moi l'opprobre de mon nom! Cependant si les dieux que sa rigueur outrage Poussaient en cet instant ses pas vers le rivage? Si de ce lieu suprême il pouvait s'approcher? S'il venait contempler sur le fatal rocher Sapho, les yeux en pleurs, errante, échevelée, Frappant de vains sanglots la rive désolée, Brûlant encor pour lui, lui pardonnant son sort, Et dressant lentement les apprêts de sa mort? Sans doute, à cet aspect, touché de mon supplice, Il se repentirait de sa longue injustice? Sans doute par mes pleurs se laissant désarmer Il dirait à Sapho : Vis encor pour aimer! Qu'ai-je dit? Loin de moi quelque remords peut-être, A défaut de l'amour, dans son coeur a pu naître : Peut-être dans sa fuite, averti par les dieux, Il frissonne, il s'arrête, il revient vers ces lieux? Il revient m'arrêter sur les bords de l'abîme; Il revient!... il m'appelle... il sauve sa victime!... Oh! qu'entends-je?... écoutez... du côté de Lesbos Une clameur lointaine a frappé les échos! J'ai reconnu l'accent de cette voix si chère, J'ai vu sur le chemin s'élever la poussière! O vierges! regardez! ne le voyez-vous pas Descendre la colline et me tendre les bras?... Mais non! tout est muet dans la nature entière, Un silence de mort règne au loin sur la terre : Le chemin est désert!... je n'entends que les flots... Pleurez! pleurez ma honte, ô filles de Lesbos! Mais déjà s'élançant vers les cieux qu'il colore Le soleil de son char précipite le cours. Toi qui viens commencer le dernier de mes jours, Adieu dernier soleil! adieu suprême aurore! Demain du sein des flots vous jaillirez encore, Et moi je meurs! et moi je m'éteins pour toujours! Adieu champs paternels! adieu douce contrée! Adieu chère Lesbos à Vénus consacrée! Rivage où j'ai reçu la lumière des cieux! Temple auguste où ma mère, aux jours de ma naissance D'une tremblante main me consacrant aux dieux, Au culte de Vénus dévoua mon enfance! Et toi, forêt sacrée, où les filles du Ciel, Entourant mon berceau, m'ont nourri de leur miel, Adieu! Leurs vains présents que le vulgaire envie, Ni des traits de l'Amour, ni des coups du destin, Misérable Sapho! n'ont pu sauver ta vie! Tu vécus dans les pleurs, et tu meurs au matin! Ainsi tombe une fleur avant le temps fanée! Ainsi, cruel Amour, sous le couteau mortel, Une jeune victime à ton temple amenée, Qu'à ton culte en naissant le pâtre a destinée, Vient tomber avant l'âge au pied de ton autel! Et vous qui reverrez le cruel que j'adore Quand l'ombre du trépas aura couvert mes yeux, Compagnes de Sapho, portez-lui ces adieux! Dites-lui... qu'en mourant je le nommais encore!... Elle dit. Et le soir, quittant le bord des flots, Vous revîntes sans elle, ô vierges de Lesbos! III Bonaparte Sur un écueil battu par la vague plaintive, Le nautonier de loin voit blanchir sur la rive Un tombeau près du bord par les flots déposé; Le temps n'a pas encor bruni l'étroite pierre, Et sous le vert tissu de la ronce et du lierre On distingue... un sceptre brisé! Ici gît... point de nom!... demandez à la terre! Ce nom? il est inscrit en sanglant caractère Des bords du Tanaïs au sommet du Cédar, Sur le bronze et le marbre, et sur le sein des braves, Et jusque dans le coeur de ces troupeaux d'esclaves Qu'il foulait tremblants sous son char. Depuis ces deux grands noms qu'un siècle au siècle annonce, Jamais nom qu'ici-bas toute langue prononce Sur l'aile de la foudre aussi loin ne vola. Jamais d'aucun mortel le pied qu'un souffle efface N'imprima sur la terre une plus forte trace, Et ce pied s'est arrêté la!... Il est là!... sous trois pas un enfant le mesure! Son ombre ne rend pas même un léger murmure! Le pied d'un ennemi foule en paix son cercueil! Sur ce front foudroyant le moucheron bourdonne, Et son ombre n'entend que le bruit monotone D'une vague contre un écueil! Ne crains rien, cependant, ombre encore inquiète, Que je vienne outrager ta majesté muette. Non. La lyre aux tombeaux n'a jamais insulté. La mort fut de tout temps l'asile de la gloire. Rien ne doit jusqu'ici poursuivre une mémoire. Rien!... excepté la vérité! Ta tombe et ton berceau sont couverts d'un nuage, Mais pareil à l'éclair tu sortis d'un orage! Tu foudroyas le monde avant d'avoir un nom! Tel ce Nil dont Memphis boit les vagues fécondes Avant d'être nommé fait bouilloner ses ondes Aux solitudes de Memnom. Les dieux étaient tombés, les trônes étaient vides; La victoire te prit sur ses ailes rapides D'un peuple de Brutus la gloire te fit roi! Ce siècle, dont l'écume entraînait dans sa course Les moeurs, les rois, les dieux... refoulé vers sa source, Recula d'un pas devant toi! Tu combattis l'erreur sans regarder le nombre; Pareil au fier Jacob tu luttas contre une ombre! Le fantôme croula sous le poids d'un mortel! Et, de tous ses grands noms profanateur sublime, Tu jouas avec eux, comme la main du crime Avec les vases de l'autel. Ainsi, dans les accès d'un impuissant délire Quand un siècle vieilli de ses mains se déchire En jetant dans ses fers un cri de liberté, Un héros tout à coup de la poudre s'élève, Le frappe avec son sceptre... il s'éveille, et le rêve Tombe devant la vérité! Ah! si rendant ce sceptre à ses mains légitimes, Plaçant sur ton pavois de royales victimes, Tes mains des saints bandeaux avaient lavé l'affront! Soldat vengeur des rois, plus grand que ces rois même, De quel divin parfum, de quel pur diadème L'histoire aurait sacré ton front! Gloire! honneur! liberté! ces mots que l'homme adore, Retentissaient pour toi comme l'airain sonore Dont un stupide écho répète au loin le son : De cette langue en vain ton oreille frappée Ne comprit ici-bas que le cri de l'épée, Et le mâle accord du clairon! Superbe, et dédaignant ce que la terre admire, Tu ne demandais rien au monde, que l'empire! Tu marchais!... tout obstacle était ton ennemi! Ta volonté volait comme ce trait rapide Qui va frapper le but où le regard le guide, Même à travers un coeur ami! Jamais, pour éclaircir ta royale tristesse, La coupe des festins ne te versa l'ivresse; Tes yeux d'une autre pourpre aimaient à s'enivrer! Comme un soldat debout qui veille sous les armes, Tu vis de la beauté le sourire ou les larmes, Sans sourire et sans soupirer! Tu n'aimais que le bruit du fer, le cri d'alarmes! L'éclat resplendissant de l'aube sur tes armes! Et ta main ne flattait que ton léger coursier, Quand les flots ondoyants de sa pâle crinière Sillonnaient comme un vent la sanglante poussière, Et que ses pieds brisaient l'acier! Tu grandis sans plaisir, tu tombas sans murmure! Rien d'humain ne battait sous ton épaisse armure : Sans haine et sans amour, tu vivais pour penser : Comme l'aigle régnant dans un ciel solitaire, Tu n'avais qu'un regard pour mesurer la terre, Et des serres pour l'embrasser! .................................................... .................................................... .................................................... .................................................... S'élancer d'un seul bon au char de la victoire, Foudroyer l'univers des splendeurs de sa gloire, Fouler d'un même pied des tribuns et des rois; Forger un joug trempé dans l'amour et la haine, Et faire frissonner sous le frein qui l'enchaîne Un peuple échappé de ses lois! Etre d'un siècle entier la pensée et la vie, Emousser le poignard, décourager l'envie; Ebranler, raffermir l'univers incertain, Aux sinistres clarté de ta foudre qui gronde Vingt fois contre les dieux jouer le sort du monde, Quel rêve! et ce fut ton destin!... Tu tombas cependant de ce sublime faîte! Sur ce rocher désert jeté par la tempête, Tu vis tes ennemis déchirer ton manteau! Et le sort, ce seul dieu qu'adora ton audace, Pour dernière faveur t'accorda cet espace Entre le trône et le tombeau! Oh! qui m'aurait donné d'y sonder ta pensée, Lorsque le souvenir de te grandeur passée Venait, comme un remords, t'assaillir loin du bruit! Et que, les bras croisés sur ta large poitrine, Sur ton front chauve et nu, que la pensée incline, L'horreur passait comme la nuit! Tel qu'un pasteur debout sur la rive profonde Voit son ombre de loin se prolonger sur l'onde Et du fleuve orageux suivre en flottant le cours; Tel du sommet désert de ta grandeur suprême, Dans l'ombre du passé te recherchant toi-même, Tu rappelais tes anciens jours! Ils passaient devant toi comme des flots sublimes Dont l'oeil voit sur les mers étinceler les cimes, Ton oreille écoutait leur bruit harmonieux! Et, d'un reflet de gloire éclairant ton visage, Chaque flot t'apportait une brillante image Que tu suivais longtemps des yeux! Là, sur un pont tremblant tu défiais la foudre! Là, du désert sacré tu réveillais la poudre! Ton coursier frissonnait dans les flots du Jourdain! Là, tes pas abaissaient une cime escarpée! Là, tu changeais en sceptre une invincible épée! Ici... Mais quel effroi soudain? Pourquoi détournes-tu ta paupière éperdue? D'où vient cette pâleur sur ton front répandue? Qu'as-tu vu tout à coup dans l'horreur du passé? Est-ce d'une cité la ruine fumante? Ou du sang des humains quelque plaine écumante? Mais la gloire a tout effacé. La gloire efface tout!... tout excepté le crime! Mais son doigt me montrait le corps d'une victime; Un jeune homme! un héros, d'un sang pur inondé! Le flot qui l'apportait, passait, passait, sans cesse; Et toujours en passant la vague vengeresse Lui jetait le nom de Condé!... Comme pour effacer une tache livide, On voyait sur son front passer sa main rapide; Mais la trace du sang sous son doigt renaissait! Et, comme un sceau frappé par une main suprême, La goutte ineffaçable, ainsi qu'un diadème, Le couronnait de son forfait! C'est pour cela, tyran! que ta gloire ternie Fera par ton forfait douter de ton génie! Qu'une trace de sang suivra partout ton char! Et que ton nom, jouet d'un éternel orage, Sera par l'avenir ballotté d'âge en âge Entre Marius et César! .................................................... .................................................... .................................................... Tu mourus cependant de la mort du vulgaire, Ainsi qu'un moissonneur va chercher son salaire, Et dort sur sa faucille avant d'être payé! Tu ceignis en mourant ton glaive sur ta cuisse, Et tu fus demander récompense ou justice Au dieu qui t'avait envoyé! On dit qu'aux derniers jours de sa longue agonie, Devant l'éternité seul avec son génie, Son regard vers le ciel parut se soulever! Le signe rédempteur toucha son front farouche!... Et même on entendit commencer sur sa bouche Un nom!... qu'il n'osait achever! Achève... C'est le dieu qui règne et qui couronne! C'est le dieu qui punit! c'est le dieu qui pardonne! Pour les héros et nous il a des poids divers! Parle-lui sans effroi! lui seul peut te comprendre! L'esclave et le tyran ont tous un compte à rendre, L'un du sceptre, l'autre des fers! .................................................... Son cercueil est fermé! Dieu l'a jugé! Silence! Son crime et ses exploits pèsent dans la balance : Que des faibles mortels la main n'y touche plus! Qui peut sonder, Seigneur, ta clémence infinie? Et vous, fléaux de Dieu! qui sait si le génie N'est pas une de vos vertus?... IV Les étoiles A Mme de P*. Il est pour la pensée une heure... une heure sainte, Alors que, s'enfuyant de la céleste enceinte, De l'absence du jour pour consoler les cieux, Le crépuscule aux monts prolonge ses adieux. On voit à l'horizon sa lueur incertaine, Comme les bords flottants d'une robe qui traîne, Balayer lentement le firmament obscur, Où les astres ternis revivent dans l'azur. Alors ces globes d'or, ces îles de lumière, Que cherche par instinct la rêveuse paupière, Jaillissent par milliers de l'ombre qui s'enfuit Comme une poudre d'or sur les pas de la nuit; Et le souffle du soir qui vole sur sa trace, Les sème en tourbillons dans le brillant espace. L'oeil ébloui les cherche et les perd à la fois; Les uns semblent planer sur les cimes des bois, Tel qu'un céleste oiseau dont les rapides ailes Font jaillir en s'ouvrant des gerbes d'étincelles. D'autres en flots brillants s'étendent dans les airs, Comme un rocher blanchi de l'écume des mers; Ceux-là, comme un coursier volant dans la carrière, Déroulent à longs plis leur flottante crinière; Ceux-ci, sur l'horizon se penchant à demi, Semblent des yeux ouverts sur le monde endormi, Tandis qu'aux bords du ciel de légères étoiles Voguent dans cet azur comme de blanches voiles Qui, revenant au port, d'un rivage lointain, Brillent sur l'Océan aux rayons du matin. De ces astres brillants, son plus sublime ouvrage, Dieu seul connaît le nombre, et la distance, et l'âge; Les uns, déjà vieillis, pâlissent à nos yeux, D'autres se sont perdus dans les routes des cieux, D'autres, comme des fleurs que son souffle caresse, Lèvent un front riant de grâce et de jeunesse, Et, charmant l'Orient de leurs fraîches clartés, Etonnent tout à coup l'oeil qui les a comptés. Dans la danse céleste ils s'élancent... et l'homme, Ainsi qu'un nouveau-né, les salue, et les nomme. Quel mortel enivré de leur chaste regard, Laissant ses yeux flottants les fixer au hasard, Et cherchant le plus pur parmi ce choeur suprême, Ne l'a pas consacré du nom de ce qu'il aime? Moi-même... il en est un, solitaire, isolé, Qui, dans mes longues nuits, m'a souvent consolé, Et dont l'éclat, voilé des ombres du mystère, Me rappelle un regard qui brillait sur la terre. Peut-être?... ah! puisse-t-il au céleste séjour Porter au moins ce nom que lui donna l'Amour! Cependant la nuit marche, et sur l'abîme immense Tous ces mondes flottants gravitent en silence, Et nous-même, avec eux emportés dans leur cours Vers un port inconnu nous avançons toujours! Souvent, pendant la nuit, au souffle du zéphire, On sent la terre aussi flotter comme un navire. D'une écume brillante on voit les monts couverts Fendre d'un cours égal le flot grondant des airs; Sur ces vagues d'azur où le globe se joue, On entend l'aquilon se briser sous la proue, Et du vent dans les mâts les tristes sifflements, Et de ses flancs battus les sourds gémissements; Et l'homme sur l'abîme où sa demeure flotte Vogue avec volupté sur la foi du pilote! Soleils! mondes flottants qui voguez avec nous, Dites, s'il vous l'a dit, où donc allons-nous tous? Quel est le port céleste où son souffle nous guide? Quel terme assigna-t-il à notre vol rapide? Allons-nous sur des bords de silence et de deuil, Echouant dans la nuit sur quelque vaste écueil, Semer l'immensité des débris du naufrage? Ou, conduits par sa main sur un brillant rivage, Et sur l'ancre éternelle à jamais affermis, Dans un golfe du ciel aborder endormis? Vous qui nagez plus près de la céleste voûte, Mondes étincelants, vous le savez sans doute! Cet Océan plus pur, ce ciel où vous flottez, Laisse arriver à vous de