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Veillées poétiques et morales / par M. Baour-Lormian


PREMIERE VEILLEE



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L' astre des nuits se lève. à sa pâle lumière
tout change, se confond dans la nature entière ;
et mon oeil, entouré de prestiges divers,
voit dans l' ombre s' étendre un magique univers.
Ce rocher sourcilleux n' est plus un bloc informe ;
c' est un monstre, un géant d' une stature énorme.
Ces chênes, ces sapins, confusément épars,
en dômes arrondis, élevés en remparts,
d' une ville aux cent tours me retracent l' image.
Que le souffle des vents agite le feuillage,
il me semble aussitôt que de lointains accords
s' élèvent tristement sur la tombe des morts.
La superstition, qu' exalte le silence,
sur le mortel crédule à minuit se balance.

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L' enfant du nord, errant au sein des bois profonds,
des esprits lumineux, des sylphes vagabonds,
rois au sceptre de fleurs, à l' écharpe légère,
voit descendre du ciel la foule mensongère.
Dans la coupe d' un lis tout le jour enfermés,
et le soir, s' échappant par groupes embaumés,
aux rayons de la lune ils viennent en cadence
sur l' émail des gazons entrelacer leur danse ;
et de leurs blonds cheveux, dégagés de liens,
les zéphyrs font rouler les flots aériens.
ô surprise ! Bientôt dans la forêt antique
s' élève, se prolonge un palais fantastique,
immense, rayonnant du cristal le plus pur.
Tout le peuple lutin, sous ces parvis d' azur
vient déposer des luths, des roses pour trophées ;
vient marier ses pas aux pas brillants des fées,
et boire l' hydromel qui pétille dans l' or,
jusqu' à l' heure où du jour l' éclat douteux encor,
dissipant cette troupe inconstante et folâtre,
la ramène captive en sa prison d' albâtre.
Plus loin, au pied d' un mont obscurci de vapeurs,
sous le chêne d' Odin, les trois fatales soeurs,
monstres que le danois en frémissant adore,
au fracas du torrent, aux feux du météore,
d' un breuvage fatal commencent les apprêts.
Quel est le roi puissant que menacent leurs traits ?
Un poignard à la main, pâles, échevelées,
elles chantent. Leur voix rugit dans les vallées ;

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et les spectres, du fond des sombres monuments,
accourent éveillés par leurs enchantements.
Que dis-je ? Ah ! Des tombeaux franchissant la
barrière,
si les morts, en effet, rendus à la lumière,
reviennent quelquefois errer autour de nous,
ô ma mère ! ô ma soeur ! Spectres charmants et doux,
à cette heure de paix quand ma voix vous appelle,
pourquoi reposez-vous dans la nuit éternelle ?
Mais du fatal sommeil qui s' endort une fois
de la tombe jamais ne soulève le poids.
Tout est calme. Zéphyr m' apporte sur son aile,
avec l' esprit des fleurs, les sons de Philomèle :
tandis que, par ses chants de tristesse et d' amour,
les bois sont consolés de l' absence du jour,
que fait l' homme, ce roi dont la force ou l' audace
de la terre et du ciel lui soumettaient l' espace ?
Naguère à la clarté d' un soleil radieux,
il étendait partout ses soins laborieux,
du poids de ses vaisseaux chargeait l' onde
inconstante,
emprisonnait les vents dans la voile flottante,
parcourait l' univers en monarque indompté,
et semblait le remplir de son immensité.
Que fait l' homme ? Au repos son ame s' abandonne ;
il abdique un moment sa brillante couronne ;
le sommeil sur son front épanche des pavots,
et lui verse l' oubli de ses mâles travaux.
Mais quoi ! Tous les mortels sans trouble, sans alarmes,
du repos, à longs traits, savourent-ils les charmes ?

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Non, ministre d' un dieu, l' équitable sommeil
vient punir des forfaits qu' éclaira le soleil.
Le crime, tourmenté de noires rêveries,
s' agite, se débat sous le fouet des furies.
L' innocence respire un air pur et serein ;
l' espoir, la douce paix habitent dans son sein ;
et ces enfans du ciel, sur son front qui repose,
versent tous les parfums de leurs ailes de rose.
Maintenant échappés de leurs antres secrets,
les brigands réunis veillent dans les forêts :
l' oeil sombre, et respirant une homicide joie,
à travers ces détours ils attendent leur proie.
Un bruit lointain les frappe... ils s' arment... ciel
vengeur !
Sous leur couteau de mort tombe le voyageur...
voyez-vous, au milieu de la plaine rustique,
l' herbe haute flottant sur ce tombeau gothique ?
Non loin d' un vieux manoir s' élèvent ses débris ;
lorsque le voyageur, par l' orage surpris,
vient se réfugier au sein de ces décombres,
il voit, à ses côtés, errer de pâles ombres ;
et sitôt que les vents et la foudre ont cessé,
il s' éloigne interdit, muet, d' horreur glacé,
et n' ose raconter quels étranges mystères
se passent dans la nuit de ces murs solitaires.
Un ange de pudeur, d' innocence et d' amour,
Azémire, autrefois habitait ce séjour.
Edvin idolâtrait sa grace enchanteresse,
et la jeune beauté partageait sa tendresse.

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Ce jour que, dès long-temps, appellent tous leurs
voeux,
le beau jour de l' hymen va se lever pour eux ;
et cependant Edvin à s' éloigner s' apprête.
Eh quoi ! De notre hymen on dispose la fête,
dit Azémire en pleurs, et tu veux me quitter ? -
du devoir le plus saint il me faut acquitter,
lui répond son amant. Une mère adorée
ne doit pas embellir cette pompe sacrée.
Tremblante sous le poids et des maux et des ans,
elle ne peut bénir les noeuds de ses nfans. -
eh bien, je vais la voir ; je l' entendrai moi-même
solliciter pour nous la clémence suprême.
Demain, béni par elle, et plus digne de toi,
demain, avant minuit, j' aurai reçu ta foi.
Il dit, et part. Soudain, plaintive, solitaire,
Azémire ressent un trouble involontaire ;
mais un plus doux espoir est rentré dans son sein.
Qu' ai-je à craindre ? Dit-elle : il reviendra demain.
Des ombres de la nuit déjà tout s' environne :
Azémire au repos, heureuse, s' abandonne,
et les songes d' amour enchantent son sommeil.
Le lendemain ses yeux, à l' instant du réveil,
s' étonnèrent de voir l' aurore accoutumée
se montrer sans éclat, sans fraîcheur embaumée :
un voile triste, sombre, enveloppait les cieux,
et l' oiseau du matin restait silencieux.
Oh ! Combien Azémire, en son inquiétude,
accuse de ce jour la longue solitude !

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Lentement il se traîne, et son heureux déclin
a donné le signal de l' approche d' Edvin.
La jeune amante alors, par l' espoir embellie,
respire des langueurs de sa mélancolie ;
on s' empresse autour d' elle, et l' art ingénieux
se plaît à la parer de cent dons précieux.
Les perles et les fleurs, avec goût mariées,
se courbent sur sa tête en tresses variées ;
et sa soeur, au regard pudique et virginal,
attache sur son sein le bouquet nuptial.
On ouvre cependant la gothique chapelle,
les flambeaux consacrés dont l' autel étincelle,
l' encens, les vases d' or, le prêtre du seigneur,
tout n' attend plus qu' Edvin. Mais, par sa jeune soeur
dans la pieuse enceinte, Azémire amenée
a voulu devancer l' heure de l' hyménée ;
elle a voulu prier le monarque éternel
de jeter sur Edvin un regard paternel.
Tout le hameau voisin, rassemblé dans le temple,
forme des voeux pour elle, et prie à son exemple.
Edvin ne revient pas... qui l' arrête, grand dieu !
Quel obstacle jaloux l' éloigne du saint lieu ?
L' heure fuit... Azémire, à l' autel prosternée,
se tait, et n' ose encor se croire abandonnée.
Enfin, ne cachant plus le trouble qui la suit....
l' horloge du château frappait alors minuit :
le son lugubre roule et meurt dans l' étendue.
Mais au faîte sacré la cloche suspendue

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d' elle-même s' ébranle, et semble avec effort
tinter les cris du meurtre et le glas de la mort.
Le vent se lève, gronde autour de ces portiques,
pénètre, en tourbillon, sous les voûtes gothiques,
et de l' autel divin renverse tous les feux :
l' horreur sur chaque front fait dresser les cheveux.
Hors du temple aussitôt la foule répandue
entraîne, dans ses flots, Azémire éperdue.
Tout fuit, tout l' abandonne à ses justes frayeurs.
Mais, que dis-je ? Insensible à force de douleurs,
la vierge, solitaire, errant ainsi qu' une ombre,
précipite ses pas à travers la nuit sombre.
Non loin du vieux château s' étend un bois obscur,
muet, impénétrable aux rayons d' un jour pur.
Jamais sous cette voûte immense, ténébreuse,
l' oiseau n' a soupiré sa romance amoureuse ;
seulement de l' orfraie on entend quelquefois
en sons mourants et sourds s' y prolonger la voix ;
et le reptile, au pied de ces vertes murailles,
de son corps, en sifflant, promène les écailles.
C' est là, c' est vers ces lieux d' horreur environnés,
qu' Azémire, adressant ses pas désordonnés,
porte son désespoir, ou plutôt son délire.
étrangère à l' effroi qu' un tel séjour inspire,
elle marche au hasard, lorsque du bois épais
un hurlement lointain trouble l' affreuse paix :
il redouble.... il s' approche.... ô surprise soudaine !
Azémire, est-ce Edvin que le ciel te ramène ?

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Regarde, reconnais ce Médor tant chéri,
compagnon de son maître et par ses mains nourri....
la lune, en ce moment, sur le bois homicide
laissait tomber à peine un jour sombre et livide.
De son dernier malheur osant douter encor,
à travers la forêt, sur les pas de Médor,
Azémire s' élance. Enfin Médor s' arrête.
Azémire ! ... la foudre éclate sur sa tête.
Quel objet ! Son Edvin meurtri, défiguré ! ...
elle attache sur lui son oeil désespéré,
horriblement sourit, et de ses mains tremblantes
parcourt, semble compter les blessures sanglantes.
" éveille-toi, dit-elle, il est tard.... à l' autel
on nous attend tous deux.... quel silence mortel !
Edvin, ouvre les yeux.... reconnais Azémire ! ...
comme ton sein est froid ! ... " sa voix alors expire :
elle chancelle, tombe, et bientôt la douleur
décompose ses traits, presse et brise son coeur.
Le jour parut enfin. Loin de ces lieux funestes
du couple malheureux on emporta les restes.
Le château paternel s' enveloppe de deuil ;
la guirlande d' hymen entoure le cercueil ;
et la mer, rugissant autour des funérailles,
d' un insensible flot bat ces tristes murailles.

