François de MALHERBE (1555-1628) A la reine mère du roi pendant sa régence Objet divin des âmes et des yeux, Reine, le chef-d'oeuvre des cieux : Quels doctes vers me feront avouer Digne de te louer ? Les monts fameux des vierges, que je sers Ont-ils des fleurs en leurs déserts, Qui s'efforçant d'embellir ta couleur, Ne ternissent la leur ? Le Thermodon a su seoir autrefois, Des reines au trône des rois : Mais que vit-il par qui soit débattu Le prix à ta vertu ? Certes nos lis, quoique bien cultivés, Ne s'étaient jamais élevés Au point heureux où les destins amis Sous ta main les ont mis. A leur odeur l'Anglais se relâchant, Notre amitié va recherchant : Et l'Espagnol, prodige merveilleux, Cesse d'être orgueilleux. De tous côtés nous regorgeons de biens : Et qui voit l'aise où tu nous tiens, De ce vieux siècle aux fables récité Voit la félicité. Quelque discord murmurant bassement Nous fit peur au commencement : Mais sans effet presque il s'évanouit, Plutôt qu'on ne l'ouït. Tu menaças l'orage paraissant : Et tout soudain obéissant, Il disparut comme flots courroucés, Que Neptune a tancés. Que puisses-tu, grand Soleil de nos jours, Faire sans fin le même cours : Le soin du Ciel te gardant aussi bien, Que nous garde le tien. Puisses-tu voir sous le bras de ton fils Trébucher les murs de Memphis : Et de Marseille au rivage de Tyr Son empire aboutir. Les voeux sont grands : mais avecque raison Que ne peut l'ardente oraison : Et sans flatter ne sers-tu pas les dieux, Assez pour avoir mieux ? Ballet de la reine la renommée au roi Pleine de langues et de voix, Ô Roi le miracle des rois Je viens de voir toute la terre, Et publier en ses deux bouts Que pour la paix ni pour la guerre Il n'est rien de pareil à vous. Par ce bruit je vous ai donné Un renom qui n'est terminé, Ni de fleuve, ni de montagne, Et par lui j'ai fait désirer A la troupe que j'accompagne De vous voir et vous adorer. Ce sont douze rares beautés, Qui de si dignes qualités Tirent un coeur à leur service, Que leur souhaiter plus d'appas, C'est vouloir avecque injustice Ce que les cieux ne peuvent pas. L'Orient qui de leurs aïeux Sait les titres ambitieux, Donne à leur sang un avantage Qu'on ne leur peut faire quitter Sans être issu du parentage, Ou de vous, ou de Jupiter. Tout ce qu'à façonner un corps Nature assemble de trésors, Est en elles sans artifice : Et la force de leurs esprits D'où jamais n'approche le vice, Fait encore accroître leur prix. Elles souffrent bien que l'amour Par elles fasse chaque jour Nouvelle preuve de ses charmes : Mais sitôt qu'il les veut toucher, Il reconnaît qu'il n'a point d'armes Qu'elles ne fassent reboucher. Loin des vaines impressions De toutes folles passions, La vertu leur apprend à vivre, Et dans la cour leur fait des lois Que Diane aurait peine à suivre Au plus grand silence des bois. Une reine qui les conduit De tant de merveilles reluit Que le Soleil qui tout surmonte, Quand même il est plus flamboyant, S'il était sensible à la honte, Se cacherait en la voyant. Aussi le temps a beau courir, Je la ferai toujours fleurir Au rang des choses éternelles : Et non moins que les immortels, Tant que mon dos aura des ailes, Son image aura des autels. Grand roi faites-leur bon accueil : Louez leur magnanime orgueil Que vous seul avez fait ployable : Et vous acquérez sagement Afin de me rendre croyable La faveur de leur jugement. Jusqu'ici vos faits glorieux Peuvent avoir des envieux : Mais quelles âmes si farouches Oseront douter de ma foi, Quand on verra leurs belles bouches Les raconter avecque moi ? C'est assez, mes désirs, ... C'est assez, mes désirs, qu'un aveugle penser, Trop peu discrètement vous ait fait adresser Au plus haut objet de la terre ; Quittez cette poursuite, et vous ressouvenez Qu'on ne voit jamais le tonnerre Pardonner au dessein que vous