plus vives clartés; Plus brillantes que nous, vous savez davantage; Car de la vérité la lumière est l'image! Oui : si j'en crois l'éclat dont vos orbes errants Argentent des forêts les dômes transparents, Qui glissant tout à coup sur des mers irritées, Calme en les éclairant les vagues agitées; Si j'en crois ces rayons dont le sensible jour Inspire la vertu, la prière, l'amour, Et quand l'oeil attendri s'entrouvre à leur lumière, Attirent une larme au bord de la paupière; Si j'en crois ces instincts, ces doux pressentiments Qui dirigent vers nous les soupirs des amants, Les yeux de la beauté, les rêves qu'on regrette, Et le vol enflammé de l'aigle et du poète! Tentes du ciel, Edens! temples! brillants palais! Vous êtes un séjour d'innocence et de paix! Dans le calme des nuits, à travers la distance, Vous en versez sur nous la lointaine influence! Tout ce que nous cherchons, l'amour, la vérité, Ces fruits tombés du ciel dont la terre a goûté, Dans vos brillants climats que le regard envie Nourrissent à jamais les enfants de la vie, Et l'homme, un jour peut-être à ses destins rendu, Retrouvera chez vous tout ce qu'il a perdu? Hélas! combien de fois seul, veillant sur ces cimes Où notre âme plus libre a des voeux plus sublimes, Beaux astres! fleurs du ciel dont le lis est jaloux, J'ai murmuré tout bas : Que ne suis-je un de vous? Que ne puis-je, échappant à ce globe de boue, Dans la sphère éclatante où mon regard se joue, Jonchant d'un feu de plus le parvis du saint lieu, Eclore tout à coup sous les pas de mon Dieu, Ou briller sur le front de la beauté suprême, Comme un pâle fleuron de son saint diadème? Dans le limpide azur de ces flots de cristal, Me souvenant encor de mon globe natal, Je viendrais chaque nuit, tardif et solitaire, Sur les monts que j'aimais briller près de la terre; J'aimerais à glisser sous la nuit des rameaux, A dormir sur les prés, à flotter sur les eaux; A percer doucement le voile d'un nuage, Comme un regard d'amour que la pudeur ombrage : Je visiterais l'homme; et s'il est ici-bas Un front pensif, des yeux qui ne se ferment pas, Une âme en deuil, un coeur qu'un poids sublime oppresse, Répandant devant Dieu sa pieuse tristesse; Un malheureux au jour dérobant ses douleurs Et dans le sein des nuits laissant couler ses pleurs, Un génie inquiet, une active pensée Par un instinct trop fort dans l'infini lancée; Mon rayon pénétré d'une sainte amitié Pour des maux trop connus prodiguant sa pitié, Comme un secret d'amour versé dans un coeur tendre, Sur ces fronts inclinés se plairait à descendre! Ma lueur fraternelle en découlant sur eux Dormirait sur leur sein, sourirait à leurs yeux : Je leur révélerais dans la langue divine Un mot du grand secret que le malheur devine; Je sécherais leurs pleurs; et quand l'oeil du matin Ferait pâlir mon disque à l'horizon lointain, Mon rayon en quittant leur paupière attendrie Leur laisserait encor la vague rêverie, Et la paix et l'espoir; et, lassés de gémir, Au moins avant l'aurore ils pourraient s'endormir. Et vous, brillantes soeurs! étoiles, mes compagnes, Qui du bleu firmament émaillez les campagnes, Et cadençant vos pas à la lyre des cieux, Nouez et dénouez vos choeurs harmonieux! Introduit sur vos pas dans la céleste chaîne, Je suivrais dans l'azur l'instinct qui vous entraîne, Vous guideriez mon oeil dans ce brillant désert, Labyrinthe de feux où le regard se perd! Vos rayons m'apprendraient à louer, à connaître Celui que nous cherchons, que vous voyez peut-être! Et noyant dans son sein mes tremblantes clartés, Je sentirais en lui... tout ce que vous sentez! V Le papillon Naître avec le printemps, mourir avec les roses, Sur l'aile du zéphyr nager dans un ciel pur, Balancé sur le sein des fleurs à peine écloses, S'enivrer de parfums, de lumière et d'azur, Secouant, jeune encor, la poudre de ses ailes, S'envoler comme un souffle aux voûtes éternelles, Voilà du papillon le destin enchanté! Il ressemble au désir, qui jamais ne se pose, Et sans se satisfaire, effleurant toute chose, Retourne enfin au ciel chercher la volupté! VI Le passé A M. A. de V*. Arrêtons-nous sur la colline A l'heure où, partageant les jours, L'astre du matin qui décline Semble précipiter son cours! En avançant dans sa carrière, Plus faible il rejette en arrière L'ombre terrestre qui le suit, Et de l'horizon qu'il colore Une moitié le voit encore, L'autre se plonge dans la nuit! C'est l'heure où, sous l'ombre inclinée, Le laboureur dans le vallon Suspend un moment sa journée, Et s'assied au bord du sillon! C'est l'heure où, près de la fontaine, Le voyageur reprend haleine Après sa course du matin! Et c'est l'heure où l'âme qui pense Se retourne et voit l'espérance Qui l'abandonne en son chemin! Ainsi notre étoile pâlie, Jetant de mourantes lueurs Sur le midi de notre vie, Brille à peine à travers nos pleurs. De notre rapide existence L'ombre de la mort qui s'avance Obscurcit déjà la moitié! Et, près de ce terme funeste, Comme à l'aurore, il ne nous reste Que l'espérance et l'amitié! Ami qu'un même jour vit naître, Compagnon depuis le berceau, Et qu'un même jour doit peut-être Endormir au même tombeau! Voici la borne qui partage Ce douloureux pèlerinage Qu'un même sort nous a tracé! De ce sommet qui nous rassemble, Viens, jetons un regard ensemble Sur l'avenir et le passé! Repassons nos jours, si tu l'oses! Jamais l'espoir des matelots Couronna-t-il d'autant de roses Le navire qu'on lance aux flots? Jamais d'une teinte plus belle L'aube en riant colora-t-elle Le front rayonnant du matin? Jamais, d'un oeil perçant d'audace, L'aigle embrassa-t-il plus d'espace Que nous en ouvrait le destin? En vain sur la route fatale, Dont les cyprès tracent le bord, Quelques tombeaux par intervalle Nous avertissaient de la mort! Ces monuments mélancoliques Nous semblaient, comme aux jours antiques, Un vain ornement du chemin! Nous nous asseyions sous leur ombre, Et nous rêvions des jours sans nombre, Hélas! entre hier et demain! Combien de fois, près du rivage Où Nisida dort sur les mers, La beauté crédule ou volage Accourut à nos doux concerts! Combien de fois la barque errante Berça sur l'onde transparente Deux couples par l'Amour conduits! Tandis qu'une déesse amie Jetait sur la vague endormie Le voile parfumé des nuits! Combien de fois, dans le délire Qui succédait à nos festins, Aux sons antiques de la lyre, J'évoquai des songes divins! Aux parfums des roses mourantes, Aux vapeurs des coupes fumantes, Ils volaient à nous tour à tour! Et sur leurs ailes nuancées, Egaraient nos molles pensées Dans les dédales de l'Amour! Mais dans leur insensible pente, Les jours qui succédaient aux jours Entraînaient comme une eau courante Et nos songes et nos amours; Pareil à la fleur fugitive Qui du front joyeux d'un convive Tombe avant l'heure du festin, Ce bonheur que l'ivresse cueille, De nos fronts tombant feuille à feuille, Jonchait le lugubre chemin! Et maintenant, sur cet espace Que nos pas ont déjà quitté, Retourne-toi! cherchons la trace De l'amour, de la volupté! En foulant leurs rives fanées, Remontons le cours des années, Tandis qu'un souvenir glacé, Comme l'astre adouci des ombres, Eclaire encor de teintes sombres La scène vide du passé! Ici, sur la scène du monde, Se leva ton premier soleil! Regarde! quelle nuit profonde A remplacé ce jour vermeil! Tout sous les cieux semblait sourire, La feuille, l'onde, le zéphire Murmuraient des accords charmants! Ecoute! la feuille est flétrie! Et les vents sur l'onde tarie Rendent de sourds gémissements! Reconnais-tu ce beau rivage? Cette mer aux flots argentés, Qui ne fait que bercer l'image Des bords dans son sein répétés? Un nom chéri vole sur l'onde!... Mais pas une voix qui réponde, Que le flot grondant sur l'écueil! Malheureux! quel nom tu prononces! Ne vois-tu pas parmi ces ronces Ce nom gravé sur un cercueil?... Plus loin sur la rive où s'épanche Un fleuve épris de ces coteaux, Vois-tu ce palais qui se penche Et jette une ombre au sein des eaux? Là, sous une forme étrangère, Un ange exilé de sa sphère D'un céleste amour t'enflamma! Pourquoi trembler? quel bruit t'étonne? Ce n'est qu'une ombre qui frissonne Aux pas du mortel qu'elle aima! Hélas! partout où tu repasses, C'est le deuil, le vide ou la mort, Et rien n'a germé sur nos traces Que la douleur ou le remord! Voilà ce coeur où ta tendresse Sema des fruits que ta vieillesse, Hélas! ne recueillera pas : Là, l'oubli perdit ta mémoire! Là, l'envie étouffa ta gloire! Là, ta vertu fit des ingrats! Là, l'illusion éclipsée S'enfuit sous un nuage obscur! Ici, l'espérance lassée Replia ses ailes d'azur! Là, sous la douleur qui le glace, Ton sourire perdit sa grâce, Ta voix oublia ses concerts! Tes sens épuisés se plaignirent, Et tes blonds cheveux se teignirent Au souffle argenté des hivers! Ainsi des rives étrangères, Quand l'homme, à l'insu des tyrans, Vers la demeure de ses pères Porte en secret ses pas errants, L'ivraie a couvert ses collines, Son toit sacré pend en ruines, Dans ses jardins l'onde a tari; Et sur le seuil qui fut sa joie, Dans l'ombre un chien féroce aboie Contre les mains qui l'ont nourri! Mais ces sens qui s'appesantissent Et du temps subissent la loi, Ces yeux, ce coeur qui se ternissent, Cette ombre enfin, ce n'est pas toi! Sans regret, au flot des années, Livre ces dépouilles fanées Qu'enlève le souffle des jours, Comme on jette au courant de l'onde La feuille aride et vagabonde Que l'onde entraîne dans son cours! Ce n'est plus le temps de sourire A ces roses de peu de jours! De mêler aux sons de la lyre Les tendres soupirs des amours! De semer sur des fonds stériles Ces voeux, ces projets inutiles, Par les vents du ciel emportés, A qui le temps qui nous dévore Ne donne pas l'heure d'éclore Pendant nos rapides étés! Levons les yeux vers la colline Où luit l'étoile du matin! Saluons la splendeur divine Qui se lève dans le lointain! Cette clarté pure et féconde Aux yeux de l'âme éclaire un monde Où la foi monte sans effort! D'un saint espoir ton coeur palpite; Ami! pour y voler plus vite, Prenons les ailes de la mort! En vain, dans ce désert aride, Sous nos pas tout s'est effacé! Viens! où l'éternité réside, On retrouve jusqu'au passé! Là, sont nos rêves pleins de charmes, Et nos adieux trempés de larmes, Nos voeux et nos espoirs perdus! Là, refleuriront nos jeunesses; Et les objets de nos tristesses A nos regrets seront rendus! Ainsi, quand les vents de l'automne Ont balayé l'ombre des bois, L'hirondelle agile abandonne Le faîte du palais des rois! Suivant le soleil dans sa course, Elle remonte vers la source D'où l'astre nous répand les jours; Et sur ses pas retrouve encore Un autre ciel, une autre aurore, Un autre nid pour ses amours! Ce roi, dont la sainte tristesse Immortalisa les douleurs, Vit ainsi sa verte jeunesse Se renouveler sous ses pleurs! Sa harpe, à l'ombre de la tombe, Soupirait comme la colombe Sous les verts cyprès du Carmel! Et son coeur, qu'une lampe éclaire, Résonnait comme un sanctuaire Où retentit l'hymne éternel! VII Tristesse Ramenez-moi, disais-je, au fortuné rivage Où Naples réfléchit dans une mer d'azur Ses palais, ses coteaux, ses astres sans nuage, Où l'oranger fleurit sous un ciel toujours pur. Que tardez-vous? Partons! Je veux revoir encore Le Vésuve enflammé sortant du sein des eaux; Je veux de ses hauteurs voir se lever l'aurore; Je veux, guidant les pas de celle que j'adore, Redescendre, en rêvant, de ces riants coteaux; Suis-moi dans les détours de ce golfe tranquille; Retournons sur ces bords à nos pas si connus, Aux jardins de Cinthie, au tombeau de Virgile, Près des débris épars du temple de Vénus : Là, sous les orangers, sous la vigne fleurie, Dont le pampre flexible au myrte se marie, Et tresse sur ta tête une voûte de fleurs, Au doux bruit de la vague ou du vent qui murmure, Seuls avec notre amour, seuls avec la nature, La vie et la lumière auront plus de douceurs. De mes jours pâlissants le flambeau se consume, Il s'éteint par degrés au souffle du malheur, Ou, s'il jette parfois une faible lueur, C'est quand ton souvenir dans mon sein le rallume; Je ne sais si les dieux me permettront enfin D'achever ici-bas ma pénible journée. Mon horizon se borne, et mon oeil incertain Ose l'étendre à peine au-delà d'une année. Mais s'il faut périr au matin, S'il faut, sur une terre au bonheur destinée, Laisser échapper de ma main Cette coupe que le destin Semblait avoir pour moi de roses couronnée, Je ne demande aux dieux que de guider mes pas Jusqu'aux bords qu'embellit ta mémoire chérie, De saluer de loin ces fortunés climats, Et de mourir aux lieux où j'ai goûté la vie. VIII La Solitude Heureux qui, s'écartant des sentiers d'ici-bas, A l'ombre du désert allant cacher ses pas, D'un monde dédaigné secouant la poussière, Efface, encor vivant, ses traces sur la terre, Et, dans la solitude enfin enseveli, Se nourrit d'espérance et s'abreuve d'oubli! Tel que ces esprits purs qui planent dans l'espace, Tranquille spectateur de cette ombre qui passe, Des caprices du sort à jamais défendu, Il suit de l'oeil ce char dont il est descendu!... Il voit les passions, sur une onde incertaine, De leur souffle orageux enfler la voile inhumaine. Mais ces vents inconstants ne troublent plus sa paix; Il se repose en Dieu, qui ne change jamais; Il aime à contempler ses plus hardis ouvrages, Ces monts, vainqueurs des vents, de la foudres et des âges, Où dans leur masse auguste et leur solidité, Ce Dieu grava sa force et son éternité. A cette heure où, frappé d'un rayon de l'aurore, Leur sommet enflammé que l'Orient colore, Comme un phare céleste allumé dans la nuit, Jaillit étincelant de l'ombre qui s'enfuit, Il s'élance, il franchit ses riantes collines Que le mont jette au loin sur ses larges racines, Et, porté par degrés jusqu'à ses sombres flancs, Sous ses pins immortels il s'enfonce à pas lents : Là, des torrents séchés le lit seul est sa route, Tantôt les rocs minés sur lui pendent en voûte, Et tantôt, sur leurs bords tout à coup suspendu, Il recule étonné; son regard éperdu Jouit avec horreur de cet effroi sublime, Et sous ses pieds, longtemps, il voit tournoyer l'abîme! Il monte, et l'horizon grandit à chaque instant; Il monte, et devant lui l'immensité s'étend Comme sous le regard d'une nouvelle aurore; Un monde à chaque pas pour ses yeux semble éclore! Jusqu'au sommet suprême où son oeil enchanté S'empare de l'espace, et plane en liberté. Ainsi, lorsque notre âme, à sa source envolée, Quitte enfin pour toujours la terrestre vallée, Chaque coup de son aile, en l'élevant aux cieux, Elargit l'horizon qui s'étend sous nos yeux; Des mondes sous son vol le mystère s'abaisse, En découvrant toujours, elle monte sans cesse Jusqu'aux saintes hauteurs où l'oeil du