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Note.
Les peuples du nord croient en effet à l' existence de
ces êtres fantastiques qu' ils appellent sylphes ou
génies. le retour de la nuit est le signal de leurs
travaux et de leurs plaisirs. Les uns s' occupent à
faire circuler des veines d' or dans le sein des
montagnes ; les autres plongent au fond des mers pour
y répandre avec profusion les perles et les coraux.
Tous se rassemblent au milieu de la nuit dans un palais
brillant de lumière, et qu' ombragent des cèdres et
des citronniers. C' est là qu' ils se livrent au charme
des banquets et des concerts jusqu' à l' approche du
crépuscule : ils se séparent alors, et vont se cacher
dans le calice des fleurs. Le chef de ces bienfaisants
génies se nomme Oberon. Titania, son épouse,
toujours éclatante de fraîcheur et de beauté, tient
en main une baguette de lis, et porte sur sa tête un
diadème de roses. Cette charmante fée est accessible
aux prières des amans malheureux. Pour les secourir,
elle descend sur un rayon de la lune, et les esprits
qui composent son cortége, font retentir les airs
d' une musique tendre et harmonieuse.
Feu Millevoye, dans son poëme de Charlemagne, s' est
emparé de cette riante mythologie. Elle constitue le
merveilleux de son ouvrage, écrit avec une grace et
une élégance peu communes. Nous croyons faire plaisir
à nos lecteurs en remettant sous leurs yeux le morceau
suivant, que tous les amis des bons vers avaient déjà
remarqué.
Dès que le soir élève ses vapeurs,
la belle fée, en sa grotte profonde,

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des blancs lutins et des sylphes trompeurs
fixe un moment la foule vagabonde.
" vous tous, dit-elle, ornement de ma cour,
sylphes brillants, aimables infidèles,
illusions, compagnes de l' amour,
prenez vos luths, et parfumez vos ailes.
Si, tant de fois, votre invisible essaim,
glissant dans l' ombre aux heures du mystère,
fit soupirer la vierge solitaire
et souleva l' albâtre de son sein ;
si, par vos soins, le miroir de la nue
qui se colore aux flammes du matin
lui présenta, dans un riant lointain,
du jeune amant l' apparence inconnue ;
à la lueur du magique flambeau,
accompagnez mon nocturne voyage :
je vous prépare un triomphe nouveau. "
elle se tut. Dans la troupe volage
un bruit flatteur doucement circula,
comme le bruit du mobile feuillage,
ou de l' abeille aux montagnes d' Hybla.
De ses jardins, odorant labyrinthe,
la fée alors gagne la vaste enceinte.
Là, croît pour elle un arbuste enchanté,
qui de ses mains autrefois fut planté.
Un charme pur de sa tige s' exhale ;
un prisme éclate au milieu de ses fleurs,
et mollement la brise orientale
en fait mouvoir les changeantes couleurs :
pour l' arroser, de vingt jeunes sylphides
les urnes d' or se plongent tour-à-tour
dans le cristal des fontaines limpides.
L' arbre inconnu se nomme arbre d' amour ;
tout est soumis à son magique empire ;
l' hôte des airs sur sa branche arrêté,
charmé soudain, frémit de volupté ;

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plus tendrement la palombe y soupire ;
l' indifférent, qui sous l' ombrage heureux
s' est endormi, se réveille amoureux ;
même on a vu les sylphides charmantes,
abandonnant leurs urnes éclatantes,
faibles, céder aux langueurs du désir,
et l' oeil fermé, la bouche demi-close,
en murmurant les accens du plaisir,
tomber d' amour sur des tapis de rose.
Morgane approche : elle invoque la nuit,
divinité favorable au prestige ;
cueille un rameau qui verdit sur la tige ;
et des jardins rapidement s' enfuit.
à l' escorter sa cour est préparée :
quatre lutins, à l' aile diaprée,
sont les coursiers de son char nébuleux ;
et, dans sa main, la branche balancée,
sceptre léger, ressemble au caducée
qui mène au styx les mânes fabuleux.

SECONDE VEILLEE



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Comme sur la prairie au matin arrosée
étincelle et s' épand une fraîche rosée,
qui bientôt en vapeurs remonte vers les cieux ;
ainsi ma jeune soeur a brillé sous mes yeux.
Toi que j' appelle en vain, durant la nuit obscure,
Emma, toi de mon coeur éternelle blessure,
hélas ! Où retrouver ton sourire charmant,
ton entretien si doux, ton folâtre enjoûment ?
Qui me rendra ces jours de paix et d' innocence,
où l' un et l' autre, à peine en notre adolescence,
par les mêmes penchans nos coeurs prompts à s' unir,
des roses du bonheur couronnaient l' avenir ?
Dans ce monde désert, mon oeil te cherche encore.
Comme un lis virginal qui passe avec l' aurore,
belle et le front couvert des ombres de la mort,
ta défaillante voix me dit avec effort :
" je n' ai vu qu' un matin. Le vent de la tempête
autour de moi se lève, et fait ployer ma tête.
Demain, ce beau soleil, ô regrets superflus !
Brillera pour un monde où je ne serai plus :
il nous faut séparer ; et déjà ma paupière.....
ô d' un si chaste amour qui t' aimera, mon frère ? "

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depuis ce jour fatal je pleure son trépas,
et ne vois point la tombe ouverte sous mes pas.
Oui, telle est ici-bas notre démence extrême ;
l' homme dans l' esclavage, ou ceint du diadême,
jouet des passions, du monde et de son coeur,
flotte de peine en peine, et d' erreur en erreur :
et pourtant je ne sais quel instinct déplorable
l' invite à prolonger le tourment qui l' accable.
Tel qu' on voit d' Ispahan le ver laborieux
tresser d' un réseau d' or le fil industrieux ;
tel l' homme s' environne, au déclin de la vie,
de ses voiles brillants, tissus par la folie.
Un pied dans le cercueil, n' ose-t-il pas encor
donner à ses désirs un chimérique essor ;
et soi-même excusant cette lâche faiblesse,
pour l' avenir douteux réserver la sagesse ?
Quand un sang généreux fait palpiter son sein ;
séduite par l' éclat d' un jour pur et serein,
la jeunesse s' embarque, et follement ravie,
brave, dans ses écueils, le détroit de la vie.
Dans sa fougueuse ardeur tout lui semble permis.
Les astres, les saisons et les vents sont amis ;
mais l' ouragan se lève et l' éclair étincelle.
La tempête poursuit l' imprudente nacelle,
et, trompant les efforts des jeunes matelots,
les précipite, en foule, au sein des vastes flots.
Qui put leur inspirer un tel excès d' audace ?
Devaient-ils de la mort oublier la menace ?

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Eh ! Comment oublier qu' il nous faut tour-à-tour
passer les sombres bords qu' on passe sans retour ?
Par quel enchantement, quelle erreur criminelle,
l' homme ne voit-il pas, hideuse sentinelle,
à sa porte veiller l' inexorable mort ?
Elle crie... il l' entend, s' éveille, et... se rendort !
De maux et de périls cette terre semée
en un champ de bataille est en vain transformée :
en vain aux yeux de l' homme, et jusqu' à ses côtés,
mille braves soldats tombent ensanglantés ;
en vain du trait fatal il est atteint lui-même ;
pâle et déjà touchant à son heure suprême,
prêt à s' offrir sans voile aux yeux de l' éternel,
environné de morts, il se croit immortel.
ô fol aveuglement ! Qu' un vieillard de notre âge,
chancelant et courbé, s' offre à notre passage ;
notre oeil sur ce terrible et fidèle miroir
s' arrête indifférent, et ne sait rien y voir.
Ce front chauve, ces traits que les rides sillonnent,
tous ces pas que la mort et la tombe environnent,
nous les voyons sans trouble ; et, gais comme à vingt
ans,
ce vieillard, disons-nous, ne vivra pas long-temps.
Accablés, comme lui, de tourments et d' années,
nous espérons encor de longues destinées ;
nous croyons (et tel est notre malheureux sort)
que l' homme à force d' ans triomphe de la mort.
Mais lorsqu' autour d' un lit où veillent les alarmes,
le coeur gros de soupirs et l' oeil noyé de larmes,

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debout près d' un ami qui lutte vainement
contre toute l' horreur de son dernier moment,
nous soutenons en pleurs sa tête qui succombe,
s' échappe de nos bras et penche vers la tombe,
alors le charme cesse ; alors, autour de nous,
la terreur épaissit un nuage jaloux ;
nous perdons des plaisirs la trace fugitive,
et d' un monde riant la douce perspective.
Avertis du néant de nos illusions,
dans notre sein glacé meurent les passions ;
mais le cercueil à peine a dévoré sa proie,
un ascendant fatal nous ramène à la joie.
Dans nos yeux obscurcis roulent encor des pleurs,
et déjà l' allégresse habite dans nos coeurs.
Nous devenons bientôt pour l' ami le plus tendre
aussi froids que le marbre où repose sa cendre,
plus étrangers à lui que ces troupeaux errants
qui sur son lit de mort paissent indifférents.
Où va ce jeune amant, troublé, hors de lui-même ?
Hélas ! Le malheureux a perdu ce qu' il aime.
Les parfums du matin et l' or de ses rayons
se jouant sur la plaine et la cime des monts,
la paix des champs, les soins de l' amitié fidèle,
rien ne distrait son ame et sa langueur mortelle ;
pour lui tout est muet, triste dans l' univers.
Les cieux d' un voile sombre à peine sont couverts ;
il dirige ses pas vers l' enceinte sacrée
où dort de nos aïeux la cendre révérée.

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Sous la voûte des pins et des cyprès en deuil,
tel qu' un spectre échappé des ombres du cercueil,
il s' avance : nul bruit ne trouble son passage ;
mais non : un rossignol, transfuge du bocage,
des arbres de la mort habite les rameaux,
et de ses chants d' amour console les tombeaux.
L' infortuné frémit : la pierre sépulcrale,
qui presse de son poids la beauté virginale,
vient frapper ses regards ! ..., et lui, pâle, sans
pleurs,
en mots désordonnés exhale ses douleurs :
" une tombe ! Voilà ce qui me reste d' elle !
M' abandonner,.... mourir et si jeune et si belle !
Tout repose ; il fait nuit... nous sommes seuls...
c' est moi ;
tu m' as quitté, cruelle ! Et cependant pour toi
chaque aurore, de fleurs la tête couronnée,
se levait, dans le ciel, riante et fortunée,
de mes jours importuns que faire désormais ?
Non, tu n' as pu connaître à quel point je t' aimais.
Oh ! Quel voile funèbre enveloppe tes charmes !
Et ces hommes cruels me reprochent mes larmes !
Contre mon désespoir je les vois tous s' unir ;
tous veulent de mon coeur chasser ton souvenir.
Moi, t' oublier... jamais... " il dit : serment frivole !
Avec rapidité le temps fuit et s' envole.
Cet amant consolé des maux qu' il a soufferts,
parjure envers sa foi, brigue de nouveaux fers,
et craignant de la mort la leçon salutaire,
il ne visite plus la tombe solitaire.