entreprenez. Quelque flatteur espoir qui vous tienne enchantés, Ne connaissez-vous pas qu'en ce que vous tentez Toute raison vous désavoue ? Et que vous m'allez faire un second Ixion, Cloué là-bas sur une roue, Pour avoir trop permis à son affection ? Bornez-vous, croyez-moi, dans un juste compas, Et fuyez une mer, qui ne s'irrite pas Que le succès n'en soit funeste ; Le calme jusqu'ici vous a trop assurés ; Si quelque sagesse vous reste, Connaissez le péril, et vous en retirez. Mais, ô conseil infâme, à profanes discours, Tenus indignement des plus dignes amours Dont jamais âme fut blessée ; Quel excès de frayeur m'a su faire goûter Cette abominable pensée, Que ce que je poursuis me peut assez coûter ? D'où s'est coulée en moi cette lâche poison, D'oser impudemment faire comparaison De mes épines à mes roses ? Moi, de qui la fortune est si proche des cieux, Que je vois sous moi toutes choses, Et tout ce que je vois n'est qu'un point à mes yeux. Non, non, servons Chrysante, et sans penser à moi, Pensons à l'adorer d'une aussi ferme foi Que son empire est légitime ; Exposons-nous pour elle aux injures du sort ; Et s'il faut être sa victime, En un si beau danger moquons-nous de la mort. Ceux que l'opinion fait plaire aux vanités, Font dessus leurs tombeaux graver des qualités, Dont à peine un Dieu serait digne ; Moi, pour un monument et plus grand et plus beau, Je ne veux rien que cette ligne : L'exemple des amants est clos dans ce tombeau. Dessein de quitter une dame qui ne le contentait que de promesse Beauté, mon beau souci, de qui l'âme incertaine A, comme l'Océan, son flux et son reflux, Pensez de vous résoudre à soulager ma peine, Ou je me vais résoudre à ne la souffrir plus. Vos yeux ont des appas que j'aime et que je prise. Et qui peuvent beaucoup dessus ma liberté : Mais pour me retenir, s'ils font cas de ma prise, Il leur faut de l'amour autant que de beauté. Quand je pense être au point que cela s'accomplisse Quelque excuse toujours en empêche l'effet ; C'est la toile sans fin de la femme d'Ulysse, Dont l'ouvrage du soir au matin se défait. Madame, avisez-y, vous perdez votre gloire De me l'avoir promis et vous rire de moi. S'il ne vous en souvient, vous manquez de mémoire, Et s'il vous en souvient, vous n'avez point de foi. J'avais toujours fait compte, aimant chose si haute, De ne m'en séparer qu'avecque le trépas ; S'il arrive autrement ce sera votre faute, De faire des serments et ne les tenir pas. Epitaphe de mademoiselle de Conty, Marie de Bourbon Tu vois, passant, la sépulture D'un chef-d'oeuvre si précieux, Qu'avoir mille rois pour aïeux Fut le moins de son aventure. L'experte main de la nature, Et le soin propice des cieux, Jamais ne s'accordèrent mieux A former une créature. On doute pourquoi les destins, Au bout de quatorze matins, De ce monde l'ont appelée. Mais leur prétexte le plus beau, C'est que la terre était brûlée S'ils n'eussent tué ce flambeau. Il n'est rien de si beau ... Il n'est rien de si beau comme Caliste est belle : C'est une oeuvre où Nature a fait tous ses efforts : Et notre âge est ingrat qui voit tant de trésors, S'il n'élève à sa gloire une marque éternelle. La clarté de son teint n'est pas chose mortelle : Le baume est dans sa bouche, et les roses dehors : Sa parole et sa voix ressuscitent les morts, Et l'art n'égale point sa douceur naturelle. La blancheur de sa gorge éblouit les regards : Amour est en ses yeux, il y trempe ses dards, Et la fait reconnaître un miracle visible. En ce nombre infini de grâces, et d'appas, Qu'en dis-tu ma raison ? crois-tu qu'il soit possible D'avoir du jugement, et ne l'adorer pas ? Laisse-moi ... Laisse-moi raison importune, Cesse d'affliger mon repos, En me faisant mal à propos Désespérer de ma fortune : Tu perds temps de me secourir, Puisque je ne veux point guérir. Si l'amour en