ÉMILE NELLIGAN- POÈTE EXTRAITS L'ÂME DU POÈTE CLAIR DE LUNE INTELLECTUEL Ma pensée est couleur de lumières lointaines, Du fond de quelque crypte aux vagues profondeurs. Elle a l'éclat parfois des subtiles verdeurs D'un golfe où le soleil abaisse ses antennes. En un jardin sonore, au soupir des fontaines, Elle a vécu dans les soirs doux, dans les odeurs ; Ma pensée est couleur de lumières lointaines, Du fond de quelque crypte aux vagues profondeurs. Elle court à jamais les blanches prétentaines, Au pays angélique où montent ses ardeurs, Et, loin de la matière et des brutes laideurs, Elle rêve l'essor aux céleste Athènes. Ma pensée est couleur de lunes d'or lointaines. LE VAISSEAU D'OR Ce fut un grand Vaisseau taillé dans l'or massif : Ses mâts touchaient l'azur, sur des mers inconnues ; La Cyprine d'amour, cheveux épars, chairs nues, S'étalaient à sa proue, au soleil excessif. Mais il vint une nuit frapper le grand écueil Dans l'Océan trompeur où chantait la Sirène, Et le naufrage horrible inclina sa carène Aux profondeurs du Gouffre, immuable cercueil. Ce fut un Vaisseau d'Or, dont les flancs diaphanes Révélaient des trésors que les marins profanes, Dégoût, Haine et Névrose, entre eux ont disputés. Que reste-t-il de lui dans la tempête brève ? Qu'est devenu mon coeur, navire déserté ? Hélas! Il a sombré dans l'abîme du Rêve! LE JARDIN DE L'ENFANCE CLAVIER D'ANTAN Clavier vibrant de remembrance, J'évoque un peu des jours anciens, Et l'Éden d'or de mon enfance Se dresse avec les printemps siens, Souriant de vierge espérance Et de rêves musiciens... Vous êtes morte tristement, Ma Muse des choses dorées, Et c'est de vous qu'est mon tourment; Et c'est pour vous que sont pleurées Au luth âpre de votre amant Tant de musiques éplorées. LE BERCEAU DE LA MUSE De mon berceau d'enfant j'ai fait l'autre berceau Où ma Muse s'endort dans des trilles d'oiseau, Ma Muse en robe blanche, ô ma toute maîtresse ! Oyez nos baisers d'or aux grands soirs familiers... Mais chut ! j'entends déjà la mégère Détresse À notre seuil faisant craquer ses noirs souliers ! AMOURS D'ÉLITE RÊVE D'ARTISTE Parfois j'ai le désir d'une soeur bonne et tendre, D'une soeur angélique au sourire discret : Soeur qui m'enseignera doucement le secret De prier comme il faut, d'espérer et d'attendre. J'ai ce désir très pur d'une soeur éternelle, D'une soeur d'amitié dans le règne de l'Art, Qui me saura veillant à ma lampe très tard Et qui me couvrira des cieux de sa prunelle ; Qui me prendra les mains quelquefois dans les siennes Et me chuchotera d'immaculés conseils, Avec le charme ailé des voix musiciennes ; Et pour qui je ferai, si j'aborde à la gloire, Fleurir tout un jardin de lys et de soleils Dans l'azur d'un poème offert à sa mémoire. BEAUTÉ CRUELLE Certe, il ne faut avoir qu'un amour en ce monde, Un amour, rien qu'un seul, tout fantasque soit-il ; Et moi qui le recherche ainsi, noble et subtil, Voici qu'il m'est à l'âme une entaille profonde. Elle est hautaine et belle, et moi timide et laid : Je ne puis l'approcher qu'en des vapeurs de rêve. Malheureux ! Plus je vais, et plus elle s'élève Et dédaigne mon coeur pour un oeil qui lui plaît. Voyez comme, pourtant, notre sort est étrange ! Si nous eussions tous deux fait de figure échange, Comme elle m'eût aimé d'un amour sans pareil ! Et je l'eusse suivie en vrai fou de Tolède, Aux pays de la brume, aux landes du soleil, Si le Ciel m'eût fait beau, et qu'il l'eût faite laide ! LES PIEDS SUR LES CHENETS RÊVES ENCLOS Enfermons-nous mélancoliques Dans le frisson tiède des chambres, Où les pots de fleurs des septembres Parfument comme des reliques. Tes cheveux rappellent les ambres Du chef des vierges catholiques Aux vieux tableaux des basiliques, Sur les ors charnels de tes membres. Ton clair rire d'émail éclate Sur le vif écrin