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Plus fidèle que lui, sitôt que le printemps
fait ondoyer des bois les panaches flottants,
le même rossignol vient, dans la même enceinte,
soupirer, près des morts, sa douleur et sa plainte.
Si l' homme seul du moins subissait le trépas !
Mais tous ses monuments ne lui survivront pas ;
une seconde fois il meurt dans sa statue,
et sous la faux du temps son ombre est abattue.
Homme, empire, tout meurt : où retrouver encor
Babylone, Corinthe, et la cité d' Hector ?
Elles ont disparu. Reine pâle et terrible !
ô mort ! Ouvre à mes yeux la profondeur horrible
du gouffre où, dans la nuit, flottent tes étendards.
Que de glaives rompus ! Que de spectres épars !
Mon souffle seul perdu dans cet espace immense,
d' un écho de la mort réveille le silence ;
et le ver du sépulcre, effrayé par ma voix,
ronge plus sourdement la dépouille des rois.
Mais qu' ai-je dit ? Au fond d' un vaste mausolée,
sur la pierre funèbre, et de mousse voilée,
l' homme a-t-il donc besoin, pour deviner son sort,
d' attacher ses regards et de lire la mort ?
C' est en vain qu' il la fuit ; il la trouve à toute
heure ;
l' artiste la suspend au sein de sa demeure.
Ces bronzes animés, ces portraits glorieux
où son oeil voit revivre une foule d' aïeux,
décorent ses lambris, relèvent leur richesse,
et, comme des flatteurs, chatouillent sa faiblesse.

p286

Hélas ! Il ne voit pas, de son néant charmé,
qu' il respire au milieu d' un peuple inanimé.
Le monarque superbe, à qui tout rend hommage,
voudrait fuir, à son tour, cette importune image :
en vain, pour s' étourdir sur ses derniers instants,
il s' entoure de jeux, de hochets éclatants :
en vain dans ses banquets tout son faste s' étale.
Le spectre affreux s' assied à la table royale ;
et, convive sanglant, d' un oeil plein de courroux,
il désigne la place où tomberont ses coups.
Qu' est ce monde lui-même ? Un tombeau sans mesure.
La terre des vivants, rebelle à la culture,
ingrate et s' endormant dans son oisiveté,
à la destruction doit la fécondité.
La substance des morts dans ses veines fermente.
Quelle poussière, ô ciel ! N' a pas été vivante ?
La bêche et la charrue, en nos jardins fleuris,
de nos aïeux en poudre exhument les débris.
Avec l' or des moissons ils flottent et s' unissent
au pain réparateur dont leurs fils se nourrissent.
Quand l' ame, rappelée au trône de son dieu,
monte et vole vers lui sur des ailes de feu,
le soleil de nos corps boit la flamme éthérée,
la terre en ressaisit la dépouille altérée,
et tous les éléments se disputent entr' eux
d' un souverain détruit les restes malheureux
ma vue, à cet aspect, d' épouvante glacée....
ciel ! La mort est partout, hors dans notre pensée.

p287

Note.
Young a traité le même sujet. De toutes les nuits
qu' il a composées, il n' en est point où il ait répandu
des couleurs plus sombres, mais en même temps plus de
désordre et de mauvais goût. L' oubli de la mort
est un chaos informe, où l' on remarque néanmoins des
pensées neuves et hardies. J' ai profité de quelques-unes.

TROISIEME VEILLEE



p288

Qu' il est puissant, cet être architecte des mondes,
qui, peuplant du chaos les ténèbres fécondes,
fit éclore le jour, fit bouillonner les mers,
alluma le soleil, dessina l' univers ;
et de ces astres d' or roulant dans leur carrière,
prodigua, sous ses pieds, la brillante poussière !
Où commence, où finit le travail de ses mains ?
Vers quels lieux inconnus des fragiles humains,
de la création accomplissant l' ouvrage,
a-t-il dit aux esprits qui lui rendent hommage :
" enfants du ciel, ici s' arrêtent mes travaux ;
je n' enfanterai plus de prodiges nouveaux ? "
nuit, de tant de trésors sage dépositaire,
qui portes dans ton sein le monde planétaire,
dis-moi, ne puis-je voir le monarque éternel
assis dans son repos auguste et solennel ?
Et vous, au char du pôle étoiles attelées,
toi, brillant Orion, vous, pléiades voilées,
où faut-il diriger mes pas et mon ardeur,
pour contempler ce dieu dans toute sa splendeur ?
Mais en vain, chaque nuit, mon zèle vous implore ;
dans ces lieux qu' embellit une éternelle aurore

p289

vous voyez votre maître, et ne trahissez pas
le secret de l' enceinte où s' impriment ses pas.
L' enfant de Sybaris veille encore dans l' ombre :
est-ce pour admirer les prodiges sans nombre
qu' étale, à nos regards, la splendeur de la nuit ?
Non, non ; la volupté, dont l' attrait le séduit,
le promène au milieu de ses fêtes impies.
De profanes beautés, rivales des Harpies,
se disputent son or, l' abreuvent tour-à-tour
du filtre, des poisons d' un impudique amour ;
et le soleil, levé pour éclairer le monde,
le retrouve abruti par la débauche immonde.
Arrête, malheureux ! Si ton coeur abattu
n' est pas sourd à ma voix et mort à la vertu,
lève les yeux au ciel, qu' épouvante ton crime,
et contemple, avec moi, sa majesté sublime.
S' il te faut des parvis et des dômes brillants
où l' or se mêle aux feux des cristaux vacillants,
viens sous la voûte immense où Dieu posa son trône ;
et pour Jérusalem renonce à Babylone.
Vois l' astre au front d' argent : son éclat tempéré
charme ton oeil vers lui mollement attiré :
plus doux que le soleil il caresse ta vue,
et te laisse jouir d' une scène imprévue.
Vois comme ses rayons tremblent sur les ruisseaux,
mêlent l' albâtre au vert des jeunes arbrisseaux,
se glissent, divisés, à travers le feuillage,
et blanchissent au loin les roses du bocage.

p290

Du globe des vivants, du terrestre horizon,
détache, à cet aspect, ton coeur et ta raison ;
suis mes pas sans effroi : viens ; nouveaux Prométhées,
dérobons tous leurs feux aux voûtes argentées ;
et, nous applaudissant de ce noble larcin,
réveillons la vertu qui dort en notre sein.
Entre au fond du brasier où la foudre s' allume,
où de l' éclair naissant bouillonne le bitume ;
mesure sans pâlir, dans son orbe trompeur,
cet astre vagabond qu' exagère la peur ;
qui, les cheveux épars et la queue enflammée,
s' offre comme un fantôme à la terre alarmée.
Dans son horrible éclat, vois un ciel orageux ;
ou plutôt, affranchi du tourbillon fangeux
qui pesait sur ton ame et la tenait captive,
dans un ciel tout d' azur que ta vue attentive,
s' égarant, au hasard, de beautés en beautés,
compte du firmament les berceaux enchantés.
L' allégresse, l' amour, dans ton coeur se confondent.
Tu viens parler aux cieux, et les cieux te répondent.
Quels sublimes objets ! Quel luxe ravissant !
Le jour n' a qu' un soleil à l' horizon naissant ;
et de mille soleils la nuit est éclairée.
Mille astres à ma vue interdite, égarée,
épanchent â la fois des torrents lumineux
qui, sans les fatiguer, éblouissent mes yeux.
Innombrables soleils, vous planètes errantes,
et de lois et de moeurs familles différentes,

p291

qu' importe, dites-moi, cet amas fastueux ?
Palais aérien, temple majestueux,
loges-tu l' éternel ? ... insensé ! Quelle audace !
Dès que je nomme Dieu, toute pompe s' efface.
L' univers, comme un point, disparaît devant moi,
et le sujet se perd dans l' éclat de son roi.
Faut-il donc s' étonner qu' aux jours de l' ignorance,
ces astres, qui des dieux offrent la ressemblance,
aient usurpé l' encens des crédules mortels ?
Le sage, dans son coeur, leur dresse des autels,
et, contemplant du ciel la majesté suprême,
au milieu de la nuit se demande à lui-même :
" quel art dut présider à ce dôme éclatant,
sur un fleuve d' azur, sans orage flottant ?
Rien dans tous ses rapports n' annonce l' indigence.
La sagesse, le choix, l' ordre, l' intelligence,
savamment confondus, brillent de toutes parts ;
un seul lien unit tant de mondes épars.
ô surprise ! Tandis qu' un mouvement rapide
les emporte à travers cet océan limpide,
que tout part, va, revient, se balance, s' étend,
roule, vole, et se suit dans un ordre constant,
quel silence profond règne sur la nature !
Quelle main de ces corps éleva la stature ?
Quel invisible bras, par la force conduit,
sema d' or et de feux les déserts de la nuit,
de ces astres roulants étendit la surface,
et versa leurs rayons au milieu de l' espace,

p292

plus nombreux mille fois que les sables des mers,
les perles du matin, les flocons des hivers,
et tous ces flots qu' au sein des villes consumées
promène l' incendie aux ailes enflammées ?
C' est en vain que l' impie ose élever la voix,
et, dépouiller encor l' éternel de ses droits.
Oui, la religion est fille d' Uranie ;
tout d' un dieu créateur atteste le génie.
Il est sans doute un chef qui, sous ses pavillons,
de ce peuple étoilé range les bataillons.
Guerriers du tout-puissant, ministres de sa gloire,
leurs mains à ses drapeaux attache la victoire.
Quel oeil pourrait les suivre en leur brillant essor ?
Des casques de rubis pressent leurs cheveux d' or ;
de saphirs immortels rayonne leur armure ;
leurs rangs aériens, sans trouble, sans murmure,
s' étendent par milliers dans l' éther radieux,
et veillent, en silence, à la garde des cieux. "
et l' homme, incessamment témoin de ces spectacles,
pour croire à l' éternel demande des miracles ! ....
des miracles ! Ingrat, contemple l' univers.
Mais au brillant aspect de ces globes divers,
je ne sais quel délire a passé dans mon ame ;
je me crois enlevé sur des ailes de flamme,
et, du sein de la terre, élancé vers les cieux,
le globe des vivants disparaît à mes yeux.
J' ai franchi de la nuit l' astre mélancolique ;
je touche au voile d' or, au voile magnifique,

p293

qui des mondes lointains me cachait la grandeur.
Perdu dans ces rayons d' éternelle splendeur,
je m' égare à travers des soleils innombrables,
de vie et de chaleur foyers inépuisables.
Que vois-je ! Un long espace, un désert enflammé ! ....
sans doute du grand roi le trône accoutumé
s' élève dans ces lieux.... vain espoir qui m' abuse !
à se montrer déjà l' éternel se refuse :
il est encor plus haut, par-delà les soleils,
par-delà tous les cieux et leurs palais vermeils.
Arrêtons un moment.... aussi bien ma paupière
ne s' ouvre qu' à regret et fuit tant de lumière.
Commandons, s' il se peut, à mes sens effrayés.
Quel amas d' univers sous mes pas déployés !
Que d' astres radieux, de sphères vagabondes !
Me voici seul, debout sur le sommet des mondes.
Invisibles témoins de mon secret effroi,
habitants de ces bords, parlez, rassurez-moi.
Dans ce monde où bientôt dormira ma poussière,
l' homme ne vit qu' un jour de trouble et de misère ;
les yeux à peine ouverts, il gémit et pressent
les ennuis du séjour qu' il habite en passant,
vous que déjà mon coeur chérit sans vous connaître,
si loin du grain mouvant où le ciel me fit naître,
partagez-vous, hélas ! Notre funeste sort ?
De douleurs en douleurs marchez-vous à la mort ?
Mais sans doute, étrangers aux passions humaines,
un sang aérien fait palpiter vos veines.