tout son empire, Au jugement des beaux esprits, N'a rien qui ne quitte le prix A celle pour qui je soupire, D'où vient que tu me veux ravir L'aise que j'ai de la servir ? A quelles roses ne fait honte De son teint la vive fraîcheur ? Quelle neige a tant de blancheur Que sa gorge ne la surmonte ? Et quelle flamme luit aux cieux Claire, et nette comme ses yeux ? Soit que de ses douces merveilles, Sa parole enchante les sens, Soit que sa voix de ses accents, Frappe les coeurs par les oreilles, A qui ne fait-elle avouer Qu'on ne la peut assez louer ? Tout ce que d'elle on me peut dire, C'est que son trop chaste penser, Ingrat à me récompenser Se moquera de mon martyre : Supplice qui jamais ne faut Aux désirs qui volent trop haut. Je l'accorde, il est véritable : Je devais bien moins désirer : Mais mon humeur est d'aspirer Où la gloire est indubitable. Les dangers me sont des appas : Un bien sans mal ne me plaît pas. Je me rends donc sans résistance A la merci d'elle et du sort : Aussi bien par la seule mort Se doit faire la pénitence D'avoir osé délibérer, Si je la devais adorer. Madrigal Ma Crisante avec une foi Dont l'âge atteste l'innocence, M'a fait serment qu'en mon absence Elle aura mémoire de moi. Cette faveur si peu commune Me donne tant de vanité Qu'à la même divinité J'ose comparer ma fortune. Peut-être qu'elle me déçoit De m'assurer que cela soit, Mais si le tiens-je véritable Pour me garantir du trépas Qui me serait inévitable, Si je croyais qu'il ne fût pas. Paraphrase du psaume CXLV N'espérons plus, mon âme, aux promesses du monde ; Sa lumière est un verre, et sa faveur une onde Que toujours quelque vent empêche de calmer. Quittons ces vanités, lassons-nous de les suivre ; C'est Dieu qui nous fait vivre, C'est Dieu qu'il faut aimer. En vain, pour satisfaire à nos lâches envies, Nous passons près des rois tout le temps de nos vies A souffrir des mépris et ployer les genoux. Ce qu'ils peuvent n'est rien; ils sont comme nous sommes, Véritablement hommes, Et meurent comme nous. Ont-ils rendu l'esprit, ce n'est plus que poussière Que cette majesté si pompeuse et si fière Dont l'éclat orgueilleux étonne l'univers ; Et dans ces grands tombeaux, où leurs âmes hautaines Font encore les vaines, Ils sont mangés des vers. Là se perdent ces noms de maîtres de la terre, D'arbitres de la paix, de foudres de la guerre ; Comme ils n'ont plus de sceptre, ils n'ont plus de flatteurs ; Et tombent avec eux d'une chute commune Tous ceux que leur fortune Faisait leurs serviteurs. Quel astre malheureux ... Quel astre malheureux ma fortune a bâtie ? A quelles dures lois m'a le Ciel attaché, Que l'extrême regret ne m'ait point empêché De me laisser résoudre à cette départie ? Quelle sorte d'ennuis fut jamais ressentie Egale au déplaisir dont j'ai l'esprit touché ? Qui jamais vit coupable expier son péché, D'une douleur si forte, et si peu divertie ? On doute en quelle part est le funeste lieu Que réserve aux damnés la justice de Dieu, Et de beaucoup d'avis la dispute en est pleine : Mais sans être savant, et sans philosopher, Amour en soit loué, je n'en suis point en peine : Où Caliste n'est point, c'est là qu'est mon enfer. Sur la mort d'un gentilhomme qui fut assassiné Belle âme, aux beaux travaux sans repos adonnée, Si parmi tant de gloire et de contentement Rien te fâche là-bas, c'est l'ennui seulement Qu'un indigne trépas ait clos ta destinée. Tu penses que d'Yvry la fatale journée, Où ta belle vertu parut si clairement, Avecque plus d'honneur et plus heureusement Aurait de tes beaux jours la carrière bornée. Toutefois, bel esprit, console ta douleur ; Il faut par la raison adoucir le malheur, Et telle qu'elle vient prendre son aventure. Il ne se fit jamais un acte si cruel ; Mais c'est un témoignage à la race future, Qu'on ne t'aurait su vaincre en un juste duel.