écarlate Où s'incrusta l'ennui de vivre. Ah ! puisses-tu vers l'espoir calme Faire surgir comme une palme Mon coeur cristallisé de givre ! SOIRS D'OCTOBRE - Oui, je souffre, ces soirs, démons mornes chers Saints. - On est ainsi toujours au soupçon des Toussaints. - Mon âme se fait dune à funèbres hantises. - Ah ! donne-moi ton front, que je calme tes crises. - Que veux-tu ? je suis tel, je suis tel dans ces villes, Boulevardier funèbre échappé des balcons, Et dont le rêve élude, ainsi que des faucons, L'Affluence des sots aux atmosphères viles. Que veux-tu ? je suis tel... Laisse-moi reposer Dans la langueur, dans la fatigue et le baiser, Chère, bien-aimée âme où vont les espoirs sobres... Écoute ! ô ce grand soir, empourpré de colères, Qui, galopant, vainqueur des batailles solaires, Arbore l'Étendard triomphal des Octobres ! VIRGILIENNES AUTOMNE Comme la lande est riche aux heures empourprées, Quand les cadrans du ciel ont sonné les vesprées ! Quels longs effeuillements d'angélus par les chênes ! Quels suaves appels des chapelles prochaines ! Là-bas, groupes meuglants de grands boeufs aux yeux glauques Vont menés par des gars aux bruyants soliloques. La poussière déferle en avalanches grises Pleines du chaud relent des vignes et des brises. Un silence a plu dans les solitudes proches : Des Sylphes ont cueilli le parfum mort des cloches. Quelle mélancolie ! Octobre, octobre en voie ! Watteau ! que je vous aime, Autran, ô Millevoye BERGÈRE Vous que j'aimai sous les grands houx, Aux soirs de bohème champêtre, Bergère, à la mode champêtre, De ces soirs vous souvenez-vous ? Vous étiez l'astre à ma fenêtre Et l'étoile d'or dans les houx. Aux soirs de bohème champêtre Vous que j'aimai sous les grands houx, Bergère, à la mode champêtre, Où donc maintenant êtes-vous ? - Vous êtes l'ombre à ma fenêtre Et la tristesse dans les houx. EAUX-FORTES FUNÉRAIRES LES VIEILLES RUES Que vous disent les vieilles rues Des vieilles cités ?... Parmi les poussières accrues De leur vétustés, Rêvant de choses disparues, Que vous disent les vieilles rues ? Alors que vous y marchez tard Pour leur rendre hommage : - « De plus d'une âme de vieillard Nous sommes l'image, » Disent-elles dans le brouillard, Alors que vous y marchez tard. « Comme d'anciens passants nocturnes « Qui longent nos murs, « En eux ayant les noires urnes « De leurs ans impurs, « S'en vont les Remords taciturnes « Comme d'anciens passants nocturnes. » Voilà ce que dans les cités Maintes vieilles rues Disent parmi les vétustés Des choses accrues Parmi vos gloires disparues, Ô mornes et mortes cités ! LE CERCUEIL Au jour où mon aïeul fut pris de léthargie, Par mégarde on avait apporté son cercueil ; Déjà l'étui des morts s'ouvrait pour son accueil, Quand son âme soudain ralluma sa bougie. Et nos âmes, depuis cet horrible moment, Gardaient de ce cercueil de grandes terreurs sourdes ; Nous croyions voir l'aïeul au fond des fosses lourdes, Hagard, et se mangeant dans l'ombre éperdument. Aussi quand l'un mourait, père ou frère atterré Refusait sa dépouille à la boîte interdite, Et ce cercueil, au fond d'une chambre maudite, Solitaire et muet, plein d'ombre, est demeuré. Il me fut défendu pendant longtemps de voir Ou de porter les mains à l'objet qui me hante... Mais depuis, sombre errant de la forêt méchante Où chaque homme est un tronc marquant mon souci noir, J'ai grandi dans le goût bizarre du tombeau, Plein de dédain de l'homme et des bruits de la terre, Tel un grand cygne noir qui s'éprend de mystère, Et vit à la clarté du lunaire flambeau. Et j'ai voulu revoir, cette nuit, le cercueil Qui me troubla jusqu'en ma plus ancienne année ; Assaillant d'une clé sa porte surannée J'ai pénétré sans peur en la chambre de deuil. Et là, longtemps je suis resté, le regard fou, Longtemps, devant