p294

Vous ne connaissez pas nos besoins renaissants,
tous ces fougueux désirs, orages de nos sens.
Aussi pur que le ciel qui vous sert de ceinture,
chacun de vous respire et nage à l' aventure,
en des flots lumineux, dont la foudre et les vents
respectent le cristal et les trésors mouvants....
eh quoi ! Vous m' entendez et n' osez me répondre !
Que votre voix s' élève et vienne me confondre,
si dans ma folle erreur, multipliant les cieux,
je tends, vers l' infini, mon vol audacieux.
Que dis-je ? Et qui pourrait, sans crime et sans
blasphême,
assigner quelque borne à l' artisan suprême ?
S' il cra d' un seul mot l' atome et l' univers,
n' a-t-il pu s' entourer de cent mondes divers ?
Mon ame aime à le croire : ici-bas exilée,
elle vole en espoir dans la sphère étoilée,
sous ces berceaux d' azur, à travers ces jardins
où rayonnent la pourpre et l' or des séraphins.
Mortel qui, dans la nuit majestueuse et sombre,
contemples, loin de moi, ces prodiges sans nombre,
tous ces milliers de cieux, miroir éblouissant
où vient se réfléchir le front du tout-puissant,
oh ! Que le grand destin promis à ta noblesse,
fasse battre ton coeur d' une saine allégresse ;
reconnais du très-haut le bienfait paternel ;
ces mondes passeront, toi seul es éternel.
Oui, toi seul.... mais où suis-je ? Et quel rayon
m' éclaire !
L' avenir se dévoile à mon oeil téméraire ;

p295

tout s' émeut.... tout frémit.... dans l' espace arrêté,
le temps même suspend son vol précipité.
Voici l' heure dernière ; une voix qui menace,
la voix du dieu vivant tonne au sein de l' espace :
" fils des hommes, sortez de la profonde nuit ;
le grand jour est venu ; l' éternité vous luit. "
alors du fond des bois, des eaux et des vallées,
les générations se lèvent désolées ;
et deux rideaux de flamme, au même instant ouverts,
offrent, dans sa splendeur, le roi de l' univers.
Sur un trône flottant, où l' or pur étincelle,
il repose, entouré de sa garde fidelle ;
dans sa main resplendit le glaive lumineux ;
vingt soleils, à ses pieds, rassemblent tous leurs
feux ;
ses habits sont semés d' étoiles flamboyantes ;
et l' éther réfléchit leurs clartés ondoyantes.
Mais le fatal arrêt est déjà prononcé ;
de la création le prodige a cessé.
L' homme seul, des tombeaux secouant la poussière,
superbe, revêtu de force, de lumière,
s' élève et va s' asseoir dans le palais divin ;
sur sa tête immortelle éclate un jour sans fin.
Tandis qu' à son bonheur les harpes applaudissent,
que de l' hymne d' amour tous les cieux retentissent ;
quel spectacle ici-bas ! Mille sombres vapeurs
des astres de la nuit éclipsent les lueurs.
L' océan mutiné soulève les orages,
gronde dans tous ses flots, franchit tous ses rivages.

p296

Les montagnes, les tours, les temples, les cités,
dans l' abîme des eaux croulent de tous côtés ;
les cieux sont des volcans ; mille éclairs en
jaillissent ;
mille foudres rivaux se croisent et rugissent ;
tous les enfants de l' air, turbulents, vagabonds,
s' échappent, à la fois, de leurs antres profonds,
se heurtent en courroux, et d' une aile hardie
aux plus lointains climats vont porter l' incendie.
Les astres, arrachés de leurs axes brûlants,
du sommet de l' éther l' un sur l' autre roulants,
nourrissent de leurs feux la flamme universelle ;
déjà brille et s' éteint la dernière étincelle.
Fuyons, fuyons la mort.... mais la mort est partout ;
sur l' univers détruit son fantôme est debout.
Dans l' antique chaos la nature retombe ;
toute une éternité va peser sur sa tombe.
Dieu chasse devant lui, comme de vains brouillards,
la poudre des soleils dissous de toutes parts ;
et, porté sur un char où sa colère gronde,
il passe, et, dans sa course, il efface le monde.

p297

Note.
Plusieurs écrivains distingués ont déjà traité le même
sujet. Je croirai faire un véritable plaisir à mes
lecteurs en remettant sous leurs yeux un fragment du
génie de l' homme, par M Chênedollé. Son poëme,
rempli de beautés du premier ordre, est loin encore
d' occuper le rang qu' il mérite.
Mais quel astre, étalant son écharpe d' albâtre,
blanchit des vastes cieux le pavillon bleuâtre ?
Laissez-moi contempler, du front de ces coteaux,
ce disque réfléchi qui tremble sur les eaux.
Liée à nos destins par droit de voisinage,
la lune nous échut à titre d' apanage
et l' éternel contrat qui l' enchaîne à nos lois,
d' un vassal, envers nous, lui prescrit les emplois :
par elle nous goûtons les douceurs de l' empire.
Des traits brûlants du jour quand le monde respire,
tributaire fidèle, en reflets amoureux,
elle vient du soleil nous adoucir les feux ;
tantôt brille en croissant, tantôt lui tout entière,
et commerce, avec nous, et d' ombre et de lumière.
Cet astre au front mobile, en voyageant dans l' air,
obéit à la terre, et commande à la mer ;
ramène de Thétis la fièvre régulière,
et balance ses flots sur leur double barrière.
Dans un cercle inégal mesurant chaque mois,
la lune, autour de nous, marche et luit douze fois ;
et son pas suit de près les pas de notre année.

p298

Satellite paisible, elle nous fut donnée
pour dissiper des nuits la ténébreuse horreur,
et cette obscurité, mère de la terreur.
Tandis que le soleil, éclairant d' autres mondes,
ne laisse sur ses pas que des ombres profondes,
ô Phébé ! Dévoilant ton char silencieux,
vers les monts opposés lève-toi dans les cieux ;
sur le dôme étoilé que ton éclat décore,
le soir, fais luire aux yeux une plus douce aurore ;
et, remplaçant le jour qui par degrés s' enfuit,
prends, de tes doigts d' argent, le sceptre de la nuit ;
de tes tendres clartés caresse la nature,
rends leur émail aux champs, aux arbres leur verdure.
à travers la forêt, que ton pâle flambeau
se glisse, et du feuillage éclairant le rideau,
à l' ame, en ses pensers doucement recueillie,
révèle le secret de la mélancolie !
Quel demi-jour charmant ! Quel calme ! Quels effets !
Poursuis, reine des nuits, le cours de tes bienfaits ;
protége de tes feux, et rends à son amante
le jeune homme égaré sur la vague écumante ;
au voyageur perdu dans de lointains climats
prête un rayon ami qui dirige ses pas :
tandis que le sommeil, les songes, le silence,
doux et paisible essaim qui dans l' air se balance,
planent près de ton char, et composent ta cour.
Centre de l' univers et monarque du jour,
le soleil, cependant, immense, solitaire,
dans son orbe lointain voit rouler notre terre.
Il échauffe, il nourrit de ses jets éclatants
ces globes, loin de lui, dans le vide flottants,
et les animant tous de ses clartés fécondes,
de ses rênes de feu guide et retient les mondes.
Lui seul, de l' univers supportant le fardeau,
il en est le foyer, et l' axe, et le flambeau ;

p299

en tournant sur lui-même il échauffe sa masse,
et dispense ses feux jusqu' aux bords de l' espace ;
ardent, inépuisable en sa fécondité,
inébranlable, et fixe en sa mobilité.
Soleil ! Astre sacré, contemple ton empire !
Tout vit par tes regards, tout brille, tout respire :
souverain des saisons, le monde est ton palais,
les globes sont ta cour, et le ciel est ton dais.
Notre terre, à tes yeux, sans fin se renouvelle,
et roulant nos débris sur sa route éternelle,
le temps emporte tout, mais il ne' atteint pas.
Les révolutions, longs tourments des états,
ébranlent notre globe et te sont étrangères ;
tu n' es jamais troublé du bruit de nos misères ;
et ton front, toujours calme, éclaire les tombeaux
des peuples dont tu vis s' élever les berceaux.
Qui pourrait s' égaler à ta vaste puissance ?
Ta présence est le jour, la nuit est ton absence.
La nature sans toi, c' est l' univers sans dieu.
Père de la lumière, et des vents, et du feu,
renfermant, dans les plis de ta robe éclatante,
le rubis, l' émeraude, et l' opale inconstante,
d' une pluie à jets d' or inonde l' univers ;
et, la décomposant dans le prisme des airs,
nuance des saisons la mobile ceinture ;
suspends, au front des bois, un réseau de verdure ;
et, prodiguant partout un luxe de couleurs,
dore, argente ou rougis le panache des fleurs ;
donne un habit de neige au lis qui vient d' éclore,
et l' arc-en-ciel au paon, et la pourpre à l' aurore ;
et garde pour les cieux ce pavillon d' azur,
ce manteau de saphir d' où s' échappe un jour pur,
et que la vaste mer réfléchit dans son onde :
voilà comme, par toi, se décore le monde.
Oh ! De quel saint transport mon coeur est agité !

p300

Grand astre ! Quand tes feux dans l' air ont éclaté,
soleil, quelle est ta pompe ! Oui, lorsque ta lumière,
symbole radieux de ta beauté première,
enflamme les forêts, les monts et les déserts,
brille, et se multiplie en flottant sur les mers,
je crois voir, de Dieu même, au sein de son ouvrage,
partout se réfléchir la glorieuse image ;
et, dans l' ombre du soir, ton globe moins ardent
vient-il à se pencher aux bords de l' occident ;
qu' avec respect encor j' y retrouve l' emblême
du souverain moteur, lorsqu' il fixa lui-même
à la création un terme limité,
et rentra dans la nuit de son éternité.