séraphin Sur l'espace infini plonge un regard sans fin. Salut, brillants sommets! champs de neige et de glace! Vous qui d'aucun mortel n'avez gardé la trace; Vous que le regard même aborde avec effroi, Et qui n'avez souffert que les aigles et moi! Oeuvres du premier jour, augustes pyramides Que Dieu même affermit sur vos bases solides! Confins de l'univers, qui, depuis ce grand jour, N'avez jamais changé de forme et de contour! Le nuage, en grondant, parcourt en vain vos cimes, Le fleuve en vain grossi sillonne vos abîmes, La foudre frappe en vain votre front endurci; Votre front solennel, un moment obscurci, Sur nous, comme la nuit, versant son ombre obscure, Et laissant pendre au loin sa noire chevelure, Semble, toujours vainqueur du choc qui l'ébranla, Au dieu qui l'a fondé dire encor : Me voilà! Et moi, me voici seul sur ces confins du monde! Loin d'ici, sous mes pieds la foudre vole et gronde, Les nuages battus par les ailes des vents Entre-choquant comme eux leurs tourbillons mouvants, Tels qu'un autre Océan soulevé par l'orage, Se déroulent sans fin dans des lits sans rivage, Et devant ces sommets abaissant leur orgueil, Brisent incessamment sur cet immense écueil. Mais, tandis qu'à ses pieds ce noir chaos bouillonne, D'éternelles splendeurs le soleil le couronne : Depuis l'heure où son char s'élance dans les airs, Jusqu'à l'heure où son disque incline vers les mers, Cet astre, en décrivant son oblique carrière, D'aucune ombre jamais n'y souille sa lumière, Et déjà la nuit sombre a descendu des cieux Qu'à ces sommets encore il dit de longs adieux. Là, tandis que je nage en des torrents de joie, Ainsi que mon regard, mon âme se déploie, Et croit, en respirant cet air de liberté, Recouvrer sa splendeur et sa sérénité. Oui, dans cet air du ciel, les soins lourds de la vie, Le mépris des mortels, leur haine, ou leur envie, N'accompagnent plus l'homme et ne surnagent pas : Comme un vil plomb, d'eux-même ils retombent en bas. Ainsi, plus l'onde est pure, et moins l'homme y surnage. .................................................... A peine de ce monde il emporte une image! .................................................... Mais ton image, ô Dieu, dans ces grands traits épars, En s'élevant vers toi grandit à nos regards. Comme au prêtre habitant l'ombre du sanctuaire, Chaque pas te révèle à l'âme solitaire : Le silence et la nuit, et l'ombre des forêts, Lui murmurent tout bas de sublimes secrets; Et l'esprit, abîmé dans ces rares spectacles, Par la voix des déserts écoute tes oracles. .................................................... J'ai vu de l'Océan les flots épouvantés, Pareils aux fiers coursiers dans la plaine emportés, Déroulant à ta voix leur humide crinière, Franchir en bondissant leur bruyante barrière, Puis soudain, refoulés sous ton sein tout-puissant, Dans l'abîme étonné rentrer en mugissant. J'ai vu le fleuve, épris des gazons du rivage, Se glisser flots à flots, de bocage en bocage, Et dans son lit voilé d'ombrage et de fraîcheur, Bercer en murmurant la barque du pêcheur; J'ai vu le trait brisé de la foudre qui gronde Comme un serpent de feu se dérouler sur l'onde; Le zéphir embaumé des doux parfums du miel, Balayer doucement l'azur voilé du ciel; La colombe, essuyant son aile encore humide, Sur les bords de son nid poser un pied timide, Puis d'un vol cadencé fendant le flot des airs S'abattre en soupirant sur la rive des mers. J'ai vu ces monts voisins des cieux où tu reposes, Cette neige où l'aurore aime à semer ses roses, Ces trésors des hivers, d'où par mille détours Dans nos champs desséchés multipliant leur cours, Cent rochers de cristal, que tu fonds à mesure, Viennent désaltérer la mourante verdure! Et ces ruisseaux pleuvant de ces rocs suspendus, Et ces torrents grondant dans les granits fendus, Et ces pics où le temps a perdu sa victoire..., Et toute la nature est un hymne à ta gloire! IX Ischia Le soleil va porter le jour à d'autres mondes; Dans l'horizon désert Phébé monte sans bruit, Et jette, en pénétrant les ténèbres profondes, Un voile transparent sur le front de la nuit. Voyez du haut des monts ses clartés ondoyantes Comme un fleuve de flamme inonder les coteaux, Dormir dans les vallons, ou glisser sur les pentes, Ou rejaillir au loin du sein brillant des eaux. La douteuse lueur, dans l'ombre répandue, Teint d'un jour azuré la pâle obscurité, Et fait nager au loin dans la vague étendue Les horizons baignés par sa molle clarté! L'Océan amoureux de ces rives tranquilles Calme, en baisant leurs pieds, ses orageux transports, Et pressant dans ses bras ces golfes et ces îles, De son humide haleine en rafraîchit les bords. Du flot qui tour à tour s'avance et se retire L'oeil aime à suivre au loin le flexible contour : On dirait un amant qui presse en son délire La vierge qui résiste, et cède tour à tour! Doux comme le soupir de l'enfant qui sommeille, Un son vague et plaintif se répand dans les airs : Est-ce un écho du ciel qui charme notre oreille? Est-ce un soupir d'amour de la terre et des mers? Il s'élève, il retombe, il renaît, il expire, Comme un coeur oppressé d'un poids de volupté, Il semble qu'en ces nuits la nature respire, Et se plaint comme nous de sa félicité! Mortel, ouvre ton âme à ces torrents de vie! Reçois par tous les sens les charmes de la nuit, A t'enivrer d'amour son ombre te convie; Son astre dans le ciel se lève, et te conduit. Vois-tu ce feu lointain trembler sur la colline? Par la main de l'Amour c'est un phare allumé; Là, comme un lis penché, l'amante qui s'incline Prête une oreille avide aux pas du bien-aimé! La vierge, dans le songe où son âme s'égare, Soulève un oeil d'azur qui réfléchit les cieux, Et ses doigts au hasard errant sur sa guitare Jettent aux vents du soir des sons mystérieux! " Viens! l'amoureux silence occupe au loin l'espace; Viens du soir près de moi respirer la fraîcheur! C'est l'heure; à peine au loin la voile qui s'efface Blanchit en ramenant le paisible pêcheur! " Depuis l'heure où ta barque a fui loin de la rive, J'ai suivi tout le jour ta voile sur les mers, Ainsi que de son nid la colombe craintive Suit l'aile du ramier qui blanchit dans les airs! " Tandis qu'elle glissait sous l'ombre du rivage, J'ai reconnu ta voix dans la voix des échos; Et la brise du soir, en mourant sur la plage, Me rapportait tes chants prolongés sur les flots. " Quand la vague a grondé sur la côte écumante, À l'étoile des mers j'ai murmuré ton nom, J'ai rallumé sa lampe, et de ta seule amante L'amoureuse prière a fait fuir l'aquilon! " Maintenant sous le ciel tout repose, ou tout aime : La vague en ondulant vient dormir sur le bord; La fleur dort sur sa tige, et la nature même Sous le dais de la nuit se recueille et s'endort. " Vois! la mousse a pour nous tapissé la vallée, Le pampre s'y recourbe en replis tortueux, Et l'haleine de l'onde, à l'oranger mêlée, De ses fleurs qu'elle effeuille embaume mes cheveux. " A la molle clarté de la voûte sereine Nous chanterons ensemble assis sous le jasmin, Jusqu'à l'heure où la lune, en glissant vers Misène, Se perd en pâlissant dans les feux du matin. " Elle chante; et sa voix par intervalle expire, Et, des accords du luth plus faiblement frappés, Les échos assoupis ne livrent au zéphire Que des soupirs mourants, de silence coupés! Celui qui, le coeur plein de délire et de flamme, A cette heure d'amour, sous cet astre enchanté, Sentirait tout à coup le rêve de son âme S'animer sous les traits d'une chaste beauté; Celui qui, sur la mousse, au pied du sycomore, Au murmure des eaux, sous un dais de saphirs, Assis à ses genoux, de l'une à l'autre aurore, N'aurait pour lui parler que l'accent des soupirs; Celui qui, respirant son haleine adorée, Sentirait ses cheveux, soulevés par les vents, Caresser en passant sa paupière effleurée, Ou rouler sur son front leurs anneaux ondoyants; Celui qui, suspendant les heures fugitives, Fixant avec l'amour son âme en ce beau lieu, Oublierait que le temps coule encor sur ces rives, Serait-il un mortel, ou serait-il un dieu?... Et nous, aux doux penchants de ces verts Elysées, Sur ces bords où l'amour eût caché son Eden, Au murmure plaintif des vagues apaisées, Aux rayons endormis de l'astre élysien, Sous ce ciel où la vie, où le bonheur abonde, Sur ces rives que l'oeil se plaît à parcourir, Nous avons respiré cet air d'un autre monde, Elyse!... et cependant on dit qu'il faut mourir! X La branche d'amandier De l'amandier tige fleurie, Symbole, hélas! de la beauté, Comme toi, la fleur de la vie Fleurit et tombe avant l'été. Qu'on la néglige ou qu'on la cueille, De nos fronts, des mains de l'Amour, Elle s'échappe feuille à feuille, Comme nos plaisirs jour à jour! Savourons ces courtes délices; Disputons-les même au zéphyr, Epuisons les riants calices De ces parfums qui vont mourir. Souvent la beauté fugitive Ressemble à la fleur du matin, Qui, du front glacé du convive, Tombe avant l'heure du festin. Un jour tombe, un autre se lève; Le printemps va s'évanouir; Chaque fleur que le vent enlève Nous dit : Hâtez-vous de jouir. Et, puisqu'il faut qu'elles périssent, Qu'elles périssent sans retour! Que ces roses ne se flétrissent Que sous les lèvres de l'amour! XI A EL** Lorsque seul avec toi, pensive et recueillie, Tes deux mains dans la mienne, assis à tes côtés, J'abandonne mon âme aux molles voluptés Et je laisse couler les heures que j'oublie; Lorsqu'au fond des forêts je t'entraîne avec moi, Lorsque tes doux soupirs charment seuls mon oreille, Ou que, te répétant les serments de la veille, Je te jure à mon tour de n'adorer que toi; Lorsqu'enfin, plus heureux, ton front charmant repose Sur mon genou tremblant qui lui sert de soutien, Et que mes doux regards sont suspendus au tien Comme l'abeille avide aux feuilles de la rose; Souvent alors, souvent, dans le fond de mon coeur Pénètre comme un trait une vague terreur; Tu me vois tressaillir; je pâlis, je frissonne, Et troublé tout à coup dans le sein du bonheur, Je sens couler des pleurs dont mon âme s'étonne. Tu me presses soudain dans tes bras caressants, Tu m'interroges, tu t'alarmes, Et je vois de tes yeux s'échapper quelques larmes Qui viennent se mêler aux pleurs que je répands. " De quel ennui secret ton âme est-elle atteinte? Me dis-tu : cher amour, épanche ta douleur; J'adoucirai ta peine en écoutant ta plainte, Et mon coeur versera le baume dans ton coeur. " Ne m'interroge plus, ô moitié de moi-même! Enlacé dans tes bras, quand tu me dis : Je t'aime; Quand mes yeux enivrés se soulèvent vers toi, Nul mortel sous les cieux n'est plus heureux que moi! Mais jusque dans le sein des heures fortunées Je ne sais quelle voix que j'entends retentir Me poursuit, et vient m'avertir Que le bonheur s'enfuit sur l'aile des années, Et que de nos amours le flambeau doit mourir! D'un vol épouvanté, dans le sombre avenir Mon âme avec effroi se plonge, Et je me dis : Ce n'est qu'un songe Que le bonheur qui doit finir. XII Elégie Cueillons, cueillons la rose au matin de la vie; Des rapides printemps respire au moins les fleurs. Aux chastes voluptés abandonnons nos coeurs, Aimons-nous sans mesure, ô mon unique amie! Quand le nocher battu par les flots irrités Voit son fragile esquif menacé du naufrage, Il tourne ses regards aux bords qu'il a quittés, Et regrette trop tard les loisirs du rivage. Ah! qu'il voudrait alors au toit de ses aïeux, Près des objets chéris présents à sa mémoire, Coulant des jours obscurs, sans périls et sans gloire, N'avoir jamais laissé son pays ni ses dieux! Ainsi l'homme, courbé sous le poids des années, Pleure son doux printemps qui ne peut revenir. Ah! rendez-moi, dit-il, ces heures profanées; O dieux! dans leur saison j'oubliai d'en jouir. Il dit : la mort répond; et ces dieux qu'il implore, Le poussant au tombeau sans se laisser fléchir, Ne lui permettent pas de se baisser encore Pour ramasser ces fleurs qu'il n'a pas su cueillir. Aimons-nous, ô ma bien-aimée! Et rions des soucis qui bercent les mortels; Pour le frivole appas d'une vaine fumée, La moitié de leurs jours, hélas! est consumée Dans l'abandon des biens réels. A leur stérile orgueil ne portons point envie, Laissons le long espoir aux maîtres des humains! Pour nous, de notre heure incertains, Hâtons-nous d'épuiser la coupe de la vie Pendant qu'elle est entre nos mains. Soit que le laurier nous couronne, Et qu'aux fastes sanglants de l'altière Bellone Sur le marbre ou l'airain on inscrive nos noms; Soit que des simples fleurs que la beauté moissonne L'amour pare nos humbles fronts; Nous allons échouer, tous, au même rivage : Qu'importe, au moment du naufrage, Sur un vaisseau fameux d'avoir fendu les airs, Ou sur une barque légère D'avoir, passager solitaire, Rasé timidement le rivage des mers? XIII Le poète mourant La coupe de mes jours s'est brisée encor pleine; Ma vie hors de mon sein s'enfuit à chaque haleine; Ni baisers ni soupirs ne peuvent l'arrêter; Et l'aile de la mort, sur l'airain qui me pleure, En sons entrecoupés frappe ma dernière heure; Faut-il gémir? faut-il chanter?... Chantons, puisque mes doigts sont encor sur la lyre; Chantons, puisque la mort, comme au cygne, m'inspire Aux bords d'un autre monde un cri mélodieux. C'est un présage heureux donné par mon génie, Si notre âme n'est rien qu'amour et harmonie, Qu'un chant divin soit ses adieux! La lyre en se brisant jette un son plus sublime; La lampe qui s'éteint tout à coup se ranime, Et d'un éclat plus pur brille avant d'expirer; Le cygne voit le ciel à son heure dernière, L'homme seul, reportant ses regards en arrière, Compte ses jours pour les pleurer. Qu'est-ce donc que des jours pour valoir qu'on les pleure? Un soleil, un soleil; une heure, et puis une heure; Ce qu'une nous apporte, une autre nous l'enlève : Travail, repos, douleur, et quelquefois un rêve, Voilà le jour, puis vient la nuit. Ah! qu'il pleure, celui dont les mains acharnées S'attachant comme un lierre aux débris des années, Voit avec l'avenir s'écrouler son espoir! Pour moi, qui n'ai point pris racine sur la terre, Je m'en vais sans effort, comme l'herbe légère Qu'enlève le souffle du soir. Le poète est semblable aux oiseaux de passage Qui ne bâtissent point leurs nids sur le rivage, Qui ne se posent point sur les rameaux des bois; Nonchalamment bercés sur le courant de l'onde, Ils passent en chantant loin des bords; et le monde Ne connaît rien d'eux, que leur voix. Jamais aucune main sur la corde sonore Ne guida dans ses jeux sa main novice encore. L'homme n'enseigne pas ce qu'inspire le ciel; Le ruisseau n'apprend pas à couler dans sa pente, L'aigle à fendre les airs d'une aile indépendante, L'abeille à composer son miel. L'airain retentissant dans sa haute demeure, Sous le marteau sacré tour à tour chante et pleure, Pour