l'horreur macabre de la boîte ; Et j'ai senti glisser sur ma figure moite Le frisson familier d'une bête à son trou. Et je me suis penché pour l'ouvrir, sans remord Baisant son front de chêne ainsi qu'un front de frère ; Et, mordu d'un désir joyeux et funéraire, Espérant que le ciel m'y ferait tomber mort. PETITE CHAPELLE CHAPELLE DANS LES BOIS Nous étions là deux enfants blêmes Devant les grands autels à franges, Où Sainte Marie et ses anges Riaient parmi les chrysanthèmes. Le soir poudrait dans la nef vide ; Et son rayon à flèche jaune, Dans sa rigidité d'icone Effleurait le grand Saint livide. Nous étions là deux enfants tristes Buvant la paix du sanctuaire, Sous la veilleuse mortuaire Aux vagues reflets d'améthyste. Nos voix en extase à cette heure Montaient en rogations blanches, Comme un angélus des dimanches, Dans le lointain qui prie et pleure... Puis nous partions... Je me rappelle ! Les bois dormaient au clair de lune, Dans la nuit tiède où tintait une Voix de la petite chapelle... PRIÈRE DU SOIR Lorsque tout bruit était muet dans la maison, Et que mes soeurs dormaient dans des poses lassées Aux fauteuils anciens d'aïeules trépassées, Et que rien ne troublait le tacite frisson, Ma mère descendait à pas doux de sa chambre ; Et, s'asseyant devant le clavier noir et blanc, Ses doigts faisaient surgir de l'ivoire tremblant La musique mêlée aux lunes de septembre. Moi, j'écoutais, coeur dans la peine et les regrets, Laissant errer mes yeux vagues sur le Bruxelles, Ou, dispersant mon rêve en noires étincelles, Les levant pour scruter l'énigme des portraits. Et cependant que tout allait en somnolence Et que montaient les sons mélancoliquement, Au milieu du tic-tac du vieux Saxe allemand, Seuls bruits intermittents qui coupaient le silence, La nuit s'appropriait peu à peu les rideaux Avec des frissons noirs à toutes les croisées, Par ces soirs, et malgré les bûches embrasées, Comme nous nous sentions soudain du froid au dos ! L'horloge chuchotant minuit au deuil des lampes, Mes soeurs se réveillaient pour gagner leur lit, Yeux mi-clos, chevelure éparse, front pâli, Sous l'assoupissement qui leur frôlait les tempes ; Mais au salon empli de lunaires reflets, Avant de remonter pour le calme nocturne, C'était comme une attente inerte et taciturne, Puis, brusque, un cliquetis d'argent de chapelets... Et pendant que Liszt les sonates étranges Lentement achevaient de s'endormir en nous, La famille faisait la prière à genoux Sous le lointain écho du clavecin des anges. PASTELS ET PORCELAINES FANTAISIE CRÉOLE Or, la pourpre vêt la véranda rose Au motif câlin d'une mandoline, En des sangs de soir, aux encens de rose, Or, la pourpre vêt la véranda rose. Parmi les eaux d'or des vases d'Égypte, Se fanent en bleu, sous les zéphirs tristes, Des plants odorants qui trouvent leur crypte Parmi les eaux d'or des vases d'Égypte. La musique embaume et l'oiseau s'en grise ; Les cieux ont mené leurs valses astrales ; La Tendresse passe au bras de la brise ; La musique embaume, et l'âme s'en grise. Et la pourpre vêt la véranda rose, Et dans l'Éden de sa Louisiane, Parmi le silence, aux encens de rose, La créole dort en un hamac rose. POTICHE C'est un vase d'Égypte à riche ciselure, Où sont peints des sphinx bleus et des lions ambrés : De profil on y voit, souple, les reins cambrés, Une immobile Isis tordant sa chevelure. Flambantes, des nefs d'or se glissent sans voilure Sur une eau d'argent plane aux tons de ciel marbrés : C'est un vase d'Égypte à riche ciselure Où sont peints des sphinx bleus et des lions ambrés. Mon âme est un potiche où pleurent, dédorés, De vieux espoirs mal peints sur sa fausse moulure ; Aussi j'en souffre en moi comme d'une brûlure, Mais le trépas bientôt les aura tous sabrés... Car ma vie est un vase à pauvre ciselure. VÊPRES