QUATRIEME VEILLEE



p301

Pourquoi, me révoltant contre la destinée,
déplorer nuit et jour, dans ma plainte obstinée,
mes parens, mes amis au tombeau descendus,
et la perte de ceux que je n' ai point perdus ?
Oui, de stériles pleurs pourquoi mouiller leur cendre ?
Dans un monde éternel ils sont allés m' attendre.
Ils coulent dans la paix des jours délicieux,
et l' astre du matin luit toujours à leurs yeux.
Sans un espoir si doux à notre ame ravie,
combien serait pesant le fardeau de la vie !
Qui pourrait ici-bas supporter ses malheurs,
et ne pas rejeter la coupe des douleurs ?
Mais tout nous entretient du jour de la victoire.
Veux-tu d' un seul regard t' assurer de ta gloire,
mortel infortuné ! Contemple l' univers !
Tu ne peux l' observer sans bénir les revers
que répandit sur toi la sagesse suprême
pour épurer ton front promis au diadême ;
sans te croire immortel, et voir, ainsi que toi,
la nature subir l' inévitable loi.
Inconstante, mobile, elle se renouvelle,

p302

expire, et cependant rien ne périt en elle.
Vois l' été qui s' avance : il marche sur des fleurs,
et de son pied de flamme en ternit les couleurs.
De son teint, par degrés, le vermillon se fane ;
il fuit et disparaît dans l' air moins diaphane.
L' automne prend alors le sceptre des climats ;
il s' envole à son tour : couronné de frimas,
assis sur des glaçons, dans le char des orages,
le sombre hiver accourt et presse ses ravages.
Son empire n' est plus : mais brillant de saphirs,
le printemps amoureux vole sur les zéphyrs,
et, fermant de ses mains le cercle de l' année,
du palais où languit sa force emprisonnée,
il rappelle l' été qui, lui-même à son tour,
de ses frères rivaux annonce le retour.
Ainsi, grace au bienfait de la loi souveraine,
dans un ordre éternel tout se suit et s' enchaîne.
Voit-on l' astre brillant qui mesure les jours
s' arrêter et s' éteindre au milieu de son cours ?
Partout, dans l' univers, la sagesse infinie
nous donne des leçons et d' ordre et d' harmonie.
Depuis l' aigle superbe, habitante des airs,
jusqu' au ciron perdu dans les sables déserts,
tout renaît : pourquoi donc le plus noble des êtres
qui comptent la nature et Dieu pour leurs ancêtres,
sur un sol infécond, par ses soins embelli,
seul dans tout l' univers serait-il avili ?
Ce globe est un domaine où sa toute-puissance

p303

s' environne de pompe et de magnificence,
à travers mille efforts par l' obstacle excités,
à la cime des monts il suspend des cités.
Animé par ses doigts, ici l' airain soupire ;
là palpite le marbre, et le bronze respire :
plus loin la terre s' ouvre et cède ses trésors ;
l' océan contenu bat, en grondant, ses bords :
les cieux sont dévoilés ; heureux dans son audace,
l' homme soumet aux arts la nature et l' espace ;
en naissant il trouva son séjour ébauché :
à sa perfection, à toute heure attaché,
il travailla long-temps ; et Dieu, qui le seconde,
acheva, par ses mains, l' édifice du monde.
Et ce fier conquérant, une fois terrassé,
verrait tout son éclat dans la poudre effacé ! ....
quoi ! Lorsque le héros, le poëte, le sage,
ont franchi de la mort le terrible passage,
que la tombe, sur eux, se fermant à grand bruit,
enveloppe leurs fronts d' une profonde nuit,
il ne resterait d' eux qu' une vile poussière !
Ah ! Si tel est le sort des fils de la lumière ;
trahi dans son espoir, si l' homme infortuné
du dieu qui le forma doit être abandonné,
bravons ce dieu jaloux, ce tyran solitaire ;
qu' il reprenne des jours, présent de sa colère !
Insensé que j' étais ! Devant lui confondu,
au pied de ses autels que d' encens j' ai perdu !
ô dieu, que trop long-temps mon coeur voulut connaître,

p304

impitoyable dieu, pourquoi m' as-tu fait naître ?
Pourquoi, si ton courroux a besoin de mes pleurs,
par l' aspect de ta gloire irriter mes douleurs ?
Fallait-il m' entourer de tes pompeux ouvrages,
suspendre sur ma tête, au-dessus des nuages,
ce firmament d' azur, ces mondes enflammés,
ces globes d' or roulant, pour toi seul allumés ?
Fallait-il tout soumettre à mes lois souveraines,
de la terre, à mes mains, abandonner les rênes,
et, pour me replonger dans une nuit d' effroi,
me ravir au néant qui me sauvait de toi ! ...
malheureux ! Qu' ai-je dit ? Abjurons ce blasphème !
C' est trop calomnier la clémence suprême ;
non, par un vain orgueil mon esprit tourmenté
ne rêva point la gloire et l' immortalité.
Pour un monde éternel j' ai reçu la naissance ;
tout, jusques au sommeil, m' en donne l' assurance.
De tranquilles pavots quand mes yeux sont couverts,
mon ame veille encore et parcourt l' univers.
Tantôt, développant ses ailes fantastiques,
sur la cime des monts ou des temples antiques
elle plane : tantôt du lointain horizon
elle descend, et vient effleurer le gazon.
Souvent elle traverse une forêt sauvage ;
rêveuse, elle s' enfonce au sein du noir ombrage ;
ou, d' un vol inconstant, dans les plaines des cieux,
légère, elle se trace un chemin radieux.
Elle vient se mêler à la troupe folâtre

p305

des sylphes vagabonds, aux épaules d' albâtre,
à la robe d' azur, aux cheveux d' or épars ;
mais qu' un mensonge heureux enchante ses regards,
ou que d' un faux péril elle soit alarmée,
tout lui parle en secret du dieu qui l' a formée ;
tout lui dit que sa main l' enchaîna dans nos corps
pour en faire mouvoir les flexibles ressorts ;
mais qu' elle doit un jour, à la gloire rendue,
remonter vers celui dont elle est descendue.
Et l' homme cependant à toute heure, en tout lieu,
couvert de la présence et du pouvoir d' un dieu,
sur ce globe d' exil s' agite et se tourmente !
Plus son espoir s' accroît, plus sa terreur augmente.
Le monarque et le pâtre, irrités de leur sort,
se plaignent tous les deux, et redoutent la mort.
En murmures ingrats tous deux ils se confondent,
et du chaume au palais les soupirs se répondent.
Mortel ! Ces longs ennuis ne t' annoncent-ils pas
quel bonheur, à tes voeux, réserve le trépas ?
Vois enfin ta noblesse ; apprends à te connaître :
tu naquis pour mourir, mais tu meurs pour renaître.
Que le sage est heureux ! Sûr de vivre toujours,
je l' entends s' écrier : " pâlis, flambeau des jours !
Levez-vous, ouragants, et soufflez la tempête !
Astres, éteignez-vous ! Cieux, croulez sur ma tête !
Mon ame invulnérable, à travers vos débris,
monte, comme la flamme, aux célestes lambris ;
mon ame du très-haut est l' image vivante :

p306

la foudre, à son aspect, recule d' épouvante ;
et les traits de la mort sur les mondes lancés
s' égarent autour d' elle, et tombent émoussés.
J' habiterai bientôt ma nouvelle patrie.
Toi que je pleure encor, mon épouse chérie !
Que depuis si long-temps je brûle de revoir,
sous les parvis du ciel, oh ! Viens me recevoir ;
viens, brillante d' amour, d' éternelle jeunesse,
conduire le vieillard au banquet d' allégresse ;
et, dans ces beaux palais, de feux étincelants,
des roses de l' éden couvrir mes cheveux blancs. "

CINQUIEME VEILLEE



p307

a-t-on vu, dans les nuits de l' été dévorant,
se détacher du ciel un météore errant,
qui s' éteint au milieu de sa chute enflammée ?
Tel est notre destin. L' or et la renommée,
le trône, les plaisirs, tous ces fantômes vains
qu' adorent, à genoux, les vulgaires humains,
rien ne peut à nos lois, par un charme suprême,
assujettir le souffle émané de Dieu même.
Oui, ces réseaux mouvants, ces fils inaperçus,
que, sous les toits déserts, l' araignée a tissus,
sont plus forts que les noeuds dont l' étreinte nous lie
un moment au bonheur, un moment à la vie.
ô douleur ! Que de fois un père en cheveux blancs
pleura sur le tombeau de ses jeunes enfants !
Hélas ! Il se flattait qu' un jour leur main si chère
au soleil des vivants fermerait sa paupière ;
il les voyait sourire, et son coeur enchanté
les dotait, en espoir, de l' immortalité.
Mais qu' un amant sur-tout à tromper est facile !
Comme il prête au plaisir une oreille docile !
En voyant de ce front l' incarnat vif et pur,
l' albâtre d' un beau sein que nuance l' azur,

p308

et de ces longs cheveux les ondes caressantes,
et de ce corps de lis les formes ravissantes,
le malheureux s' abuse, et sa crédulité
lui fait d' une mortelle une divinité.
L' éclair brille soudain.... la foudre vengeresse
gronde, et brise, à ses pieds, l' autel et la déesse.
Dans un vallon tranquille, aux campagnes d' Enna,
que de ses flots brûlants fertilise l' Etna,
s' élevait, entouré de parfums et d' ombrages,
un château, monument des antiques pélages ;
pure comme un beau jour de ces climats riants,
sous les yeux paternels, Amélie, à seize ans,
de tous les dons du ciel fleurissait embellie ;
pourtant on ignorait quelle mélancolie
lui faisait des destins pressentir le courroux,
et versait dans son coeur un charme triste et doux.
On ne la voyait point sur l' émail des prairies,
au printemps, égarer ses molles rêveries,
ni, dans les bois prochains devançant le soleil,
des oiseaux et des fleurs épier le réveil.
Elle aimait à gravir la roche solitaire ;
à voir l' astre des nuits sortir, avec mystère,
des flancs noirs du nuage, et de pâles rayons
blanchir l' azur des flots et la cime des monts.
Bien jeune, elle pleurait une mère adorée.
Par les soins d' un époux, en marbre figurée,
cette mère si tendre, à ses pieds, chaque jour
voyait couler des pleurs de regret et d' amour.

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Debout, sous le parvis de l' antique édifice,
presque vivante à l' oeil, comme un ange propice
qui diffère, un moment, son retour vers les cieux,
elle semblait veiller à la paix de ces lieux.
Sa fille en deuil, sa fille, à cette auguste image,
venait, silencieuse, adresser son hommage.
Quelquefois, à travers les pleurs et les sanglots,
elle disait : " du sein de l' éternel repos
arrête encor sur moi tes voeux et ta pensée :
cette terre d' exil où tu m' as délaissée
n' est qu' une solitude ouverte à mon ennui,
et du monde, avec toi, mon bonheur s' est enfui. "
elle disait. Pourtant une modeste flamme,
en faveur d' Orsano, faisait brûler son ame.
Par sa mère, autrefois, avaient été bénis
ces noeuds dont, aux autels, ils doivent être unis.
Un père enfin l' ordonne, et leur hymne s' apprête ;
l' airain religieux en proclame la fête.
Vers le temple voisin, le couple fortuné
d' un cortége nombreux s' avance environné.
Ils entrent.... quel moment ! Une pompe rustique
a rajeuni, pour eux, la vieille basilique ;
des vierges du hameau les groupes innocents
font monter vers le ciel la prière et l' encens.
On croirait que, témoin de l' auguste hyménée,
Dieu même, avec plaisir, en bénit la journée.
L' Etna, dont le soleil, abandonnant les flots,
de ses premiers rayons éclairait le repos ;