célébrer l'hymen, la naissance ou la mort; J'étais comme ce bronze épuré par la flamme, Et chaque passion, en frappant sur mon âme, En tirait un sublime accord. Telle durant la nuit la harpe éolienne, Mêlant aux bruits des eaux sa plainte aérienne, Résonne d'elle-même au souffle des zéphyrs. Le voyageur s'arrête, étonné de l'entendre, Il écoute, il admire et ne saurait comprendre D'où partent ces divins soupirs. Ma harpe fut souvent de larmes arrosée, Mais les pleurs sont pour nous la céleste rosée; Sous un ciel toujours pur le coeur ne mûrit pas : Dans la coupe écrasé le jus du pampre coule, Et le baume flétri sous le pied qui le foule Répand ses parfums sur nos pas. Dieu d'un souffle brûlant avait formé mon âme, Tout ce qu'elle approchait s'embrasait de sa flamme : Don fatal! et je meurs pour avoir trop aimé! Tout ce que j'ai touché s'est réduit en poussière : Ainsi le feu du ciel tombé sur la bruyère S'éteint quand tout est consumé. Mais le temps? - Il n'est plus. - Mais la gloire? - Eh! qu'importe Cet écho d'un vain son, qu'un siècle à l'autre apporte? Ce nom, brillant jouet de la postérité? Vous qui de l'avenir lui promettez l'empire, Ecoutez cet accord que va rendre ma lyre!... .................................................... Les vents l'ont déjà emporté! Ah! donnez à la mort un espoir moins frivole. Eh quoi! le souvenir de ce son qui s'envole Autour d'un vain tombeau retentirait toujours? Ce souffle d'un mourant, quoi! c'est là de la gloire? Mais vous qui promettez les temps à sa mémoire, Mortels, possédez-vous deux jours? J'en atteste les dieux! depuis que je respire, Mes lèvres n'ont jamais prononcé sans sourire Ce grand nom inventé par le délire humain; Plus j'ai pressé ce mot, plus je l'ai trouvé vide, Et je l'ai rejeté, comme une écorce aride Que nos lèvres pressent en vain. Dans le stérile espoir d'une gloire incertaine, L'homme livre, en passant, au courant qui l'entraîne Un nom de jour en jour dans sa course affaibli; De ce brillant débris le flot du temps se joue; De siècle en siècle, il flotte, il avance, il échoue Dans les abîmes de l'oubli. Je jette un nom de plus à ces flots sans rivage; Au gré des vents, du ciel, qu'il s'abîme ou surnage, En serai-je plus grand? Pourquoi? ce n'est qu'un nom. Le cygne qui s'envole aux voûtes éternelles, Amis! s'informe-t-il si l'ombre de ses ailes Flotte encor sur un vil gazon? Mais pourquoi chantais-tu? - Demande à Philomèle Pourquoi, durant les nuits, sa douce voix se mêle Au doux bruit des ruisseaux sous l'ombrage roulant! Je chantais, mes amis, comme l'homme respire, Comme l'oiseau gémit, comme le vent soupire, Comme l'eau murmure en coulant. Aimer, prier, chanter, voilà toute ma vie. Mortels! de tous ces biens qu'ici-bas l'homme envie, A l'heure des adieux je ne regrette rien; Rien que l'ardent soupir qui vers le ciel s'élance, L'extase de la lyre, ou l'amoureux silence D'un coeur pressé contre le mien. Aux pieds de la beauté sentir frémir sa lyre, Voir d'accord en accord l'harmonieux délire Couler avec le son et passer dans son sein, Faire pleuvoir les pleurs de ces yeux qu'on adore, Comme au souffle des vents les larmes de l'aurore Tombent d'un calice trop plein; Voir le regard plaintif de la vierge modeste Se tourner tristement vers la voûte céleste, Comme pour s'envoler avec le son qui fuit, Puis retombant sur vous plein d'une chaste flamme, Sous ses cils abaissés laisser briller son âme, Comme un feu tremblant dans la nuit; Voir passer sur son front l'ombre de la pensée, La parole manquer à sa bouche oppressée, Et de ce long silence entendre enfin sortir Ce mot qui retentit jusque dans le ciel même, Ce mot, le mot des dieux, et des hommes : ... Je t'aime! Voilà ce qui vaut un soupir. Un soupir! un regret! inutile parole! Sur l'aile de la mort, mon âme au ciel s'envole; Je vais où leur instinct emporte nos désirs; Je vais où le regard voit briller l'espérance; Je vais où va le son qui de mon luth s'élance; Où sont allés tous mes soupirs! Comme l'oiseau qui voit dans les ombres funèbres, La foi, cet oeil de l'âme, a percé mes ténèbres; Son prophétique instinct m'a révélé mon sort. Aux champs de l'avenir combien de fois mon âme, S'élançant jusqu'au ciel sur des ailes de flamme, A-t-elle devancé la mort? N'inscrivez point de nom sur ma demeure sombre. Du poids d'un monument ne chargez pas mon ombre : D'un peu de sable, hélas! je ne suis point jaloux. Laissez-moi seulement à peine assez d'espace Pour que le malheureux qui sur ma tombe passe Puisse y poser ses deux genoux. Souvent dans le secret de l'ombre et du silence, Du gazon d'un cercueil la prière s'élance Et trouve l'espérance à côté de la mort. Le pied sur une tombe on tient moins à la terre; L'horizon est plus vaste, l'âme plus légère, Monte au ciel avec moins d'effort. Brisez, livrez aux vents, aux ondes, à la flamme, Ce luth qui n'a qu'un son pour répondre à mon âme! Le luth des Séraphins va frémir sous mes doigts. Bientôt, vivant comme eux d'un immortel délire, Je vais guider, peut-être, aux accords de ma lyre, Des cieux suspendus à ma voix. Bientôt!... Mais de la mort la main lourde et muette Vient de toucher la corde : elle se brise, et jette Un son plaintif et sourd dans la vague des airs. Mon luth glacé se tait... Amis, prenez le vôtre; Et que mon âme encor passe d'un monde à l'autre Au bruit de vos sacrés concerts! XIV L'ange Fragment épique Dieu se lève; et soudain sa voix terrible appelle De ses ordres secrets un ministre fidèle, Un de ces esprits purs qui sont chargés par lui De servir aux humains de conseil et d'appui, De lui porter leurs voeux sur leurs ailes de flamme, De veiller sur leur vie, et de garder leur âme; Tout mortel a le sien : cet ange protecteur, Cet invisible ami veille autour de son coeur, L'inspire, le conduit, le relève s'il tombe, Et, portant dans les cieux son âme entre ses mains, La présente en tremblant au juge des humains : C'est ainsi qu'entre l'homme et Jéhovah lui-même, Entre le pur néant et la grandeur suprême, D'êtres inaperçus une chaîne sans fin Réunit l'homme à l'ange et l'ange au séraphin; C'est ainsi que, peuplant l'étendue infinie, Dieu répandit partout l'esprit, l'âme et la vie! Au son de cette voix, qui fait trembler le ciel, S'élance devant Dieu l'archange Ithuriel : C'est lui qui du héros est le céleste guide Et qui pendant sa vie à ses destins préside : Sur les marches du trône, où de la Trinité Brille au plus haut des cieux la triple majesté, L'esprit, épouvanté de la splendeur divine, Dans un saint tremblement soudain monte et s'incline, Et du voile éclatant de ses deux ailes d'or Du céleste regard s'ombrage, et tremble encor! Mais Dieu, voilant pour lui sa clarté dévorante, Modère les accents de sa voix éclatante, Se penche sur son trône et lui parle : soudain Tout le ciel, attentif au Verbe souverain, Suspend les chants sacrés, et la cour immortelle S'apprête à recueillir la parole éternelle. Pour la première fois, sous la voûte des cieux, Cessa des chérubins le choeur harmonieux : On n'entendit alors dans les saintes demeures Que le bruit cadencé du char léger des heures Qui, des jours éternels mesurant l'heureux cours, Dans un cercle sans fin, fuit et revient toujours; On n'entendit alors que la sourde harmonie Des sphères poursuivant leur course indéfinie, Et des astres pieux le murmure d'amour, Qui vient mourir au seuil du céleste séjour! Mais en vain dans le ciel les choeurs sacrés se turent; Autour du trône en vain tous les saints accoururent; L'archange entendit seul les ordres du Très-Haut; Il s'incline, il adore, il s'élance aussitôt. Telle qu'au sein des nuits, une étoile tombante, Se détachant soudain de la voûte éclatante, Glisse, et d'un trait de feu fendant l'obscurité, Vient aux bords des marais étendre sa clarté : Tel, d'un vol lumineux et d'une aile assurée, L'ardent Ithuriel fend la plaine azurée. A peine a-t-il franchi ces déserts enflammés, Que la main du Très-Haut de soleils a semés, Il ralentit son vol, et, comme un aigle immense, Sur son aile immobile un instant se balance : Il craint que la clarté des célestes rayons Ne trahisse son vol aux yeux des nations; Et secouant trois fois ses ailes immortelles, Trois fois en fait jaillir des gerbes d'étincelles. Le nocturne pasteur, qui compte dans les cieux Les astres tant de fois nommés par ses aïeux, Se trouble, et croit que Dieu de nouvelles étoiles A de l'antique nuit semé les sombres voiles! Mais, pour tromper les yeux, l'archange essaye en vain De dépouiller l'éclat de ce reflet divin, L'immortelle clarté dont son aile est empreinte L'accompagne au-delà de la céleste enceinte; Et ces rayons du ciel, dont il est pénétré, Se détachant de lui, pâlissent par degré. Ainsi le globe ardent, que l'ange des batailles Inventa pour briser les tours et les murailles, Sur ses ailes de feu projeté dans les airs, Trace au sein de la nuit de sinistres éclairs : Immobile un moment au haut de sa carrière, Il pâlit, il retombe en perdant sa lumière; Tous les yeux avec lui dans les airs suspendus Le cherchent dans l'espace et ne le trouvent plus! C'était l'heure où la nuit fait descendre du ciel Le silence et l'oubli, compagnons du sommeil; Le fleuve, déroulant ses vagues fugitives, Réfléchissait les feux allumés sur ses rives, Ces feux abandonnés, dont les débris mouvants Pâlissaient, renaissaient, mouraient au gré des vents; D'une antique forêt le ténébreux ombrage Couvrait au loin la plaine et bordait le rivage : Là, sous l'abri sacré du chêne, aimé des Francs, Clovis avait planté ses pavillons errants! Les vents, par intervalle agitant les armures, En tiraient dans la nuit de belliqueux murmures; L'astre aux rayons d'argent, se levant dans les cieux, Répandait sur le champ son jour mystérieux, Et, se réfléchissant sur l'acier des trophées, Jetait dans la forêt des lueurs étouffées : Tels brillent dans la nuit, à travers les rameaux, Les feux tremblants du ciel, réfléchis dans les eaux. Le messager divin s'avance vers la tente Où Clovis, qu'entourait sa garde vigilante, Commençait à goûter les nocturnes pavots : Clodomir et Lisois, compagnons du héros, Debout devant la tente, appuyés sur leur lance, Gardaient l'auguste seuil, et veillaient en silence. Mais de la palme d'or qui brille dans sa main L'ange en touchant leurs yeux les assoupit soudain : Ils tombent; de leur main la lance échappe et roule, Et sous son pied divin l'ange en passant les foule. Du pavillon royal il franchit les degrés. Sur la peau d'un lion, dont les ongles dorés Retombaient aux deux bords de sa couche d'ivoire, Clovis dormait, bercé par des songes de gloire. L'ange, de sa beauté, de sa grâce étonné, Contemple avec amour ce front prédestiné. Il s'approche, il retient son haleine divine, Et sur le lit du prince en souriant s'incline : Telle une jeune mère, au milieu de la nuit, De son lit nuptial sortant au moindre bruit, Une lampe à la main, sur un pied suspendue, Vole à son premier-né, tremblant d'être entendue, Et, pour calmer l'effroi qui la faisait frémir, En silence longtemps le regarde dormir! Tel des ordres d'en haut l'exécuteur fidèle, Se penchant sur Clovis, l'ombrageait de son aile. Sur le front du héros il impose ses mains : Soudain, par un pouvoir ignoré des humains, Dénouant sans efforts les liens de la vie, Des entraves des sens son âme le délie : L'ange, qui la reçoit, dirige son essor, Et le corps du héros paraît dormir encor! Dans l'astre au front changeant, dont la forme inégale, Grandissant, décroissant, mourant par intervalle, Prête ou retire aux nuits ses limpides rayons, L'Eternel étendit d'immenses régions, Où, des êtres réels images symboliques, Les songes ont bâti leurs palais fantastiques. Sortis demi-formés des mains du Tout-Puissant, Ils tiennent à la fois de l'être et du néant; Un souffle aérien est toute leur essence, Et leur vie est à peine une ombre d'existence : Aucune forme fixe, aucun contour précis, N'indiquèrent jamais ces êtres indécis; Mais ils sont, aux regards de Dieu qui les fit naître, L'image du possible et les ombres de l'être! La matière et le temps sont soumis à leurs lois. Revêtus tour à tour de formes de leur choix, Tantôt de ce qui fut ils rendent les images; Et tantôt, s'élançant dans le lointain des âges, Tous les êtres futurs, au néant arrachés, Apparaissent d'avance en leurs jeux ébauchés. Quand la nuit des mortels a fermé la paupière, Sur les pâles rayons de l'astre du mystère Ils glissent en silence, et leurs nombreux essaims Ravissent au sommeil les âmes des humains, Et, les portant d'un trait à leurs palais magiques, Font éclore à leurs yeux des mondes fantastiques. De leur globe natal les divers éléments, Subissant à leur voix d'éternels changements, Ne sont jamais fixés dans des formes prescrites, Ne connaissent ni lois, ni repos, ni limites; Mais sans cesse en travail, l'un par l'autre pressés, Séparés, confondus, attirés, repoussés, Comme les flots mouvants d'une mer en furie, Leur forme insaisissable à chaque instant varie : Où des fleuves coulaient, où mugissaient des mers, Des sommets escarpés s'élancent dans les airs; Soudain dans les vallons les montagnes descendent, Sur leurs flancs décharnés des champs féconds s'étendent, Qui, changés aussitôt en immenses déserts, S'abîment à grand bruit dans des gouffres ouverts! Des cités, des palais et des temples superbes S'élèvent, et soudain sont cachés sous les herbes; Tout change, et les cités, et les monts et les eaux, S'y déroulent sans terme en horizons nouveaux : Tel roulait le chaos dans les déserts du vide, Lorsque Dieu séparant le terre du fluide, De la confusion des éléments divers Son regard créateur vit sortir l'univers! C'est là qu'Ithuriel, sur son aile brillante, Du héros endormi portait l'âme tremblante. A peine il a touché ces bords mystérieux, L'ombre de l'avenir éclôt devant ses yeux! L'ange s'y précipite; et son âme étonnée Parcourt en un clin d'oeil l'immense destinée! .................................................... .................................................... .................................................... XV Consolation Quand le Dieu qui me frappe, attendri par mes larmes, De mon coeur oppressé soulève un peu sa main, Et, donnant quelque trêve à mes longues alarmes, Laisse tarir mes yeux et respirer mon sein; Soudain, comme le flot refoulé du rivage Aux bords qui l'ont brisé revient en gémissant, Ou comme le roseau, vain jouet de l'orage, Qui plie et rebondit sous la main du passant, Mon coeur revient à Dieu, plus docile et plus tendre, Et de ses châtiments perdant le souvenir, Comme un enfant soumis n'ose lui faire entendre Qu'un murmure amoureux pour se plaindre et bénir! Que le deuil de mon âme était lugubre et sombre! Que de nuits sans