TRAGIQUES MUSIQUES FUNÈBRES Quand, rêvant de la morte et du boudoir absent, Je me sens tenaillé des fatigues physiques, Assis au fauteuil noir, près de mon chat persan, J'aime à m'inoculer de bizarres musiques, Sous les lustres dont les étoiles vont versant Leur sympathie au deuil des rêves léthargiques. J'ai toujours adoré, plein de silence, à vivre En des appartements solennellement clos, Où mon âme sonnant des cloches de sanglots, Et plongeant dans l'horreur, se donne toute à suivre, Triste comme un son mort, close comme un vieux livre, Ces musiques vibrant comme un éveil de flots. Que m'importent l'amour, la plèbe et ses tocsins ? Car il me faut, à moi, des annales d'artiste ; Car je veux, aux accords d'étranges clavecins, Me noyer dans la paix d'une existence triste Et voir se dérouler mes ennuis assassins, Dans le prélude où chante une âme symphoniste. Je suis de ceux pour qui la vie est une bière Où n'entrent que les chants hideux des croquemorts, Où mon fantôme las, comme sous une pierre, Bien avant dans les nuits cause avec ses remords, Et vainement appelle, en l'ombre familière Qui n'a pour l'écouter que l'oreille des morts. Allons ! que sous vos doigts, en rythme lent et long Agonisent toujours ces mornes chopinades... Ah ! que je hais la vie et son noir Carillon ! Engouffrez-vous, douleurs, dans ces calmes aubades, Ou je me pends ce soir aux portes du salon, Pour chanter en Enfer les rouges sérénades ! Ah ! funèbre instrument, clavier fou, tu me railles ! Doucement, pianiste, afin qu'on rêve encor ! Plus lentement, plaît-il ?... Dans des chocs de ferrailles, L'on descend mon cercueil, parmi l'affreux décor Des ossements épars au champ des funérailles, Et mon coeur a gémi comme un long cri de cor !... LE BOEUF SPECTRAL Le grand boeuf roux aux cornes glauques Hante là-bas la paix des champs, Et va meuglant dans les couchants Horriblement ses râles rauques. Et tous ont tu leurs gais colloques Sous l'orme au soir avec leur chants. Le grand boeuf roux aux cornes glauques Hante là-bas la paix des champs. Gare, gare aux desseins méchants ! Belles en blanc, vachers en loques, Prenez à votre cou vos socques ! À travers prés, buissons tranchants, Fuyez le boeuf aux cornes glauques. TRISTIA LE LAC Remémore, mon coeur, devant l'onde qui fuit De ce lac solennel, sous l'or de la vesprée, Ce couple malheureux dont la barque éplorée Y vint sombrer avec leur amour, une nuit. Comme tout alentours se tourmente et sanglote ! Le vent verse les pleurs des astres aux roseaux, Le lys s'y mire ainsi que l'azur plein d'oiseaux, Comme pour y chercher une image qui flotte. Mais rien n'en a surgi depuis le soir fatal Où les amants sont morts enlaçant leurs deux vies, Et les eaux en silence aux grèves d'or suivies Disent qu'ils dorment bien sous leur calme cristal. Ainsi la vie humaine est un grand lac qui dort Plein, sous le masque froid des ondes déployées, De blonds rêves déçus, d'illusions noyées, Où l'Espoir vainement mire ses astres d'or. LA ROMANCE DU VIN Tout se mêle en un vif éclat de gaîté verte. Ô le beau soir de mai ! Tous les oiseaux en choeur, Ainsi que les espoirs naguères à mon coeur, Modulent leur prélude à ma croisée ouverte. Ô le beau soir de mai ! le joyeux soir de mai ! Un orgue au loin éclate en froides mélopées ; Et les rayons, ainsi que de pourpres épées, Percent le coeur du jour qui se meurt parfumé. Je suis gai ! je suis gai ! Dans le cristal qui chante, Verse, verse le vin ! verse encore et toujours, Que je puisse oublier la tristesse des jours, Dans le dédain que j'ai de la foule méchante ! Je suis gai ! je suis gai ! Dans le cristal qui chante, Verse, verse le vin ! verse encore et toujours, Que je puisse oublier la tristesse des jours, Dans le dédain que j'ai de la foule méchante ! Je suis gai ! je suis gai ! Vive le vin