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les sons du rossignol, que l' écho solitaire
renvoyait affaiblis aux murs du sanctuaire ;
les vallons embaumés du souffle matinal ;
la rose au sein pudique et le lis virginal,
et les vertes forêts que la pourpre colore....
tout semblait saluer et l' hymen et l' aurore.
Mais les jeunes amants sont au pied des autels ;
le pontif a reçu leurs serments immortels ;
tout-à-coup Orsano, jetant sur Amélie
un regard plein d' amour, la voit pâle, affaiblie....
elle tremble, et des pleurs s' échappent de ses yeux :
enfin ils sont époux. Bientôt, loin de ces lieux,
ensemble ils ont revu le toit héréditaire.
" d' où naît, dit Orsano, ce trouble involontaire ?
Pourquoi donc, en tes yeux et sur ton front charmant,
ne vois-je pas l' excès de mon ravissement ?
De quel muet effroi tu sembles poursuivie !
Te repens-tu déjà du bonheur de ma vie ? "
" -Orsano, lui répond la sensible beauté,
va, mon coeur est heureux de ta félicité ;
mais, quand à l' éternel j' adressais ma prière,
j' ai cru voir.... non, j' ai vu le spectre de ma mère
s' approcher de l' autel, éteindre les flambeaux,
et de loin me montrer la route des tombeaux.
La fantôme a paru tristement me sourire....
-ah ! Tu m' as fait frémir. -sa voix semblait me dire :
c' est en vain qu' Orsano veut régner sur ton coeur ;
Dieu ne te permet pas de faire son bonheur ;

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Dieu te rejoint à moi ; du monde il te sépare :
ton banquet nuptial dans les cieux se prépare.
à ces mots, elle a fui mon regard alarmé....
cependant, Orsano, je t' aurais tant aimé ! ...
-peux-tu croire, un moment, que ta mère chérie,
abandonnant le ciel, sa nouvelle patrie,
brise des noeuds par elle approuvés autrefois ?
Non, je suis ton époux, et l' époux de son choix. "
il se tait ; et pourtant, près de l' objet qu' il aime,
d' une vague terreur il est frappé lui-même.
Mais, pour mieux célébrer ces instants solennels,
retentissent les sons des joyeux ménestrels.
On dresse les banquets ; les antiques bannières
flottent sur le sommet des tours hospitalières :
les filles des vassaux, d' une moisson de fleurs,
pour l' hymen d' Amélie, ont tressé les couleurs ;
" comme un songe riant leur éclat s' évapore,
dit-elle ; .... ce matin, elles vivaient encore. "
le festin se termine, et déjà, moins ardent,
le disque du soleil penche vers l' occident.
Dans la vieille forêt la fête est transportée.
La cime des hauts pins, doucement agitée,
balance ses parfums aux derniers feux du jour ;
tout rit dans la nature : Amélie, à son tour,
d' un avenir plus doux ose entrevoir l' aurore ;
son beau teint, par degrés, s' anime, se colore ;
ses yeux remplis d' amour, de charme, de langueur,
déjà vers son époux.... tout-à-coup, ô douleur !

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Un bruit lugubre et sourd fait frémir le feuillage ;
l' éclair serpente et luit sous un ciel sans nuage ;
nul souffle dans les airs : l' Etna sort du sommeil.
Quel sinistre murmure annonce son réveil !
Un épais tourbillon de cendre et de fumée
s' échappe, au même instant, de sa bouche enflammée ;
il rugit, et du fond de ses noirs soupiraux
mille rochers ardents, mille foudres rivaux
se heurtent en fureur ; et la nuit ténébreuse
s' éclaire, devant eux, d' une lumière affreuse.
Aux lueurs de l' éclair et du mont courroucé,
loin des jeunes époux tout a fui dispersé ;
ils restent seuls, perdus dans la forêt immense.
ô Dieu, sur Orsano jette un oeil de clémence !
De sa tremblante épouse il raffermit les pas :
" eh bien ! Dit-elle, eh bien ! Tu ne m' en croyais pas !
Défends-moi maintenant de l' horrible tempête,
de ce ciel irrité qui menace ma tête.
Cher époux ! Ton amour ne peut me secourir ;
ne songe qu' à toi-même, et laisse-moi mourir. "
ses genoux, à l' instant, se dérobent sous elle :
mais Orsano, qu' anime une force nouvelle,
l' enlève dans ses bras, et pâle, échevelé,
l' emporte au bruit du ciel par l' orage ébranlé.
Plus d' un sentier confus l' égare dans la route :
l' ange de l' infortune en eut pitié sans doute.
Le déplorable amant, après mille détours,
du château d' Amélie a reconnu les tours.

p313

Sous le parvis désert aussitôt il s' élance.
Cependant Amélie, en un morne silence,
demeure encor plongée, et son époux en pleurs
s' efforce d' apaiser de trop justes frayeurs :
" toi que me disputait la fortune jalouse,
il n' est plus de péril.... ô ma charmante épouse,
renais sous mes baisers, ouvre enfin tes beaux yeux ! "
il dit. Un long éclair pénètre dans ces lieux,
et, d' un bleuâtre éclat entourant la statue,
la dévoile aux regards d' Amélie abattue.
" ma mère ! " à ce nom seul, à ce plaintif accent,
l' écho de ces vieux murs répond en gémissant.
L' orage alors redouble : au fracas du tonnerre,
au choc des éléments, tremble et s' ouvre la terre ;
de ses flancs déchirés mille feux ont jailli ;
d' épouvante Orsano lui-même a tressailli.
Sur le sol chancelant, Amélie incertaine
aux pieds de la statue avec effort se traîne,
et les presse en criant.... ma mère, me voici !
La foudre éclate alors dans le ciel obscurci :
tout tremble ; la statue, à sa base arrachée,
sur la triste Amélie, à l' instant, s' est penchée,
semble étendre les bras, tombe enfin ; et son poids
la renverse sanglante, et meurtrie, et sans voix.
Un moment de sa force elle a repris l' usage :
" adieu, cher Orsano ; rappelle ton courage ;
tu vois.... " le lendemain, immobiles, glacés,
on les trouva tous deux se tenant embrassés.

SIXIEME VEILLEE



p314

édouard n' était plus : sa volonté suprême
à la jeune Suffolk léguait le diadême ;
mais la soeur d' édouard, en faveur de ses droits,
arme les bataillons de la sombre Tamise :
tout fléchit devant elle, et dans Londres soumise
ses mains ont ressaisi l' héritage des rois.
ô fortune ! ô revers ! Ophélie étonnée
n' ose s' abandonner à de justes douleurs,
et ne murmure point contre la destinée.
Mais toi, son jeune époux, tu fais couler ses pleurs,
toi, Gilfort... dans ses bras elle tombe, et s' écrie :
" c' en est fait : la victoire a couronné Marie !
ô charme de mes jours ! Cesse de t' alarmer :
je suis épouse encor si je ne suis plus reine.
Loin de moi, sans retour, la grandeur souveraine !
Il m' est plus doux cent fois d' obéir et d' aimer.
Fuyons une rivale injuste et criminelle ;
mettons entr' elle et nous l' immensité des mers.
Cher Gilfort, Ophélie attentive et fidèle
dans les noires forêts, au milieu des déserts
pourra de son époux alléger la souffrance,
et lui rendre en amour ce qu' il perd en puissance. "

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elle se tait ; et belle et les cheveux épars,
elle enflamme Gilfort de l' espoir qui l' anime....
de farouches soldats entrent de toutes parts,
et traînent dans les fers l' héroïque victime.
Gilfort est resté seul.... seul avec son malheur.
Dans ce palais brillant d' une splendeur fatale
il s' égare, et devant la couche nuptiale
de ses plaisirs détruits il repaît sa douleur.
Qu' elle fut courte, hélas ! Cette nuit fortunée
qui prêta son mystère aux plus tendres amours !
La lune, dans le ciel, recommençait son cours,
et ses feux argentaient la couche d' hyménée ;
maintenant sa clarté, mourante au haut des cieux,
d' un bonheur aussi doux n' est plus dépositaire ;
elle luit tristement sur ce lit solitaire
qu' amour n' enchante plus de ses folâtres jeux.
Cependant Ophélie, au désespoir livrée,
d' un père, d' un époux à la fois séparée,
s' entretient de ses maux dans le fond d' une tour
que n' éclaira jamais l' oeil consolant du jour.
Au lieu de cette foule à lui plaire assidue,
d' un trône et des honneurs sous ses pas déployés,
une ombre impénétrable, en ces murs répandue,
n' offre que son horreur à ses yeux effrayés.
Nul bruit ne vient frapper son oreille attentive.
C' est en vain que l' aurore, au visage riant,
de rubis et de fleurs parsème l' orient,
et que du rossignol la romance plaintive

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se mêle aux doux accords des zéphyrs et des eaux :
tout est sombre, muet pour l' aimable captive ;
tout dort, à ses côtés, du sommeil des tombeaux.
Ainsi donc cette fleur, naguère épanouie,
le parfum du bocage, et l' orgueil du printemps,
qui, dès l' aube du jour, sur les flots inconstants,
aimait à balancer sa tête réjouie,
cette fleur, qu' épargnait le courroux des autans,
dont le sein amoureux s' abreuvait de rosée,
va bientôt se flétrir sur sa tige brisée ! ...
ô ciel ! Qu' il est affreux, dans l' âge des plaisirs,
quand la beauté naissante éveille les désirs,
d' entrevoir, un moment, la pompe nuptiale,
et de fuir un époux dans la tombe fatale !
Ophélie, ah ! Du moins si le destin jaloux
avait permis qu' un fruit de ton doux hyménée,
qu' un rejeton d' amour, bercé sur tes genoux,
consolât de Gilfort la vie infortunée !
Mais tu descends entière auprès de tes aïeux :
un fils n' ira jamais, à côté de son père,
arroser ton cercueil de pleurs religieux,
et demander au ciel le bonheur d' une mère ! ...
mais la religion lui prête son secours ;
elle voit sans regret, à la fleur de ses jours,
s' évanouir l' éclat de la grandeur suprême.
La foudre a, sur son front, brisé le diadême ;
des fers chargent ses mains : amour, gloire, trésors,
elle perd tout : eh bien ! Son courage est le même,

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et son coeur est heureux puisqu' il est sans remords.
Au fond d' un noir cachot, vers le ciel qu' elle implore
élevant ses beaux yeux, où brille la ferveur,
elle tombe à genoux : " Dieu clément, que j' adore,
dit-elle, à ta bonté s' adresse ma douleur.
C' est toi qui fais passer de l' ombre à la lumière,
de la vie à la mort, du trône à la chaumière ;
tu peux tout, et je sais que le sort des humains,
leurs peines, leurs plaisirs reposent dans tes mains :
ne m' abandonne pas au jour de l' infortune ;
arbitre des mortels, ne crains pas que mon coeur,
élevant jusqu' à toi sa prière importune,
te redemande encor le sceptre et le bonheur :
frappe, je te bénis ; mais épargne mon père,
mais d' un époux chéri détourne ta colère. "
elle dit : vers les cieux prenant un libre essor,
l' ange de l' espérance emporte sa prière.
Le sommeil tout-à-coup vient fermer sa paupière,
et l' asseoir sous un dais brillant de pourpre et d' or ;
d' un cortége pompeux elle est environnée ;
un peuple adorateur se presse sur ses pas,
et sa fière rivale, à ses pieds amenée,
attend, en frémissant, l' arrêt de son trépas :
mais la jeune beauté ne connaît point la haine,
et veut, par des bienfaits enchaîner tous les coeurs.
Elle presse Marie entre ses bras vainqueurs,
dans son abaissement voit encore une reine,
et lui fait partager les suprêmes honneurs.