pavots, que de jours sans soleil! Que de fois j'ai compté les pas du temps dans l'ombre, Quand les heures passaient sans mener le sommeil! Mais loin de moi ces temps! que l'oubli les dévore! Ce qui n'est plus pour l'homme a-t-il jamais été? Quelques jours sont perdus; mais le bonheur encore, Peut fleurir sous mes yeux comme une fleur d'été! Tous les jours sont à toi! que t'importe leur nombre? Tu dis : le temps se hâte, ou revient sur ses pas; Eh! n'es-tu pas celui qui fit reculer l'ombre Sur le cadran rempli d'un roi que tu sauvas? Si tu voulais! ainsi le torrent de ma vie, À sa source aujourd'hui remontant sans efforts, Nourrirait de nouveau ma jeunesse tarie, Et de ses flots vermeils féconderait ses bords; Ces cheveux dont la neige, hélas! argente à peine Un front où la douleur a gravé le passé, S'ombrageraient encor de leur touffe d'ébène, Aussi pur que la vague où le cygne a passé! L'amour ranimerait l'éclat de ces prunelles, Et ce foyer du coeur, dans les yeux répété, Lancerait de nouveau ces chastes étincelles Qui d'un désir craintif font rougir la beauté! Dieu! laissez-moi cueillir cette palme féconde, Et dans mon sein ravi l'emporter pour toujours, Ainsi que le torrent emporte dans son onde Les roses de Saron qui parfument son cours! Quand pourrai-je la voir sur l'enfant qui repose S'incliner doucement dans le calme des nuits? Quand verrai-je ses fils de leurs lèvres de rose Se suspendre à son sein comme l'abeille aux lis! A l'ombre du figuier, près du courant de l'onde, Loin de l'oeil de l'envie et des pas du pervers, Je bâtirai pour eux un nid parmi le monde, Comme sur un écueil l'hirondelle des mers! Là, sans les abreuver à ces sources amères Où l'humaine sagesse a mêlé son poison, De ma bouche fidèle aux leçons de mes pères, Pour unique sagesse ils apprendront ton nom! Là je leur laisserai, pour unique héritage, Tout ce qu'à ses petits laisse l'oiseau du ciel, L'eau pure du torrent, un nid sous le feuillage, Les fruits tombés de l'arbre, et ma place au soleil! Alors, le front chargé de guirlandes fanées, Tel qu'un vieux olivier parmi ses rejetons, Je verrai de mes fils les brillantes années Cacher mon tronc flétri sous leurs jeunes festons! Alors j'entonnerai l'hymne de ma vieillesse, Et, convive enivré des vins de ta bonté, Je passerai la coupe aux mains de la jeunesse, Et je m'endormirai dans ma félicité! XVI Les Préludes La nuit, pour rafraîchir la nature embrasée, De ses cheveux d'ébène exprimant la rosée, Pose au sommet des monts ses pieds silencieux, Et l'ombre et le sommeil descendent sur mes yeux : C'était l'heure où jadis!... Mais aujourd'hui mon âme, Comme un feu dont le vent n'excite plus la flamme, Fait pour se ranimer un inutile effort, Retombe sur soi-même, et languit et s'endort! Que ce calme lui pèse! O lyre! ô mon génie! Musique intérieure, ineffable harmonie, Harpes, que j'entendais résonner dans les airs Comme un écho lointain des célestes concerts, Pendant qu'il en est temps, pendant qu'il vibre encore, Venez, venez bercer ce coeur qui vous implore. Et toi qui donnes l'âme à mon luth inspiré, Esprit capricieux, viens, prélude à ton gré! ----- Il descend! il descend! La harpe obéissante A frémi mollement sous son vol cadencé, Et de la corde frémissante Le souffle harmonieux dans mon âme a passé! ----- L'onde qui baise ce rivage, De quoi se plaint-elle à ses bords? Pourquoi le roseau sur la plage, Pourquoi le ruisseau sous l'ombrage Rendent-ils de tristes accords? De quoi gémit la tourterelle Quand, dans le silence des bois, Seule auprès du ramier fidèle, L'Amour fait palpiter son aile, Les baisers étouffent sa voix? Et toi, qui mollement te livre Au doux sourire du bonheur, Et du regard dont tu m'enivres, Me fais mourir, me fais revivre, De quoi te plains-tu sur mon coeur? Plus jeune que la jeune aurore, Plus limpide que ce flot pur, Ton âme au bonheur vient d'éclore, Et jamais aucun souffle encore N'en a terni le vague azur. Cependant, si ton coeur soupire De quelque poids mystérieux, Sur tes traits si la joie expire, Et si tout près de ton sourire Brille une larme dans tes yeux, Hélas! c'est que notre faiblesse, Pliant sous sa félicité Comme un roseau qu'un souffle abaisse, Donne l'accent de la tristesse Même au cri de la volupté; Ou bien peut-être qu'avertie De la fuite de nos plaisirs, L'âme en extase anéantie Se réveille et sent que la vie Fuit dans chacun de nos soupirs. Ah! laisse le zéphire avide A leur source arrêter tes pleurs; Jouissons de l'heure rapide : Le temps fuit, mais son flot limpide Du ciel réfléchit les couleurs. Tout naît, tout passe, tout arrive Au terme ignoré de son sort : A l'Océan l'onde plaintive, Aux vents la feuille fugitive, L'aurore au soir, l'homme à la mort. Mais qu'importe, ô ma bien-aimée! Le terme incertain de nos jours? Pourvu que sur l'onde calmée, Par une pente parfumée, Le temps nous entraîne en son cours; Pourvu que, durant le passage, Couché dans tes bras à demi, Les yeux tournés vers ton image, Sans le voir, j'aborde au rivage Comme un voyageur endormi. Le flot murmurant se retire Du rivage qu'il a baisé, La voix de la colombe expire, Et le voluptueux zéphire Dort sur le calice épuisé. Embrassons-nous, mon bien suprême, Et sans rien reprocher aux dieux, Un jour de la terre où l'on aime Evanouissons-nous de même En un soupir mélodieux. Non, non, brise à jamais cette corde amollie! Mon coeur ne répond plus à ta voix affaiblie. L'amour n'a pas de sons qui puissent l'exprimer : Pour révéler sa langue, il faut, il faut aimer. Un seul soupir du coeur que le coeur nous renvoie, Un oeil demi-voilé par des larmes de joie, Un regard, un silence, un accent de sa voix, Un mot toujours le même et répété cent fois, O lyre! en disent plus que ta vaine harmonie, L'amour est à l'amour, le reste est au génie. Si tu veux que mon coeur résonne sous ta main, Tire un plus mâle accord de tes fibres d'airain. ----- J'entends, j'entends de loin comme une voix qui gronde; Un souffle impétueux fait frissonner les airs, Comme l'on voit frissonner l'onde Quand l'aigle, au vol pesant, rase le sein des mers. ----- Eh! qui m'emportera sur des flots sans rivages? Quand pourrai-je, la nuit, aux clartés des orages, Sur un vaisseau sans mâts, au gré des aquilons, Fendre de l'Océan les liquides vallons? M'engloutir dans leur sein, m'élancer sur leurs cimes Rouler avec la vague, au fond des noirs abîmes? Et, revomi cent fois par les gouffres amers, Flotter comme l'écume, au vaste sein des mers? D'effroi, de volupté, tour à tour éperdue, Cent fois entre la vie et la mort suspendue, Peut-être que mon âme, au sein de ces horreurs, Pourrait jouir au moins de ses propres terreurs; Et, prête à s'abîmer dans la nuit qu'elle ignore, A la vie un moment se reprendrait encore, Comme un homme roulant des sommets d'un rocher, De ses bras tout sanglants cherche à s'y rattacher. Mais toujours repasser par une même route, Voir ses jours épuisés s'écouler goutte à goutte; Mais suivre pas à pas dans l'immense troupeau Ces générations, inutile fardeau, Qui meurent pour mourir, qui vécurent pour vivre, Et dont chaque printemps la terre se délivre, Comme dans nos forêts le chêne avec mépris Livre aux vents des hivers ses feuillages flétris; Sans regrets, sans espoir, avancer dans la vie Comme un vaisseau qui dort sur une onde assoupie; Sentir son âme usée en impuissant effort Se ronger lentement sous la rouille du sort; Penser sans découvrir, aspirer sans atteindre, Briller sans éclairer, et pâlir sans s'éteindre : Hélas! tel est mon sort et celui des humains! Nos pères ont passé par les mêmes chemins. Chargés du même sort, nos fils prendront nos places. Ceux qui ne sont pas nés y trouveront leurs traces. Tout s'use, tout périt, tout passe : mais, hélas! Excepté les mortels, rien ne change ici-bas! ----- Toi qui rendais la force à mon âme affligée, Esprit consolateur, que ta voix est changée! On dirait qu'on entend, au séjour des douleurs, Rouler, à flots plaintifs, le sourd torrent des pleurs. Pourquoi gémir ainsi, comme un souffle d'orage, A travers les rameaux qui pleurent leur feuillage? Pourquoi ce vain retour vers la félicité? Quoi donc! ce qui n'est plus a-t-il jamais été? Faut-il que le regret, comme une ombre ennemie, Vienne s'asseoir sans cesse au festin de la vie? Et d'un regard funèbre effrayant les humains, Fasse tomber toujours les coupes de leurs mains? Non : de ce triste aspect que ta voix me délivre! Oublions, oublions : c'est le secret de vivre. Viens; chante, et du passé détournant mes regards Précipite mon âme au milieu des hasards! ----- De quels sons belliqueux mon oreille est frappée! C'est le cri du clairon, c'est la voix du coursier; La corde de sang trempée Retentit comme l'épée Sur l'orbe du bouclier. ----- La trompette a jeté le signal des alarmes : Aux armes! et l'écho répète au loin : Aux armes! Dans la plaine soudain les escadrons épars, Plus prompts que l'aquilon, fondent de toutes parts; Et sur les flancs épais des légions mortelles S'étendent tout à coup comme deux sombres ailes. Le coursier, retenu par un frein impuissant, Sur ses jarrets pliés s'arrête en frémissant; La foudre dort encore, et sur la foule immense, Plane, avec la terreur, un lugubre silence : Un n'entend que le bruit de cent mille soldats, Marchant comme un seul homme au-devant du trépas. Les roulements des chars, les coursiers qui hennissent, Les ordres répétés qui dans l'air retentissent, Ou le bruit des drapeaux soulevés par les vents, Qui, sur les camps rivaux flottant à plis mouvants, Tantôt semblent, enflés d'un souffle de victoire, Vouloir voler d'eux-même au-devant de la gloire, Et tantôt retombant le long des pavillons, De leurs funèbres plis couvrir leurs bataillons. Mais sur le front des camps déjà les bronzes grondent, Ces tonnerres lointains se croisent, se répondent; Des tubes enflammés la foudre avec effort Sort, et frappe en sifflant comme un souffle de mort; Le boulet dans les rangs laisse une large trace. Ainsi qu'un laboureur qui passe et qui repasse, Et, sans se reposer déchirant le vallon, A côté du sillon creuse un autre sillon : Ainsi le trait fatal dans les rangs se promène Et comme des épis les couche dans la plaine. Ici tombe un héros moissonné dans sa fleur, Superbe et l'oeil brillant d'orgueil et de valeur. Sur son casque ondulant, d'où jaillit la lumière, Flotte d'un noir coursier l'ondoyante crinière : Ce casque éblouissant sert de but au trépas; Par la foudre frappé d'un coup qu'il ne sent pas, Comme un faisceau d'acier il tombe sur l'arène; Son coursier bondissant, qui sent flotter la rêne, Lance un regard oblique à son maître expirant, Revient, penche sa tête et le flaire en pleurant. Là, tombe un vieux guerrier qui, né dans les alarmes, Eut les camps pour patrie, et pour amours, ses armes. Il ne regrette rien que ses chers étendards, Et les suit en mourant de ses derniers regards... La mort vole au hasard dans l'horrible carrière : L'un périt tout entier; l'autre, sur la poussière, Comme un tronc dont la hache a coupé les rameaux, De ses membres épars voit voler les lambeaux, Et, se traînant encor sur la terre humectée, Marque en ruisseaux de sang sa trace ensanglantée. Le blessé que la mort n'a frappé qu'à demi Fuit en vain, emporté dans les bras d'un ami : Sur le sein l'un de l'autre ils sont frappés ensemble Et bénissent du moins le coup qui les rassemble. Mais de la foudre en vain les livides éclats Pleuvent sur les deux camps; d'intrépides soldats, Comme la mer qu'entrouvre une proue écumante Se referme soudain sur sa trace fumante, Sur les rangs écrasés formant de nouveaux rangs, Viennent braver la mort sur les corps des mourants!... Cependant, las d'attendre un trépas sans vengeance, Les deux camps à la fois (l'un sur l'autre s'élance) Se heurtent, et du choc ouvrant leurs bataillons, Mêlent en tournoyant leurs sanglants tourbillons! Sous le poids des coursiers les escadrons s'entrouvrent, D'une voûte d'airain les rangs pressés se couvrent, Les feux croisent les feux, le fer frappe le fer; Les rangs entre-choqués lancent un seul désir : Le salpêtre, au milieu des torrents de fumée, Brille et court en grondant sur la ligne enflammée, Et d'un nuage épais enveloppant leur sort, Cache encore à nos yeux la victoire ou la mort. Ainsi quand deux torrents dans deux gorges profondes Dans le lit trop étroit qu'ils vont se disputer Viennent au même instant tomber et se heurter, Le flot choque le flot, les vagues courroucées Rejaillissent au loin par les vagues poussées, D'une poussière humide obscurcissent les airs, Du fracas de leur chute ébranlent les déserts, Et portant leur fureur au lit qui les rassemble, Tout en s'y combattant leurs flots roulent ensemble. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Mais la foudre se tait. Ecoutez!... Des concerts De cette plaine en deuil s'élèvent dans les airs : La harpe, le clairon, la joyeuse cymbale, Mêlant leurs voix d'airain, montent par intervalle, S'éloignent par degrés, et sur l'aile des vents Nous jettent leurs accords, et les cris des mourants!... De leurs brillants éclats les coteaux retentissent, Le coeur glacé s'arrête, et tous les sens frémissent, Et dans les airs pesants que le son vient froisser On dirait qu'on entend l'âme des morts passer! Tout à coup le soleil, dissipant le nuage, Eclaire avec horreur la scène du carnage; Et son pâle rayon, sur la terre glissant, Découvre à nos regards de longs ruisseaux de sang, Des coursiers et des chars brisés dans la carrière, Des membres mutilés épars sur la poussière, Les débris confondus des armes et des corps, Et les drapeaux jetés sur des monceaux de morts! