Maurice Maeterlinck (1862-1949) Attente Mon âme a joint ses mains étranges À l'horizon de mes regards; Exau cez mes rêves épars Entre les lévres de vos angers! En attendant sous mes yeux las, Et sa bouche ouverte aux prières Eteintes entre mes paupières Et dont les lys n'eclosent pas; Elle apaise au fond de mes songes, Ses seins effeuillés sous mes cils Et ses yeux clignent aux périls Eveillés au fil des mensonges. L'infidèle Et s'il revenait un jour, que faut-il lui dire? Dites-lui qu'on l'attendit jusqu'à s'en mourir. Et s'il m'interroge encore sans me reconnaître? Parlez-lui comme une soeur. Il souffre peut-être. Et s'il demande où vous êtes, que faut-il répondre? Donnez-lui mon anneau d'or, sans rien lui répondre. Et s'il veut savoir pourquoi la salle est déserte? Montrez-lui la lampe éteinte et la porte ouverte. Et s'il m'interroge alors sur la dernière heure? Dites-lui que j'ai souri de peur qu'il ne pleure! Serres Chaudes 1. Serre Chaude O serre au milieu des forêts! Et vos portes à jamais closes! Et tout ce qu'il y a sous votre coupole! Et dans mon âme en vos analogies! Les pensées d'une princesse qui a faim, L'ennui d'un matelot dans le désert, Une musique de cuivreaux fenêtres des incurables. Allez aux angles les plus tièdes! On dirait une femme évanouie un jour de moisson, Il y a des postillons dans la cour de l'hospice. Au loin passe un chasseur d'élan devenu infirmier Examinez au clair de lune. Oh! rien n'y est à sa place. On dirait une folle devant les juges, Un navire de guerre à pleines voiles Sur un canal des oiseaux de nuit sur des lis Un glas vers midi (Là-bàs sous ces cloches!) Une étape de malades dans la prairie Une odeur d'éther un jour de soleil Mon Dieu! Mon Dieu! Quand aurons-nous la pluie Et la neige et le vent dans la serre! 2. Serre d'ennui O cet ennui bleu dans le coeur! Avec la vision meilleure, Dans le clair de lune qui pleure, De mes rêves bleus de langueur! Cet ennui bleu comme la serre, Où l'on voit closes à travers Les vitrages profonds et verts, Couvertes de lune et de verre Les grandes végétations Dont l'oubli nocturne s'allonge, Immobilement comme un songe Sur les roses des passions. Où de l'eau très lente s'élève En mélant la lune et le ciel En un sanglot glauque éternel Monotonement comme un rêve. 3. Lassitude Ils ne savent plus où se poser ces baisers, Ces lèvres sur des yeux aveugles et glacés; Désormais endormis en leur songe superbe, Ils regardent rêveurs comme des chiens dans l'herbe, La foule des brebis grises à l'horizon Brouter le clair de lune épars sur le gazon. Aux caresses du ciel, vague comme leur vie, Indifférent et sans une flamme d'envie Pour ces roses de joie écloses sous leurs pas Et ce long calme vert qu'ils ne comprennent pas. 4. Fauves Las O les passions en allées, Et les rires et les sanglots! Malades et les yeux miclos Parmi les feuilles effeuillées, Les chiens jaunes de mes péchés, Les hyènes louches de mes haines Et sur l'ennui pâle des plaines Les lions de l'amour couchés! En l'impuissance de leur rêve Et languides sous la langueur De leur ciel morne et sans couleur Elles regarderont sans trève Les brebis des tentations S'éloigner lentes un à une En l'immobile clair de lune Mes immobiles passions! 5. Oraison Vous savez, Seigneur, ma misère! Voyez ce que je vous apporte Des fleurs mauvaises de la terre Et du soleil sur une morte... Voyez aussi ma lassitude, La lune éteinte et l'aube noire; Et fécondez ma solitude En l'arrosant de votre gloire. Ouvrez-moi, Seigneur, votre voie, Eclairez mon âme lasse Car la tristesse de ma joie Semble de l'herbe sous la glace. Reflets Sous l'eau du songe qui s'élève Mon âme a peur, mon âme a peur. Et la lune luit dans mon coeur plongé Dans les sources du rêve! Sous l'ennui morne des roseaux. Seul le reflet profond des choses, Des lys, des palmes et des roses Pleurent encore au fond des eaux. Les fleurs s'effeuillent une à une Sur le reflet du firmament. Pour descendre, éternellement Sous l'eau du songe et dans la lune.