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L' aube alors s' avançait de roses couronnée ;
Ophélie, en ces lieux, consacrés à la mort,
comme aux jours de bonheur, se tourne vers Gilfort :
mais du songe charmant elle est abandonnée ;
des fers et l' échafaud, voilà quel est son sort.
Tout-à-coup, ô vengeance ! ô terreur imprévue !
Son cachot s' est ouvert. Ceinte de cheveux blancs,
une tête hideuse épouvante sa vue,
tombe, bondit, et roule à ses pieds chancelants.
Ah ! Ce fatal aspect accable son courage :
voilà de son aïeul le front majestueux !
Quoi ! Marie a donc pu, dans l' excès de sa rage,
tremper ses mains au sang d' un vieillard vertueux ! ...
ô ciel ! Et si l' objet de sa flamme constante,
si Gilfort, maintenant sous le glaive assassin....
une invincible horreur fait palpiter son sein.
Tandis que dans les pleurs, le deuil et l' épouvante
elle attend... tel qu' une ombre échappée au cercueil,
muet, pâle, couvert de longs habits de deuil,
devant elle Gilfort à l' instant se présente.
" Gilfort ! Ah ! Cher époux, enfin je te revois ;
la fureur de Marie.... " elle dit, et sans voix,
sans haleine, à ses pieds elle tombe expirante.
Gilfort tremble, pâlit et chancelle à son tour.
Il presse dans ses bras son épouse chérie,
et bientôt soulevant sa tête appesantie,
à travers un nuage et de pleurs et d' amour,
il voit briller encor les beaux yeux d' Ophélie.

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Elle a revu déjà la lumière et Gilfort ;
mais, en le retrouvant dans ces lieux pleins d' alarmes,
un noir pressentiment l' avertit de son sort.
" ah ! Ce n' est que sur toi que je verse des larmes !
Quel crime as-tu commis pour demander la mort ?
As-tu dicté des lois à la fière Tamise ?
D' une reine superbe as-tu bravé l' effort,
et porté la couronne à son orgueil promise ?
C' est moi, c' est mon amour qui t' entraîne au tombeau !
Sans ce fatal hymen, dont le courroux céleste
à la voix de ton père alluma le flambeau,
libre, heureux, étranger à mon destin funeste,
rien de ton avenir n' aurait troublé le cours ;
un bonheur éternel eût embelli tes jours...
mais que dis-je ? Mon sang doit suffire à la reine.
Jure de me survivre, et qu' au moins cet espoir,
à mon dernier moment, adoucisse ma peine...
ma bouche te l' ordonne et t' en fait un devoir. "
mais leur malheur bientôt passera leur attente,
et le ciel les réserve à des tourments nouveaux.
Un prêtre tout-à-coup devant eux se présente ;
il est accompagné de féroces bourreaux.
" j' exécute à regret les ordres de la reine :
madame, il faut mourir ; mais tremblez... votre époux
sous le fer suspendu doit périr avant vous...
ah ! De vos jours si beaux ne rompez pas la chaîne ;
abjurez les erreurs de vos faibles aïeux,
et d' une grande reine embrassez la croyance ;

p320

elle daigne à ce prix vous pardonner tous deux,
et vous combler des dons de sa magnificence.
Dites un mot, le sort va sourire à vos voeux. "
ô puissances du ciel, soutenez Ophélie !
Relevez sa constance un moment affaiblie !
à genoux, et les bras vers le ciel étendus,
elle prie. ô bonheur ! Ses voeux sont entendus.
Son oeil majestueux d' un feu pur étincelle ;
dans tous ses traits éclate une noble fierté ;
elle semble s' unir à la divinité,
et commencer déjà sa carrière immortelle.
C' en est fait, dans son coeur il n' est plus de combats ;
calme et s' abandonnant au zèle qui l' anime :
" si ce n' est qu' à ce prix qu' on sauve la victime,
et si le déshonneur " .... elle n' achève pas.
Gilfort désespéré s' élance dans ses bras,
et brûle d' étouffer son dessein magnanime.
" cruelle ! Lui dit-il, ah ! Si je te fus cher,
si tu m' aimas jamais, arme-toi, prends ce fer,
plonge-le dans mon sein : épargne à ma tendresse
l' aspect du coup fatal qui doit trancher tes jours !
Au nom de notre hymen, par nos jeunes amours,
qu' à ton propre destin la pitié t' intéresse !
Si rien ne peut fléchir ton courage insensé,
songe, songe du moins à ton malheureux père,
et qu' un reste de sang, dans ses veines glacé,
ne vienne point rougir la hache meurtrière.
Mais pourquoi te parler d' un père, d' un époux ?

p321

Ton insensible coeur à leurs voeux se refuse.
Ophélie, ah ! Reviens de l' erreur qui t' abuse !
Sauve ton père et toi ; mon sort sera trop doux. "
il achevait ces mots : chancelant, hors d' haleine,
s' avance, l' oeil en pleurs, un débile vieillard ;
chargé d' ans et de maux, il se soutient à peine.
Il jette sur sa fille un douloureux regard,
et d' une voix tremblante : " ô fille infortunée !
Ce n' est point pour sauver quelques jours languissants
que ma vieillesse en deuil, vers la tombe entraînée,
au milieu des sanglots, t' adresse ces accents ;
mais laisse-toi fléchir ; prends pitié de toi-même :
par ces cheveux blanchis, ces regrets paternels,
au nom d' un peuple entier qui gémit et qui t' aime,
n' appelle plus la mort par tes voeux criminels ! "
il dit, et dans ses pleurs sa faible voix expire.
Ophélie à ses pleurs oppose un front serein ;
le calme est sur ses traits quand son coeur se déchire.
Mais le dieu qu' elle implore affermit son dessein,
et lui montre déjà les palmes du martyre.
" cessez de m' arrêter sur les bords du tombeau,
dit-elle ; l' heure sonne, il faut quitter la vie.
Osez me plaindre encor, lorsque pour Ophélie
de l' immortalité s' allume le flambeau !
Adieu, ne pleurez pas celle qui vous fut chère.
Dans un monde nouveau j' emporte votre amour ;
cet espoir me soutient au bout de ma carrière,
et la mort est pour moi l' aurore d' un beau jour.

p322

Mon sang doit apaiser ma superbe ennemie.
ô vous de ses fureurs ministres rigoureux,
dites-lui que mon nom échappe à l' infamie,
et que j' ai su garder la foi de mes aïeux ;
qu' elle jouisse en paix des fruits de sa conquête ;
je bénis son courroux ; il avance pour moi
le moment de m' unir à mon souverain roi.
Faites briller le fer... frappez ; voilà ma tête. "

VUE D'UN CIMETIERE DE CAMPAGNE



p323

au mois de mai.
Le mois voluptueux, par nos champs attendu,
sur l' aile des zéphyrs du ciel est descendu :
il s' avance, il sourit à la nature entière :
ses longs cheveux, tressés de fleurs et de lumière,
exhalent, dans les airs, les parfums les plus doux,
la terre, avec transport, reçoit son jeune époux,
et laisse au loin flotter, sur le lit d' Hyménée,
sa robe d' émeraude aux vents abandonnée.
Les arbres, entourés de festons éclatants,
balancent à la fois leurs panaches flottants :
tout s' éveille, tout rit d' amour et d' allégresse,
et pourtant je ne sais quelle vague tristesse
de ces riants berceaux semble éloigner mes pas ;
mes yeux sont satisfaits et mon coeur ne l' est pas.
Le jour fuit..... approchons de ce temple rustique,
dont la mousse et les ans ont noirci le portique.

p324

Le soleil qui s' éteint, sur les sombres vitraux,
verse la pourpre et l' or de ses feux inégaux.
Quel silence ! Observons cette enceinte profonde,
seul avec ma pensée et le maître du monde.
C' est là que des étés redoutant la fureur,
à genoux et priant, le pauvre laboureur
au sort de ses moissons intéresse Dieu même ;
et ses voeux écoutés par le juge suprême,
montent, comme l' encens, au palais éternel.
Quand du septième jour le repos solennel,
proclamé par l' airain, règne dans ces campagnes,
suivis de leurs enfants, suivis de leurs compagnes,
tous ces bons villageois, la paix au fond du coeur,
viennent prêter l' oreille au discours du pasteur,
qui des simples vertus leur retraçant l' image,
à d' un ange du ciel la voix et le langage ;
sa parole nourrit la veuve et l' orphelin.
Mais bientôt, revêtu de son habit de lin,
il unit, par les noeuds d' une propice chaîne,
le couple qu' à ses pieds un chaste amour amène ;
une pompe charmante alors pare ces lieux ;
des festons enlacés par un zèle pieux
serpentent sur les murs du champêtre édifice.
Belle de ses quinze ans, fraîche sans artifice,
et baissant vers la terre un front plein de candeur,
la jeune amante espère et rougit de pudeur ;
un bandeau fastueux n' entoure point sa tête ;
elle n' apporte pas à cette simple fête

p325

un trésor bien souvent par le crime obtenu,
sans richesse, elle a tout : sa dot est la vertu.
Allez, heureux amants, couple toujours fidèle,
d' un hymen sans nuage offrez-nous le modèle.
Que l' ange du seigneur, vous prenant par la main,
puisse de votre vie aplanir le chemin,
jusqu' à l' heure où la mort.... mais, triste et solitaire,
d' où peut venir en moi ce trouble involontaire ?
La mort ! ... son vaste enclos près du temple s' étend ;
je veux à mes regrets m' y livrer un instant.
L' if et le pin funèbre, associant leurs ombres,
jusqu' au pied des tombeaux m' ouvrent des routes sombres.
Non loin de moi, des fleurs, des arbres, des ruisseaux
confondent leurs parfums, leurs feuillages, leurs eaux ;
des chantres du printemps la foule réunie
anime les bosquets d' une douce harmonie ;
la sève de la vie, en rapides torrents,
court inonder les bois, les vallons odorants ;
la colombe gémit sous la verte ramée.
Entendez-vous au loin, dans la plaine embaumée ;
les génisses beugler, et mugir les troupeaux ? ...
là tout est mouvement, ici tout est repos.
à peine un vent léger ride, par intervalle,
l' herbe haute couvrant la pierre sépulcrale.
Tout se tait, rien ne veille, et mon souffle et mes pas
troublent seuls le silence et le deuil du trépas.
Habitants de ces lieux, quel sommeil vous enchaîne !
Hélas ! En ce moment, et le mont et la plaine,

p326

et ces bois que l' hiver naguère, en son courroux,
avait sous les frimas endormis comme vous,
et ces fleurs dont l' éclat venait de disparaître,
tout s' éveille, se pare, et prend un nouvel être.
Et vous jadis les rois de ce vaste univers,
vous ne partagez plus tant de bienfaits divers ;
vous ne soulevez pas cette pierre immobile,
qui presse de son poids votre couche d' argile.
Homme, songe de gloire et de félicité,
c' est donc là que finit ta vaine autorité ?
Du moins ceux qu' à mes pieds le sommeil environne,
n' ont pas à regretter l' éclat d' une couronne.
Un pain noir et grossier composait leur festin,
et leur trépas sans doute embellit leur destin :
la paix est avec eux ; les remords, les alarmes
de leurs derniers moments n' ont pas troublé les charmes.
Illustres inconnus, bénissez votre sort ;
heureux qui, comme vous, obscurément s' endort ;
de vos humbles vertus la récompense est prête.
Le ciseau du sculpteur, la lyre du poëte,
de vos jours disparus fêtant le souvenir,
n' ont pas à votre gloire attaché l' avenir.
Mais vous vivez au coeur d' une épouse éplorée ;
comme celle des rois votre cendre est sacrée ;
vous n' avez point péri sur des bords étrangers.
C' est au sein de vos champs, non loin de vos vergers,
et du toit où votre oeil s' ouvrit à la lumière,
que repose aujourd' hui votre froide poussière.

p327

Vos membres, pour jamais de douleurs affranchis,
pressent de vos aïeux les ossements blanchis.
Tous les ans, quand l' automne et l' humide froidure
dépouillent les coteaux d' un reste de verdure,
vos enfants, vos amis, penchés sur vos tombeaux,
vous apportent des pleurs et des regrets nouveaux ;
leur foi pure et sincère est sans doute exaucée....
plein de ces grands objets, ma rêveuse pensée
au départ du soleil ne songe point encor.
Son disque, enseveli dans un nuage d' or,
de ses derniers rayons a salué la plaine :
de la mort, à mon tour, saluons le domaine.