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Accourez maintenant, amis, épouses, mères! Venez compter vos fils, vos amants et vos frères! Venez sur ces débris disputer aux vautours L'espoir de vos vieux ans, le fruit de vos amours! Que de larmes sans fin sur eux vont se répandre! Dans vos cités en deuil, que de cris vont s'entendre, Avant qu'avec douleur la terre ait reproduit, Misérables mortels, ce qu'un jour a détruit! Mais au sort des humains la nature insensible Sur leurs débris épars suivra son cours paisible : Demain, la douce aurore, en se levant sur eux, Dans leur acier sanglant réfléchira ses feux; Le fleuve lavera sa rive ensanglantée, Les vents balayeront leur poussière infectée, Et le sol, engraissé de leurs restes fumants, Cachera sous des fleurs leurs pâles ossements! Silence, esprit de feu! Mon âme épouvantée Suit le frémissement de ta corde irritée, Et court en frissonnant sur tes pas belliqueux, Comme un char emporté par deux coursiers fougueux; Mais mon oeil attristé de ces sombres images Se détourne en pleurant vers de plus doux rivages; N'as-tu point sur ta lyre un chant consolateur? N'as-tu pas entendu la flûte du pasteur? Quand seul, assis en paix sous le pampre qui plie, Il charme par ses airs les heures qu'il oublie, Et que l'écho des bois, ou le fleuve en coulant, Porte de saule en saule un son plaintif et lent? Souvent pour l'écouter, le soir, sur la colline, Du côté de ses chants mon oreille s'incline, Mon coeur, par un soupir soulagé de son poids, Dans un monde étranger se perd avec la voix; Et je sens par moments, sur mon âme calmée, Passer avec le son une brise embaumée, Plus douce qu'à mes sens l'ombre des arbrisseaux, Ou que l'air rafraîchi qui sort du lit des eaux. ----- Un vent caresse ma lyre Comme l'aile d'un oiseau, Sa voix dans le coeur expire, Et l'humble corde soupire Comme un flexible roseau! ----- O vallons paternels! doux champs! humble chaumière, Aux bords penchants des bois suspendus aux coteaux, Dont l'humble toit, caché sous des touffes de lierre, Ressemble au nid sous les rameaux! Gazons entrecoupés de ruisseaux et d'ombrages, Seuil antique où mon père, adoré comme un roi, Comptait ses gras troupeaux rentrant des pâturages, Ouvrez-vous! ouvrez-vous! c'est moi. Voilà du dieu des champs la rustique demeure. J'entends l'airain frémir au sommet de ses tours; Il semble que dans l'air une voix qui me pleure Me rappelle à mes premiers jours! Oui, je reviens à toi, berceau de mon enfance, Embrasser pour jamais tes foyers protecteurs; Loin de moi les cités et leur vaine opulence, Je suis né parmi les pasteurs! Enfant, j'aimais, comme eux, à suivre dans la plaine Les agneaux pas à pas, égarés jusqu'au soir; A revenir, comme eux, baigner leur tendre laine Dans l'eau courante du lavoir; J'aimais à me suspendre aux lianes légères, A gravir dans les airs de rameaux en rameaux, Pour ravir, le premier, sous l'aile de leurs mères Les tendres oeufs des tourtereaux; J'aimais les voix du soir dans les airs répandues, Le bruit lointain des chars gémissant sous leur poids, Et le sourd tintement des cloches suspendues Au cou des chevreaux, dans les bois; Et depuis, exilé de ces douces retraites, Comme un vase imprégné d'une première odeur, Toujours, loin des cités, des voluptés secrètes Entraînaient mes yeux et mon coeur. Beaux lieux, recevez-moi sous vos sacrés ombrages! Vous qui couvrez le seuil de rameaux éplorés, Saules contemporains, courbez vos longs feuillages Sur le frère que vous pleurez. Reconnaissez mes pas, doux gazons que je foule, Arbres, que dans mes jeux j'insultais autrefois, Et toi qui, loin de moi, te cachais à la foule, Triste écho, réponds à ma voix. Je ne viens pas traîner, dans vos riants asiles, Les regrets du passé, les songes du futur : J'y viens vivre; et, couché sous vos berceaux fertiles, Abriter mon repos obscur. S'éveiller, le coeur pur, au réveil de l'aurore, Pour bénir, au matin, le Dieu qui fait le jour; Voir les fleurs du vallon sous la rosée éclore Comme pour fêter son retour; Respirer les parfums que la colline exhale, Ou l'humide fraîcheur qui tombe des forêts; Voir onduler de loin l'haleine matinale Sur le sein flottant des guérets; Conduire la génisse à la source qu'elle aime, Ou suspendre la chèvre au cytise embaumé, Ou voir ses blancs taureaux venir tendre d'eux-mêmes Leur front au joug accoutumé; Guider un soc tremblant dans le sillon qui crie, Du pampre domestique émonder les berceaux, Ou creuser mollement, au sein de la prairie, Les lits murmurants des ruisseaux; Le soir, assis en paix au seuil de la chaumière, Tendre au pauvre qui passe un morceau de son pain; Et, fatigué du jour, y fermer sa paupière Loin des soucis du lendemain; Sentir, sans les compter, dans leur ordre paisible, Les jours suivre les jours, sans faire plus de bruit Que ce sable léger dont la fuite insensible Nous marque l'heure qui s'enfuit; Voir, de vos doux vergers, sur vos fronts les fruits pendre Les fruits d'un chaste amour dans vos bras accourir Et sur eux appuyé doucement redescendre : C'est assez pour qui doit mourir. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le chant meurt, la voix tombe : adieu, divin Génie! Remonte au vrai séjour de la pure harmonie : Tes chants ont arrêté les larmes dans mes yeux. Je lui parlais encore... il était dans les cieux. XVII L'apparition de l'ombre de Samuel à Saül Fragment dramatique Saül, La Pythonisse d'Endor Saül, seul. Peut-être... Puisqu'enfin je puis le consulter, Le Ciel peut-être, est las de me persécuter? A mes yeux dessillés la vérité va luire : Mais au livre du sort, ô Dieu! que vont-ils lire?... De ce livre fatal qui s'explique trop tôt, Chaque jour, chaque instant, hélas! révèle un mot. Pourquoi donc devancer le temps qui nous l'apporte? Pourquoi, dans cet abîme, avant l'heure...? N'importe C'est trop, c'est trop longtemps attendre dans la nuit Les invisibles coups du bras qui me poursuit! J'aime mieux, déroulant la trame infortunée, Y lire; d'un seul trait, toute ma destinée! (La Pythonisse d'Endor entre sur la scène.) Est-ce toi qui, portant l'avenir dans ton sein, Viens, au roi d'Israël , annoncer son destin? La Pythonisse C'est moi. Saül Qui donc es-tu? La Pythonisse La voix du Dieu suprême. Saül Tremble de me tromper! La Pythonisse Saül, tremble toi-même! Saül Eh bien! qu'apportes-tu? La Pythonisse Ton arrêt! Saül Parle. La Pythonisse O ciel! Pourquoi m'as-tu choisie entre tout Israël? Mon coeur est faible, ô Ciel! et mon sexe est timide. Choisis, pour ton organe, un sein plus intrépide; Pour annoncer au roi tes divines fureurs, Qui suis-je? Saül, étonné Eh quoi! tu trembles et tu verses des pleurs! Quoi! ministre du Ciel, tu n'es plus qu'une femme! La Pythonisse Détruis donc, ô mon Dieu, la pitié dans mon âme! Saül Par tes feintes terreurs penses-tu m'ébranler? La Pythonisse Mais ma bouche, ô mon roi! se refuse à parler. Saül, avec colère Tes lenteurs, à la fin, lassent ma patience : Parle, si tu le peux, ou sors de ma présence! La Pythonisse Que ne puis-je sortir, emportant avec moi Tout ce qu'ici je viens prophétiser sur toi? Mais un dieu me reticnt, me pousse, me ramène; Je ne puis résister à son bras qui m'entraîne. Oui, je sens ta présence, ô dieu persécuteur! Et ta fureur divine a passé dans mon coeur. (Avec plus d'horreur.) Mais quel rayon sanglant vient frapper ma paupière! Mon oeil épouvanté cherche et fuit la lumière! Silence!... l'avenir ouvre ses noirs secrets! Quel chaos de malheurs, de vertus, de forfaits! Dans la confusion je les vois tous ensemble! Comment, comment saisir le fil qui les rassemble! Saül... Michol... David... Malheureux Jonathas! Arrête! arrête, ô roi! ne m'interroge pas. Saül, tremblant Que dis-tu de David, de Jonathas? achève! La Pythonisse, montrant une ombre du doigt. Que l'ombre se dissipe et le voile se lève : C'est lui!... Saül Qui donc? La Pythonisse David!... Saül Eh bien? La Pythonisse Il est vainqueur! Quel triomphe! O David! que d'éclat t'environne! Que vois-je sur ton front? Saül Achève! La Pythonisse Une couronne!... Saül Perfide! qu'as-tu dit? lui, David, couronné? La Pythonisse, avec tristesse. Hélas! et tu péris, jeune homme infortuné! Pour pleurer ton sort, belle et tendre victime, Les palmiers de Cadès ont incliné leur cime!... Grâce! grâce, ô mon Dieu! détourne tes fureurs! Saül a bien assez de ses propres malheurs!... Mais la mort l'a frappé, sans pitié pour ses charmes, Hélas! et David même en a versé des larmes!... Saül Silence! c'est assez : j'en ai trop écouté. La Pythonisse Saül, pour tes forfaits ton fils est rejeté. D'un prince condamné Dieu détourne sa face, D'un souffle de sa bouche il dissipe sa race : Le sceptre est arraché!... Saül, l'interrompant avec violence. Tais-toi, dis-je, tais-toi! La Pythonisse Saül, Saül, écoute un Dieu plus fort que moi! Le sceptre est arraché de tes mains sans défense; Le sceptre dans Juda passe avec ta puissance, Et ces biens, par Dieu même, à ta race promis, Transportés à David, passent tous à ses fils. Que David est brillant! que son triomphe est juste! Qu'il sort de rejetons de cette tige auguste! Que vois-je? un Dieu lui-même...! O vierges du saint lieu! Chantez, chantez David! David enfante un Dieu!... Saül Ton audace à la fin a comblé la mesure : Va, tout respire en toi la fourbe et l'imposture. Dieu m'a promis le trône, et Dieu ne trompe pas. La Pythonisse Dieu promet ses fureurs à des princes ingrats. Saül Crois-tu qu'impunément ta bouche ici m'outrage? La Pythonisse Crois-tu faire d'un Dieu varier le langage? Saül Sais-tu quel sort t'attend? Sais-tu...? La Pythonisse Ce que je sais, C'est que ton propre bras va punir tes forfaits; Et qu'avant que des cieux le flambeau se retire, Un Dieu justifiera tout ce qu'un Dieu m'inspire. Adieu; malheureux père! adieu, malheureux roi! (Elle se retire, Saül la retient par force.) Saül Non, non, perfide, arrête! écoute, et réponds-moi. C'est souffrir trop longtemps l'insolence et l'injure : Je veux convaincre ici ta bouche d'imposture. Si le Ciel à tes yeux a su les révéler, Quels sont donc ces forfaits dont tu m'oses parler? La Pythonisse L'ombre les a couverts, l'ombre les couvre encore, Saül! Mais le Ciel voit ce que la terre ignore. Ne tente pas le Ciel. Saül Non : parle si tu sais. La Pythonisse L'ombre de Samuel te dira ces forfaits... Saül Samuel! Samuel? Eh quoi! que veux-tu dire? La Pythonisse Toi-même, en traits de sang, ne peux-tu pas le lire? Saül Eh bien, qu'a de commun ce Samuel et moi? La Pythonisse Qui plongea dans son sein ce fer sanglant? Saül Qui? La Pythonisse Toi! Saül,furieux et se précipitant sur elle avec sa lance. Monstre, qu'a trop longtemps épargné ma clémence, Ton audace à la fin appelle ma vengeance! (Prêt à la frapper.) Tiens; va dire à ton Dieu, va dire à Samuel, Comment Saül punit ton imposture... (Au moment où il va frapper, il voit l'ombre de Samuel, il laisse tomber la lance, il recule.) O Ciel! Ciel! que vois-je? C'est toi! c'est ton ombre sanglante! Quel regard!... Son aspect m'a glacé d'épouvante! Pardonne, ombre fatale? oh! pardonne! oui, c'est moi, C'est moi qui t'ai porté tous ces coups que je vois! Quoi! depuis si longtemps! quoi! ton sang coule encore! Viens-tu pour le venger?... Tiens... (Il découvre sa poitrine et tombe à genoux.) Mais il s'évapore!... (La Pythonisse disparaît pendant ces derniers mots.) XVIII Stances Et j'ai dit dans mon coeur : Que faire de la vie? Irai-je encor, suivant ceux qui m'ont devancé, Comme l'agneau qui passe où sa mère a passé, Imiter des mortels l'immortelle folie? L'un cherche sur les mers les trésors de Memnom, Et la vague engloutit ses voeux et son navire; Dans le sein de la gloire où son génie aspire, L'autre meurt enivré par l'écho d'un vain nom. Avec nos passions formant sa vaste trame, Celui-là fonde un trône, et monte pour tomber; Dans des pièges plus doux aimant à succomber, Celui-ci lit son sort dans les yeux d'une femme. Le paresseux s'endort dans les bras de la faim; Le laboureur conduit sa fertile charrue; Le savant pense et lit, le guerrier frappe et tue; Le mendiant s'assied sur les bords du chemin. Où vont-ils cependant? Ils vont où va la feuille Que chasse devant lui le souffle des hivers. Ainsi vont se flétrir dans leurs travaux divers Ces générations que le temps sème et cueille! Ils luttaient contre lui, mais le temps a vaincu; Comme un fleuve engloutit le sable de ses rives, Je l'ai vu dévorer leurs ombres fugitives. Ils sont nés, ils sont morts : Seigneur, ont-ils vécu? Pour moi, je chanterai le maître que j'adore, Dans le bruit des cités, dans la paix des déserts, Couché sur le rivage, ou flottant sur les mers, Au déclin du soleil, au réveil de l'aurore. La terre m'a crié : Qui donc est le Seigneur? Celui dont l'âme immense est partout répandue, Celui dont un seul pas mesure l'étendue, Celui dont le soleil emprunte sa splendeur; Celui qui du néant a tiré la matière, Celui qui sur le vide a fondé l'univers, Celui qui sans rivage a renfermé les mers, Celui qui d'un regard a lancé la lumière; Celui qui ne connaît ni jour ni lendemain, Celui qui de tout temps de soi-même s'enfante, Qui vit dans l'avenir comme à l'heure présente, Et rappelle les temps échappés de sa main : C'est lui! c'est le Seigneur : que ma langue redise Les cent noms de sa gloire aux enfants des mortels. Comme la harpe d'or pendue à ses autels, Je chanterai pour lui, jusqu'à ce qu'il me brise... XIX La liberté, ou une nuit à Rome A Eli..., Duch. de Dev... Comme l'astre adouci de l'antique Elysée, Sur les murs dentelés du sacré Colysée, L'astre des nuits, perçant des nuages épars, Laisse dormir en paix ses longs et doux regards, Le rayon qui blanchit ses vastes flancs de pierre, En glissant à travers les pans flottants du lierre, Dessine dans l'enceinte un lumineux sentier; On dirait le tombeau d'un peuple tout entier, Où la mémoire, errante après des jours sans nombre, Dans la nuit du passé viendrait chercher une ombre. Ici, de voûte en voûte élevé dans les cieux, Le monument debout défie encor les yeux; Le regard égaré dans ce dédale oblique, De degrés en degrés, de portique en portique, Parcourt en serpentant ce lugubre désert, Fuit, monte, redescend, se retrouve et se perd. Là, comme un front penché sous le poids des années, La ruine, abaissant ses voûtes inclinées, Tout à coup se déchire en immenses lambeaux, Pend comme un noir rocher sur l'abîme des eaux; Ou des vastes hauteurs de son faîte superbe Descendant par degrés jusqu'au niveau de l'herbe, Comme un coteau qui meurt sous les fleurs du vallon, Vient mourir à nos pieds sur des lits de gazon. Sur les flancs décharnés de ces sombres collines, Des forêts dans les airs ont jeté leurs racines : Là, le lierre jaloux de l'immortalité, Triomphe en possédant ce que l'homme a quitté; Et pareil à l'oubli, sur ces murs qu'il enlace, Monte de siècle en siècle aux sommets qu'il efface. Le buis, l'if immobile, et l'arbre des tombeaux, Dressent en frissonnant leurs funèbres rameaux, Et l'humble giroflée, aux lambris suspendue, Attachant ses pieds d'or dans la pierre fendue, Et balançant dans l'air ses longs rameaux flétris, Comme un doux souvenir fleurit sur des débris. Aux sommets escarpés du fronton solitaire, L'aigle à la frise étroite a suspendu son aire : Au bruit sourd de mes pas, qui troublent son repos, Il jette un cri d'effroi, grossi par mille échos, S'élance dans le ciel, en redescend, s'arrête, Et d'un vol menaçant plane autour de ma tête. Du creux des monuments, de l'ombre des arceaux, Sortent en gémissant de sinistres oiseaux : Ouvrant en vain dans l'ombre une ardente prunelle, L'aveugle amant des nuits bat les murs de son aile; La colombe, inquiète à mes pas indiscrets, Descend, vole et s'abat de cyprès en cyprès, Et sur les bords brisés de quelque urne isolée, Se pose en soupirant comme une âme exilée. Les vents, en