JOB, POËME LYRIQUE




p331

Long-temps monarque heureux, père, époux adoré,
de l' orient soumis Job reçut les hommages :
nul monarque jamais, de sa gloire entouré,
ne vit autant de jours se lever sans nuages.
L' infortune eut son tour : mille fléaux divers
au sein de ses états confondent leurs ravages ;
la guerre, au vol sanglant, plane sur ses rivages ;
la famine la suit ; les cieux toujours ouverts
vomissent la tempête, et la grêle, et la foudre.
Le roi de l' Orient, accablé de revers,
sous les feux éternels voit ses cités en poudre.
Des sables de Lybie accourt un vent mortel :
tout tombe, se flétrit sous son impure haleine ;
la mort couvre de deuil et le mont et la plaine....
l' homme n' a plus d' asile, et Dieu n' a plus d' autel.
Du fléau dévorant Job est atteint lui-même.
Une lèpre hideuse enveloppe son corps ;
le mal de son courage a brisé les ressorts ;
contre le roi des rois il s' emporte et blasphême.

p332

Seul, en cris furieux exhalant ses douleurs,
il se traîne, il s' assied sur un fumier immonde,
et, tournant vers les cieux son oeil mouillé de pleurs,
il insulte, en ces mots, à l' arbitre du monde :
" l' épouvante et la mort environnent mes pas ;
pour jamais l' espérance à mon coeur est ravie :
impitoyable Dieu, que je ne connais pas,
t' avais-je demandé le présent de la vie ? "
il achevait ces mots ; un éclair pâlissant
vient luire, tout-à-coup, à sa vue alarmée ;
il entend une voix ; la voix du tout-puissant
tonne et sort en courroux de la nue enflammée.
Qui blâme insolemment ma justice et ma loi ?
D' où partent ces clameurs ? Quel mortel téméraire
du sein de son néant s' élève jusqu' à moi,
et de mes volontés veut sonder le mystère ?
Toi qui me condamnais, ose m' envisager ;
soutiens, si tu le peux, l' éclat qui m' environne ;
prête l' oreille, Job, Dieu va t' interroger ;
et, si tu me réponds, ma bonté te pardonne.
Que faisais-tu le jour où naquit l' univers ?
Est-ce toi qui, porté sur un trône d' éclairs,
des ombres du chaos où sommeillaient les mondes,
fis jaillir la lumière, et les vents et les ondes ;
dont la main suspendit à la voûte des cieux
ces lustres d' or flottants, ces anneaux radieux ;
toi qui dis à la mer : respecte tes limites ;
aux astres de la nuit : roulez dans vos orbites ;

p333

au printemps : couvre-toi de fleurs et de festons ;
à l' été : fais éclore et mûrir les moissons ;
à l' automne : de fruits compose ta ceinture ;
à l' hiver : dors en paix sur un lit de froidure ?
Es-tu maître des cieux ? à l' horizon vermeil,
au bord du firmament qu' un éclat pur colore,
sur un trône d' opale assieds-tu le soleil,
et dans son lit de pourpre éveilles-tu l' aurore ?
Es-tu l' artisan des chaleurs ?
Sur la terre fertilisée
fais-tu descendre les vapeurs
et les perles de la rosée ?
échappé tout-à-coup de l' antre des hivers,
ton souffle d' un voile de glace
enveloppe-t-il la surface
des ruisseaux vagabonds et des bruyantes mers ?
Montes-tu sur les vents ? Peux-tu dans les nuages
cacher ton front majestueux ?
Au seul bruit de ta voix le nord impétueux
ouvre-t-il, en grondant, l' arsenal des orages ?
Devant les pâles matelots
fais-tu reculer la tempête ?
Tes pieds marchent-ils sous les flots,
quand les flots grondent sur ta tête ?
Ton oeil connaît-il les trésors
que la mer couvre de ses ombres ?

p334

Vivant, de l' empire des morts
as-tu franchi les routes sombres ?
Si l' homme, à mes pas attaché,
a vu s' animer la matière,
et dans les champs de la lumière
resplendir le monde ébauché,
il doit savoir en quelles plaines
l' obscurité tient son séjour,
et sur quelles rives lointaines
est assi le berceau du jour.
Quelle main forge le tonnerre,
sur des ailes de feu balance les éclairs,
et sous les éléments, divisés par la guerre,
fait frémir et trembler les airs ?
Au milieu d' une nuit profonde
qui hérissa les cheveux flamboyants
de la comète vagabonde ?
Qui déploya sa queue en replis ondoyants,
de ton pouvoir fatale messagère,
ceinte d' épouvante et d' horreur,
va-t-elle aux nations parler de ta colère,
et sur le front des rois secouer la terreur,
mais peut-être c' est toi qui rafraîchis les plaines,
qui verses les torrents de la fertilité ;
en gerbes de cristal fais jaillir les fontaines,
tempères au midi les ardeurs de l' été ;

p335

toi qui, de mes secrets heureux dépositaire,
dans un désert aride, inconnu des humains,
sur le sommet d' un roc fécondé par tes mains,
offres à l' oeil du jour la rose solitaire ?
Nomme celui dont le savoir
enseigne aux oiseaux leur langage ;
dont le mystérieux pouvoir,
du paon étoile le plumage,
le nuance d' or et d' azur,
et sur sa tête triomphante
place une aigrette éblouissante
qui rayonne aux feux d' un jour pur.
Lève-toi dans ta force, et commande aux étoiles
d' illuminer le firmament.
Homme insensé ! Fantôme d' un moment !
Dis à la sombre nuit de déployer ses voiles ;
ou, contre l' univers justement irrité,
fais mugir les volcans, soulève les tempêtes,
tonne sur les pervers, et fais pencher leurs têtes
comme l' épi par les vents agité.
Suis dans son vol l' aigle superbe :
elle ffront l' éclat d' un soleil radieux,
plane dans ses rayons, et, du sommet des cieux,
démêle un ver rampant sous l' herbe.

p336

Quand les nuages pluvieux
attristent le front de l' année,
à l' hirondelle fortunée
permets-tu de changer de lieux ?
Elle vole en d' autres contrées
où les zéphires caressants
de leurs haleines tempérées
parfument les gazons naissants ;
la paix escorte ses voyages,
et dans mille climats nouveaux
pour elle croissent des feuillages,
et murmurent de clairs ruisseaux.
Vois le cheval guerrier : le clairon du carnage
frappe-t-il l' air d' un bruit qui plaît à son courage,
le feu roule et jaillit de ses nazeaux fumants ;
l' écho lointain répond à ses hennissements :
vois son oeil réfléchir les éclairs de ta lance.
Sous ta main qui le guide il frémit, il s' élance ;
il court, les crins épars ; la poudre des sillons
sous ses pieds belliqueux s' envole en tourbillons :
insensible au trépas qui partout le menace,
il perd des flots de sang sans perdre son audace ;
il cède, il tombe enfin, mais sans se démentir ;
et son soupir de mort est son premier soupir.
As-tu réglé dans ta sagesse

p337

quel nombre de jours et de mois
la biche, malgré sa faiblesse,
du fardeau maternel peut supporter le poids ?
Exempts des misères humaines,
à peine leurs yeux sont ouverts,
ses petits vont bondir sous les ombrages verts,
ou se désaltérer dans les sources prochaines.
Va sur les bords du Nil qu' entourent les roseaux ;
suspends à la ligne mordante
l' énorme crocodile habitant de ses eaux.
Sur le sable, à tes pieds, vois sa rage expirante.
Fuis plutôt si tu crains la mort....
le héros devant lui sent fléchir son audace ;
il n' ose réveiller le monstre qui s' endort,
et du fleuve sacré couvre au loin la surface :
mais s' il se dresse sur les flots,
quel guerrier de Memphis, nourri dans les batailles,
put jamais de son sang teindre ses javelots,
et porter en triomphe une de ses écailles ?
Rempart impénétrable, il brave le trépas ;
sur ses membres d' acier le fer vole en éclats,
la flèche rejaillit... lorsque la foudre gronde
son oreille en aime le bruit :
la tempête le réjouit,
et d' un cri d' allégresse il fait retentir l' onde.
Dans l' univers cherche mon bienfaiteur :

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qu' il se montre celui dont la main souveraine
m' offre dans l' esclavage un appui protecteur,
et sans effort brise ma chaîne.
Jette les yeux autour de toi ;
les fleuves, les vallons, les ruisseaux, les prairies,
les bois épais, les collines fleuries,
tout m' appartient ; le jour et la nuit sont à moi.
Debout, au sein de la lumière,
je règne sur tous les climats ;
et les astres sont la poussière
qu' avec dédain foulent mes pas,
je suis l' auteur de la nature ;
le destin est ma volonté ;
l' espace me sert de ceinture,
et mon âge est l' éternité.
Mortel, que je viens de confondre,
toi qui blasphêmais ma bonté,
maintenant ose me répondre ! "
Dieu se tait, et les cieux frémissent à sa voix.
Job reconnut sa faute, et des larmes amères
s' échappant de ses yeux, attestent à la fois
sa honte et ses regrets sincères.
" ô Dieu que j' offensais, pardonne à mon erreur ;
de mon coupable orgueil je vois trop la démence.
Mais quand ta seule voix me glace de terreur,
fais jusqu' à mon néant descendre ta clémence.

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Dans le deuil et les pleurs, soumis à mon devoir,
je nourrirai sans cesse un remords salutaire ;
est-ce au faible mortel à sonder ton pouvoir ?
Il doit t' adorer et se taire. "