s'engouffrant sous ces vastes débris, En tirent des soupirs, des hurlements, des cris : On dirait qu'on entend le torrent des années Rouler sous ces arceaux ses vagues déchaînées, Renversant, emportant, minant de jours en jours Tout ce que les mortels ont bâti sur son cours. Les nuages flottants dans un ciel clair et sombre, En passant sur l'enceinte y font courir leur ombre, Et tantôt, nous cachant le rayon qui nous luit, Couvrent le monument d'une profonde nuit, Tantôt, se déchirant sous un souffle rapide, Laissent sur le gazon tomber un jour livide, Qui, semblable à l'éclair, montre à l'oeil ébloui Ce fantôme debout du siècle évanoui; Dessine en serpentant ses formes mutilées, Les cintres verdoyants des arches écroulées, Ses larges fondements sous nos pas entrouverts, Et l'éternelle croix qui, surmontant le faîte, Incline comme un mât battu par la tempête. Rome! te voilà donc! Ô mère des Césars! J'aime à fouler aux pieds tes monuments épars; J'aime à sentir le temps, plus fort que ta mémoire, Effacer pas à pas les traces de ta gloire! L'homme serait-il donc de ses oeuvres jaloux? Nos monuments sont-ils plus immortels que nous? Egaux devant le temps, non, ta ruine immense Nous console du moins de notre décadence. J'aime, j'aime à venir rêver sur ce tombeau, A l'heure où de la nuit le lugubre flambeau Comme l'oeil du passé, flottant sur des ruines, D'un pâle demi-deuil revêt tes sept collines, Et, d'un ciel toujours jeune éclaircissant l'azur, Fait briller les torrents sur les flancs de Tibur. Ma harpe, qu'en passant l'oiseau des nuits effleure, Sur tes propres débris te rappelle et te pleure, Et jette aux flots du Tibre un cri de liberté, Hélas! par l'écho même à peine répété. "Liberté! nom sacré, profané par cet âge, J'ai toujours dans mon coeur adoré ton image, Telle qu'aux jours d'Emile et de Léonidas, T'adorèrent jadis le Tibre et l'Eurotas; Quand tes fils se levant contre la tyrannie, Tu teignais leurs drapeaux du sang de Virginie, Ou qu'à tes saintes lois glorieux d'obéir, Tes trois cents immortels s'embrassaient pour mourir; Telle enfin que d'Uri prenant ton vol sublime, Comme un rapide éclair qui court de cime en cime, Des rives du Léman aux rochers d'Appenzell, Volant avec la mort sur la flèche de Tell, Tu rassembles tes fils errants sur les montagnes, Et, semblable au torrent qui fond sur leurs campagnes Tu purges à jamais d'un peuple d'oppresseurs Ces champs où tu fondas ton règne sur les moeurs! "Alors!... mais aujourd'hui, pardonne à mon silence; Quand ton nom, profané par l'infâme licence, Du Tage à l'Éridan épouvantant les rois, Fait crouler dans le sang les trônes et les lois; Détournant leurs regards de ce culte adultère, Tes purs adorateurs, étrangers sur la terre, Voyant dans ces excès ton saint nom se flétrir, Ne le prononcent plus... de peur de l'avilir. Il fallait t'invoquer, quand un tyran superbe Sous ses pieds teints de sang nous fouler comme l'herbe, En pressant sur son coeur le poignard de Caton. Alors il était beau de confesser ton nom : La palme des martyrs couronnait tes victimes, Et jusqu'à leurs soupirs, tout leur était des crimes. L'univers cependant, prosterné devant lui, Adorait, ou tremblait!... L'univers, aujourd'hui, Au bruit des fers brisés en sursaut se réveille. Mais, qu'entends-je? et quels cris ont frappé mon oreille? Esclaves et tyrans, opprimés, oppresseurs, Quand tes droits ont vaincu, s'offrent pour tes vengeurs; Insultant sans péril la tyrannie absente, Ils poursuivent partout son ombre renaissante; Et, de la vérité couvrant la faible voix, Quand le peuple est tyran, ils insultent aux rois. Tu règnes cependant sur un siècle qui t'aime, Liberté; tu n'as rien à craindre que toi-même. Sur la pente rapide où roule en paix ton char, Je vois mille Brutus... mais où donc est César?" XX Adieux à la mer Naples, 1822. Murmure autour de ma nacelle, Douce mer dont les flots chéris, Ainsi qu'une amante fidèle, Jettent une plainte éternelle Sur ces poétiques débris. Que j'aime à flotter sur ton onde, A l'heure où du haut du rocher L'oranger, la vigne féconde, Versent sur ta vague profonde Une ombre propice au nocher! Souvent, dans ma barque sans rame, Me confiant à ton amour, Comme pour assoupir mon âme, Je ferme au branle de ta lame Mes regards fatigués du jour. Comme un coursier souple et docile Dont on laisse flotter le mors, Toujours, vers quelque frais asile, Tu pousses ma barque fragile Avec l'écume de tes bords. Ah! berce, berce, berce encore, Berce pour la dernière fois, Berce cet enfant qui t'adore, Et qui depuis sa tendre aurore N'a rêvé que l'onde et les bois! Le Dieu qui décora le monde De ton élément gracieux, Afin qu'ici tout se réponde, Fit les cieux pour briller sur l'onde, L'onde pour réfléchir les cieux. Aussi pur que dans ma paupière, Le jour pénètre ton flot pur, Et dans ta brillante carrière Tu sembles rouler la lumière Avec tes flots d'or et d'azur. Aussi libre que la pensée, Tu brises le vaisseau des rois, Et dans ta colère insensée, Fidèle au Dieu qui t'a lancée, Tu ne t'arrêtes qu'à sa voix. De l'infini sublime image, De flots en flots l'oeil emporté Te suit en vain de plage en plage, L'esprit cherche en vain ton rivage, Comme ceux de l'éternité. Ta voix majestueuse et douce Fait trembler l'écho de tes bords, Ou sur l'herbe qui te repousse, Comme le zéphyr dans la mousse, Murmure de mourants accords. Que je t'aime, ô vague assouplie, Quand, sous mon timide vaisseau, Comme un géant qui s'humilie, Sous ce vain poids l'onde qui plie Me creuse un liquide berceau. Que je t'aime quand, le zéphire Endormi dans tes antres frais, Ton rivage semble sourire De voir dans ton sein qu'il admire Flotter l'ombre de ses forêts! Que je t'aime quand sur ma poupe Des festons de mille couleurs, Pendant au vent qui les découpe, Te couronnent comme une coupe Dont les bords sont voilés de fleurs! Qu'il est doux, quand le vent caresse Ton sein mollement agité, De voir, sous ma main qui la presse, Ta vague, qui s'enfle et s'abaisse Comme le sein de la beauté! Viens, à ma barque fugitive Viens donner le baiser d'adieux; Roule autour une voix plaintive, Et de l'écume de ta rive Mouille encor mon front et mes yeux. Laisse sur ta plaine mobile Flotter ma nacelle à son gré, Ou sous l'antre de la sibylle, Ou sur le tombeau de Virgile : Chacun de tes flots m'est sacré. Partout, sur ta rive chérie, Où l'amour éveilla mon coeur, Mon âme, à sa vue attendrie, Trouve un asile, une patrie, Et des débris de son bonheur, Flotte au hasard : sur quelque plage Que tu me fasses dériver, Chaque flot m'apporte une image; Chaque rocher de ton rivage Me fait souvenir ou rêver... XXI Le Crucifix Toi que j'ai recueilli sur sa bouche expirante Avec son dernier souffle et son dernier adieu, Symbole deux fois saint, don d'une main mourante, Image de mon Dieu! Que de pleurs ont coulé sur tes pieds, que j'adore, Depuis l'heure sacrée où, du sein d'un martyr, Dans mes tremblantes mains tu passas, tiède encore De son dernier soupir! Les saints flambeaux jetaient une dernière flamme; Le prêtre murmurait ces doux chants de la mort, Pareils aux chants plaintifs que murmure une femme A l'enfant qui s'endort. .................................................... De son pieux espoir son front gardait la trace, Et sur ses traits, frappés d'une auguste beauté, La douleur fugitive avait empreint sa grâce, La mort sa majesté. Le vent qui caressait sa tête échevelée Me montrait tour à tour ou me voilait ses traits, Comme l'on voit flotter sur un blanc mausolée L'ombre des noirs cyprès. Un de ses bras pendait de la funèbre couche, L'autre, languissamment replié sur son coeur, Semblait chercher encore et presser sur sa bouche L'image du Sauveur. Ses lèvres s'entr'ouvraient pour l'embrasser encore, Mais son âme avait fui dans ce divin baiser, Comme un léger parfum que la flamme dévore Avant de l'embraser. Maintenant tout dormait sur sa bouche glacée, Le souffle se taisait dans son sein endormi, Et sur l'oeil sans regard la paupière affaissée Retombait à demi. Et moi, debout, saisi d'une terreur secrète, Je n'osais m'approcher de ce reste adoré, Comme si du trépas la majesté muette L'eût déjà consacré. Je n'osais!... mais le prêtre entendit mon silence, Et, de ses doigts glacés prenant le crucifix : "Voilà le souvenir, et voilà l'espérance : Emportez-les, mon fils!" Oui, tu me resteras, ô funèbre héritage! Sept fois depuis ce jour l'arbre que j'ai planté Sur sa tombe sans nom a changé son feuillage : Tu ne m'as pas quitté. Placé près de ce coeur, hélas! où tout s'efface, Tu l'as contre le temps défendu de l'oubli, Et mes yeux, goutte à goutte, ont imprimé leur trace Sur l'ivoire amolli. O dernier confident de l'âme qui s'envole, Viens, reste sur mon coeur! parle encore, et dis-moi Ce qu'elle te disait quand sa faible parole N'arrivait plus qu'à toi. A cette heure douteuse où l'âme recueillie, Se cachant sous le voile épaissi sur nos yeux, Hors de nos sens glacés pas à pas se replie, Sourde aux derniers adieux; Alors qu'entre la vie et la mort incertaine, Comme un fruit par son poids détaché du rameau, Notre âme est suspendue et tremble à chaque haleine Sur la nuit du tombeau; Quand des chants, des sanglots la confuse harmonie N'éveille déjà plus notre esprit endormi, Aux lèvres du mourant collé dans l'agonie, Comme un dernier ami; Pour éclaircir l'horreur de cet étroit passage, Pour relever vers Dieu son regard abattu, Divin consolateur, dont nous baisons l'image, Réponds! Que lui dis-tu? Tu sais, tu sais mourir! et tes larmes divines, Dans cette nuit terrible où tu prias en vain, De l'olivier sacré baignèrent les racines Du soir jusqu'au matin! De la croix, où ton oeil sonda ce grand mystère, Tu vis ta mère en pleurs et la nature en deuil; Tu laissas comme nous tes amis sur la terre, Et ton corps au cercueil! Au nom de cette mort, que ma faiblesse obtienne De rendre sur ton sein ce douloureux soupir : Quand mon heure viendra, souviens-toi de la tienne, O toi qui sais mourir! Je chercherai la place où sa bouche expirante Exhala sur tes pieds l'irrévocable adieu, Et son âme viendra guider mon âme errante Au sein du même Dieu! Ah! puisse, puisse alors sur ma funèbre couche, Triste et calme à la fois, comme un ange éploré, Une figure en deuil recueillir sur ma bouche L'héritage sacré! Soutiens ses derniers pas, charme sa dernière heure, Et, gage consacré d'espérance et d'amour, De celui qui s'éloigne à celui qui demeure Passe ainsi tour à tour! Jusqu'au jour où, des morts percant la voûte sombre, Une voix dans le ciel, les appelant sept fois, Ensemble éveillera ceux qui dormaient à l'ombre De l'éternelle croix! XXII La sagesse Ô vous, qui passez comme l'ombre Par ce triste vallon des pleurs, Passagers sur ce globe sombre, Hommes! mes frères en douleurs, Ecoutez : voici vers Solime Un son de la harpe sublime Qui charmait l'écho du Thabor : Sion en frémit sous sa cendre, Et le vieux palmier croit entendre La voix du vieillard de Ségor! Insensé le mortel qui pense! Toute pensée est une erreur. Vivez, et mourez en silence; Car la parole est au Seigneur! Il sait pourquoi flottent les mondes; Il sait pourquoi coulent les ondes, Pourquoi les cieux pendent sur nous, Pourquoi le jour brille et s'efface, Pourquoi l'homme soupire et passe : Et vous, mortels, que savez-vous? Asseyez-vous près des fontaines, Tandis qu'agitant les rameaux, Du midi les tièdes haleines Font flotter l'ombre sur les eaux : Au doux murmure de leurs ondes Exprimez vos grappes fécondes Où rougit l'heureuse liqueur; Et de main en main sous vos treilles Passez-vous ces coupes vermeilles Pleines de l'ivresse du coeur. Ainsi qu'on choisit une rose Dans les guirlandes de Sârons, Choisissez une vierge éclose Parmi les lis de vos vallons! Enivrez-vous de son haleine; Ecartez ses tresses d'ébène, Goûtez les fruits de sa beauté. Vivez, aimez, c'est la sagesse : Hors le plaisir et la tendresse, Tout est mensonge et vanité! Comme un lis penché par la pluie Courbe ses rameaux éplorés, Si la main du Seigneur vous plie, Baissez votre tête, et pleurez. Une larme à ses pieds versée Luit plus que la perle enchâssée Dans son tabernacle immortel; Et le coeur blessé qui soupire Rend un son plus doux que la lyre Sous les colonnes de l'autel! Les astres roulent en silence Sans savoir les routes des cieux; Le Jourdain vers l'abîme immense Poursuit son cours mystérieux; L'aquilon, d'une aile rapide, Sans savoir où l'instinct le guide, S'élance et court sur vos sillons; Les feuilles que l'hiver entasse, Sans savoir où le vent les chasse, Volent en pâles tourbillons! Et vous, pourquoi d'un soin stérile Empoisonner vos jours bornés? Le jour présent vaut mieux que mille Des siècles qui ne sont pas nés. Passez, passez, ombres légères, Allez où sont allés vos pères, Dormir auprès de vos aïeux. De ce lit où la mort sommeille, On dit qu'un jour elle s'éveille Comme l'aurore dans les cieux! XXIII Apparition Toi qui du jour mourant consoles la nature, Parais, flambeau des nuits, lève-toi dans les cieux; Etends autour de moi, sur la pâle verdure, Les douteuses clartés d'un jour mystérieux! Tous les infortunés chérissent ta lumière; L'éclat brillant du jour repousse leurs douleurs : Aux regards du soleil ils ferment leur paupière, Et rouvrent devant toi leurs yeux noyés de pleurs. Viens guider mes pas vers la tombe Où ton rayon s'est abaissé, Où chaque soir mon genou tombe Sur un saint nom presque effacé. Mais quoi! la pierre le repousse!... J'entends!... oui! des pas sur la mousse! Un léger souffle a murmuré; Mon oeil se trouble, je chancelle : Non, non, ce n'est plus toi; c'est elle Dont le regard m'a pénétré!... Est-ce bien toi? toi qui t'inclines Sur celui qui fut ton amant? Parle; que tes lèvres divines Prononcent un mot seulement. Ce mot que murmurait ta bouche Quand, planant sur ta sombre couche, La mort interrompit ta voix. Sa bouche commence... Ah! j'achève : Oui, c'est toi! ce n'est point un rêve! Anges du ciel, je la revois!... Ainsi donc l'ardente prière Perce le ciel et les enfers! Ton âme a franchi la barrière Qui sépare deux univers! Gloire à ton nom, Dieu qui l'envoie! Ta grâce a permis que je voie Ce que mes yeux cherchaient toujours. Que veux-tu? faut-il que je meure? Tiens, je te donne pour cette heure Toutes les heures de mes jours! Mais quoi! sur ce rayon déjà l'ombre s'envole! Pour un siècle de pleurs une seule parole! Est-ce tout?... C'est assez! Astre que j'ai chanté, J'en bénirai toujours ta pieuse clarté, Soit que dans nos climats, empire des orages, Comme un vaisseau voguant sur la mer des nuages, Tu perces rarement la triste obscurité; Soit que sous ce beau ciel, propice à ta lumière, Dans un limpide azur poursuivant ta carrière, Des couleurs du matin tu dores les coteaux; Ou que, te balançant sur une mer tranquille, Et teignant de tes feux sa surface immobile, Tes rayons argentés se brisent dans les eaux! XXIV Chant d'amour Naples, 1822. Si tu pouvais jamais égaler, ô ma lyre, Le doux frémissement des ailes du zéphyre À travers les rameaux, Ou l'onde qui murmure en caressant ces rives, Ou le roucoulement des colombes plaintives, Jouant aux bords des eaux; Si, comme ce roseau qu'un souffle heureux anime, Tes cordes exhalaient ce langage sublime, Divin secret des cieux, Que, dans le pur séjour où l'esprit seul s'envole, Les anges amoureux se parlent sans parole, Comme les yeux aux yeux; Si de ta douce voix la flexible harmonie, Caressant doucement une âme épanouie Au souffle de l'amour, La berçait mollement sur de vagues images, Comme le vent du ciel fait flotter les nuages Dans la pourpre du jour : Tandis que sur les fleurs mon amante sommeille, Ma voix murmurerait tout bas à son oreille Des soupirs, des accords, Aussi purs que l'extase où son regard me plonge, Aussi doux que le son que nous apporte un songe Des ineffables bords! Ouvre les yeux, dirais-je, à ma seule lumière! Laisse-moi, laisse-moi lire dans ta paupière Ma vie et ton amour! Ton regard languissant est plus cher à mon âme Que le premier rayon de la céleste flamme Aux yeux privés du jour. .................................................... .................................................... Un de ses bras fléchit sous son cou qui le presse, L'autre sur son beau front retombe avec mollesse, Et le couvre à demi : Telle, pour sommeiller, la blanche tourterelle Courbe son cou d'albâtre et ramène son aile Sur son oeil endormi! Le doux gémissement de son sein qui respire se mêle au bruit plaintif de l'onde qui soupire À flots harmonieux; Et l'ombre de ses cils, que le zéphyr soulève, Flotte légèrement comme l'ombre d'un rêve Qui passe sur ses yeux! .................................................... .................................................... Que ton sommeil est doux, ô vierge! ô ma colombe! Comme d'un cours égal ton sein monte et retombe Avec un long soupir! Deux vagues que blanchit le rayon de la lune, D'un mouvement moins doux viennent l'une après l'une Murmurer et mourir! Laisse-moi respirer sur ces lèvres vermeilles Ce souffle parfumé!... Qu'ai-je fait? Tu t'éveilles : L'azur voilé des cieux Vient chercher doucement ta timide paupière; Mais toi, ton doux regard, en voyant la lumière, N'a cherché que mes yeux! Ah! que nos longs regards se suivent, se prolongent, Comme deux purs rayons l'un dans l'autre se plongent, Et portent tour à tour Dans le coeur l'un de l'autre une tremblante flamme, Ce jour intérieur que donne seul à l'âme Le regard de l'amour! Jusqu'à ce qu'une larme aux bords de ta paupière, De son nuage errant te cachant la lumière, Vienne baigner tes yeux, Comme on voit, au réveil d'une charmante aurore, Les larmes du matin, qu'elle attire et colore, L'ombrager dans les cieux. .................................................... Parle-moi! Que ta voix me touche! Chaque parole sur ta bouche Est un écho mélodieux! Quand ta voix meurt dans mon oreille, Mon âme résonne et s'éveille, Comme un temple à la voix des dieux! Un souffle, un mot, puis un silence, C'est assez : mon âme devance Le sens interrompu des mots, Et comprend ta voix fugitive, Comme le gazon de la rive Comprend le murmure des flots. Un son qui sur ta bouche expire, Une plainte, un demi-sourire, Mon coeur entend tout sans effort : Tel, en passant par une lyre, Le souffle même du zéphyre Devient un ravissant accord! .................................................... Pourquoi sous tes cheveux me cacher ton visage? Laisse mes doigts jaloux écarter ce nuage : Rougis-tu d'être belle, ô charme de mes yeux? L'aurore, ainsi que toi, de ses roses s'ombrage. Pudeur! honte céleste! instinct mystérieux, Ce qui brille le plus se voile davantage; Comme si la beauté, cette divine image, N'était faite que pour les cieux! Tes yeux sont deux sources vives Où vient se peindre un ciel pur, Quand les rameaux de leurs rives Leur découvrent son azur. Dans ce miroir retracées, Chacune de tes pensées Jette en passant son éclair, Comme on voit sur l'eau limpide Flotter l'image rapide Des cygnes qui fendent l'air! Ton front, que ton voile ombrage Et découvre tour à tour, Est une nuit sans nuage Prête à recevoir le jour; Ta bouche, qui va sourire, Est l'onde qui se retire Au souffle errant du zéphyr, Et, sur ces bords qu'elle quitte, Laisse au regard qu'elle invite, Compter les perles d'Ophyr! Ton cou, penché sur l'épaule, Tombe sous son doux fardeau, Comme les branches du saule Sous le poids d'un passereau; Ton sein, que l'oeil voit à peine Soulevant à chaque haleine Le poids léger de ton coeur, Est comme deux tourterelles Qui font palpiter leurs ailes Dans la main de l'oiseleur. Tes deux mains sont deux corbeilles Qui laissent passer le jour; Tes doigts de roses vermeilles En couronnent le contour. Sur le gazon qui l'embrasse Ton pied se pose, et la grâce, Comme un divin instrument, Aux sons égaux d'une lyre Semble accorder et conduire Ton plus léger mouvement. .................................................... Pourquoi de tes regards percer ainsi mon âme? Baisse, oh! baisse tes yeux pleins d'une chaste flamme : Baisse-les, ou je meurs. Viens plutôt, lève-toi! Mets ta main dans la mienne, Que mon bras arrondi t'entoure et te soutienne Sur ces tapis de fleurs. .................................................... Aux bords d'un lac d'azur il est une colline Dont le front verdoyant légèrement s'incline Pour contempler les eaux; Le regard du soleil tout le jour la caresse, Et l'haleine de l'onde y fait flotter sans cesse Les ombres des rameaux. Entourant de ses plis deux chênes qu'elle embrasse Une vigne sauvage à leurs rameaux s'enlace, Et, couronnant leurs fronts, De sa pâle verdure éclaircit leur feuillage, Puis sur des champs coupés de lumière et d'ombrage Court en riants festons. Là, dans les flancs creusés d'un rocher qui surplombe, S'ouvre une grotte obscure, un nid où la colombe Aime à gémir d'amour; La vigne, le figuier, la voilent, la tapissent, Et les rayons du ciel, qui lentement s'y glissent, Y mesurent le jour. La nuit et la fraîcheur de ces ombres discrètes conservent plus longtemps aux pâles violettes Leurs timides couleurs; Une source plaintive en habite la voûte, Et semble sur vos fronts distiller goutte à goutte Des accords et des pleurs. Le regard, à travers ce rideau de verdure, Ne voit rien que le ciel et l'onde qu'il azure; Et sur le sein des eaux Les voiles du pêcheur, qui, couvrant sa nacelle, Fendent ce ciel limpide, et battent comme l'aile Des rapides oiseaux. L'oreille n'entend rien qu'une vague plaintive Qui, comme un long baiser, murmure sur sa rive, Ou la voix des zéphyrs, Ou les sons cadencés que gémit Philomèle, Ou l'écho du rocher, dont un soupir se mêle À nos propres soupirs. .................................................... Viens, cherchons cette ombre propice Jusqu'à l'heure où de ce séjour Les fleurs fermeront leur calice Aux regards languissants du jour. Voilà ton ciel, ô mon étoile! Soulève, oh! soulève ce voile, Éclaire la nuit de oes lieux; Parle, chante, rêve, soupire, Pourvu que mon regard attire Un regard errant de tes yeux. Laisse-moi parsemer de roses La tendre mousse où tu t'assieds, Et près du lit où tu reposes Laisse-moi m'asseoir à tes pieds. Heureux le gazon que tu foules, Et le bouton dont tu déroules Sous tes doigts les fraîches couleurs! Heureuses ces coupes vermeilles Que pressent tes lèvres, pareilles Aux frelons qui tètent les fleurs! Si l'onde des lis que tu cueilles Roule les calices flétris, Des tiges que ta bouche effeuille Si le vent m'apporte un débris, Si ta bouche qui se dénoue Vient, en ondulant sur ma joue, De ma lèvre effleurer le bord; Si ton souffle léger résonne, Je sens sur mon front qui frissonne Passer les ailes de la mort. Souviens-toi de l'heure bénie Où les dieux, d'une tendre main, Te répandirent sur ma vie Comme l'ombre sur le chemin. Depuis cette heure fortunée, Ma vie à ta vie enchaînée, Qui s'écoule comme un seul jour, Est une coupe toujours pleine, Où mes lèvres à longue haleine Puisent l'innocence et l'amour. Ah! lorsque mon front qui s'incline Chargé d'une douce langueur, S'endort bercé sur ta poitrine Par le mouvement de ton coeur, .................................................... .................................................... .................................................... .................................................... Un jour, le temps jaloux, d'une haleine glacée, Fanera tes couleurs comme une fleur passée Sur ces lits de gazon; Et sa main flétrira sur tes charmantes lèvres Ces rapides baisers, hélas! dont tu me sèvres Dans leur fraîche saison. Mais quand tes yeux, voilés d'un nuage de larmes, De ces jours écoulés qui t'ont ravi tes charmes Pleureront la rigueur; Quand dans ton souvenir, dans l'onde du rivage Tu chercheras en vain ta ravissante image, Regarde dans mon coeur! Là ta beauté fleurit pour des siècles sans nombre; Là ton doux souvenir veille à jamais à l'ombre De ma fidélité, Comme une lampe d'or dont une vierge sainte Protège avec la main, en traversant l'enceinte, La tremblante clarté. Et quand la mort viendra, d'un autre amour suivie, Eteindre en souriant de notre double vie L'un et l'autre flambeau, Qu'elle étende ma couche à côté de la tienne, Et que ta main fidèle embrasse encor la mienne Dans le lit du tombeau. Ou plutôt puissions-nous passer sur cette terre, Comme on voit en automne un couple solitaire De cygnes amoureux Partir, en s'embrassant, du nid qui les rassemble, Et vers les doux climats qu'ils vont chercher ensemble S'envoler deux à deux. XXV Improvisée A la grande Chartreuse Jéhova de la terre a consacré les cimes; Elles sont de ses pas le divin marchepied, C'est là qu'environné de ses foudres sublimes Il vole, il descend, il s'assied. Sina, l'Olympe même, en conservent la trace; L'Oreb, en tressaillant, s'inclina sous ses pas; Thor entendit sa voix, Gelboé vit sa face; Golgotha pleura son trépas. Dieu que l'Hébron connaît, Dieu que Cédar adore, Ta gloire à ces rochers jadis se dévoila; Sur le sommet des monts nous te cherchons encore; Seigneur, réponds-nous! es-tu là? Paisibles habitants de ces saintes retraites, Comme l'ont entendu les guides d'Israël, Dans le calme des nuits, des hauteurs où vous êtes N'entendez-vous donc rien du ciel? Ne voyez-vous jamais les divines phalanges Sur vos dômes sacrés descendre et se pencher? N'entendez-vous jamais des doux concerts des anges Retentir l'écho du rocher? Quoi! l'âme en vain regarde, aspire, implore, écoute; Entre le ciel et nous, est-il un mur d'airain? Vos yeux, toujours levés vers la céleste voûte, Vos yeux sont-ils levés en vain? Pour s'élancer, Seigneur, où ta voix les appelle, Les astres de la nuit ont des chars de saphirs, Pour s'élever à toi, l'aigle au moins a son aile; Nous n'avons rien que nos soupirs! Que la voix de tes saints s'élève et te désarme, La prière du juste est l'encens des mortels; Et nous, pêcheurs, passons: nous n'avons qu'une larme A répandre sur tes autels. XXVI Adieux à la poésie Il est une heure de silence Où la solitude est sans voix, Où tout dort, même l'Espérance; Où nul zéphyr ne se balance Sous l'ombre immobile des bois; Il est un âge où de la lyre L'âme aussi semble s'endormir, Où du poétique délire Le souffle harmonieux expire Dans le sein qu'il faisait frémir. L'oiseau qui charme le bocage, Hélas! ne chante pas toujours; A midi, caché sous l'ombrage, Il n'enchante de son ramage Que l'aube et le déclin des jours. Adieu donc, adieu, voici l'heure, Lyre aux soupirs mélodieux! En vain à la main qui t'effleure Ta fibre encor répond et pleure : Voici l'heure de nos adieux. Reçois cette larme rebelle Que mes yeux ne peuvent cacher. Combien sur ta corde fidèle Mon âme, hélas! en versa-t-elle, Que tes soupirs n'ont pu sécher! Sur cette terre infortunée, Où tous les yeux versent des pleurs, Toujours de cyprès couronnée, La lyre ne nous fut donnée Que pour endormir nos douleurs. Tout ce qui chante ne répète Que des regrets ou des désirs, Du bonheur la corde est muette, De Philomèle et du poète Les plus doux chants sont des soupirs : Dans l'ombre, auprès d'un mausolée, O lyre! tu suivis mes pas, Et des doux festins exilée Jamais ta voix ne s'est mêlée Aux chants des heureux d'ici-bas. Pendue aux saules de la rive, Libre comme l'oiseau des bois, On n'a point vu ma main craintive T'attacher comme une captive Aux portes des palais des rois. Des partis l'haleine glacée Ne t'inspira pas tour à tour; Aussi chaste que la pensée, Nul souffle ne t'a caressée, Excepté celui de l'Amour. En quelque lieu qu'un sort sévère Fît plier mon front sous ses lois, Grâce à toi, mon âme étrangère A trouvé partout sur la terre Un céleste écho de sa voix. Aux monts d'où le jour semble éclore, Quand je t'emportais avec moi Pour louer celui que j'adore, Le premier rayon de l'aurore Ne se réveillait qu'après toi. Au bruit des flots et des cordages, Aux feux livides des éclairs, Tu jetais des accords sauvages, Et comme l'oiseau des orages Tu rasais l'écume des mers. Celle dont le regard m'enchaîne À tes soupirs mêlait sa voix, Et souvent ses tresses d'ébène Frissonnaient sous ma molle haleine, Comme tes cordes sous mes doigts. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Peut-être à moi, lyre chérie, Un jour tu pourras revenir, Quand, de songes divins suivie, La mort approche, et que la vie S'éloigne comme un souvenir. Dans cette seconde jeunesse Qu'un doux oubli rend aux humains, Souvent l'homme, dans sa tristesse, Sur toi se penche et te caresse, Et tu résonnes sous ses mains. Ce vent qui sur nos âmes passe Souffle à l'aurore, ou souffle tard; Il aime à jouer avec grâce Dans les cheveux qu'un myrte enlace, Ou dans la barbe du vieillard. En vain une neige glacée D'Homère ombrageait le menton; Et le rayon de la pensée Rendait la lumière éclipsée Aux yeux aveugles de Milton : Autour d'eux voltigeaient encore L'amour, l'illusion, l'espoir, Comme l'insecte amant de Flore, Dont les ailes semblent éclore Aux tardives lueurs du soir. Peut-être ainsi!... mais avant l'âge Où tu reviens nous visiter, Flottant de rivage en rivage, J'aurai péri dans un naufrage, Loin des cieux que je vais quitter. Depuis longtemps ma voix plaintive Sera couverte par les flots, Et, comme l'algue fugitive, Sur quelque sable de la rive La vague aura roulé mes os. Mais toi, lyre mélodieuse, Surnageant sur les flots amers, Des cygnes la troupe envieuse Suivra ta trace harmonieuse Sur l'abîme roulant des mers. ------------------------- FIN DU FICHIER nouvmedi1 --------------------------------