et l'Art !... J'ai le rêve de faire aussi des vers célèbres, Des vers qui gémiront les musiques funèbres Des vents d'automne au loin passant dans le brouillard. C'est le règne du rire et de la rage De se savoir poète et l'objet du mépris, De se savoir un coeur et de n'être compris Que par le clair de lune et les grands soirs d'orage ! Femmes ! je bois à vous qui riez du chemin Où l'Idéal m'appelle en ouvrant ses bras roses ; Je bois à vous surtout, hommes aux fronts moroses Qui dédaignez ma vie et repoussez ma main ! Pendant que tout l'azur s'étoile dans la gloire, Et qu'un hymne s'entonne au renouveau doré, Sur le jour expirant je n'ai donc pas pleuré, Moi qui marche à tâtons dans ma jeunesse noire ! Je suis gai ! Je suis gai ! Vive le soir de mai ! Je suis follement gai, sans être pourtant ivre !... Serait-ce que je suis enfin heureux de vivre ; Enfin mon coeur est-il guéri d'avoir aimé ? Les cloches ont chanté ; le vent du soir odore... Et pendant que le vin ruisselle à joyeux flots, Je suis si gai, si gai, dans mon rire sonore, Oh ! si gai, que j'ai peur d'éclater en sanglots ! PIÈCES RETROUVÉES RÊVE FANTASQUE Les bruns chêneaux altiers traçaient dans le ciel triste, D'un mouvement rythmique, un bien sombre contour ; Les beaux ifs langoureux, et l'ypran qui s'attriste Ombrageaient les verts nids d'amour. Ici, jets d'eau moirés et fontaines bizarres ; Des Cupidons d'argent, des plants taillés en coeur, Et tout au fond du parc, entre deux longues barres, Un cerf bronzé d'après Bonheur. Des cygnes blancs et noirs, aux magnifiques cols, Folâtrent bel et bien dans l'eau et sur la mousse ; Tout près des nymphes d'or - là-haut la lune douce ! - Vont les oiseaux en gentils vols. Des sons lents et distincts, faibles dans les rallonges, Harmonieusement résonnent dans l'air froid ; L'opaline nuit m arche, et d'alanguissants songes Comme elle envahissent l'endroit. Aux chants des violons, un écho se réveille ; Là-bas, j'entends gémir une voix qui n'est plus ; Mon âme, soudain triste à ce son qui l'éveille, Se noie en un chagrin de plus. Qu'il est doux de mourir quand notre âme s'afflige, Quand nous pèse le temps tel qu'un cuisant remords, - Que le désespoir ou qu'un noir penser l'exige - Qu'il est doux de mourir alors ! Je me rappelle encor... par une nuit de mai, Mélancoliquement tel que chantait le hâle ; Ainsi j'écoutais bruire au delà du remblai Le galop d'un noir Bucéphale. Avec ces vagues bruits fantasquement charmeurs Rentre dans le néant le rêve romanesque ; Et dans le parc imbu de soudaines fraîcheurs, Mais toujours aussi pittoresque, Seuls, les chêneaux pâlis tracent dans le ciel triste, D'un mouvement rythmique, un moins sombre contour ; Les ifs se balançant et l'ypran qui s'attriste Ombragent les verts nids d'amour. SALONS ALLEMANDS Je me figure encor ces grands salons muets Pleins de velours usés et d'aïeules pensives, De lustres vacillants éblouis des convives Qui tournaient dans la valse et les vieux menuets. Je repense aux portraits d'autrefois suspendus Sur le haut des foyers et qui semblaient nous dire Dans leur langue de mort : Vivants, pourquoi tant rire ? Et les beaux vers de Goethe aux soirs d'or entendus. J'évoque les tableaux flamands, et les artistes Qui songeaient en fumant dans leurs chaises tout tristes Et dont l'oeil se portait vers l'âtre hospitalier. Mais surtout et je pleure et ne sais que résoudre. Car voici que j'entends chanter sur l'escalier Le vieux ténor hongrois aux longs cheveux en poudre. POÈMES POSTHUMES LE TOMBEAU DE CHARLES BAUDELAIRE Je rêve un tombeau épouvantable et lunaire Situé par les cieux, sans âme et mouvement Où le monde prierait et longtemps luminaire Glorifierait mythe et gnôme sublimement. Se trouve-t-il bâti colloquialement Quelque part dans Illion ou par le planistère Le guenillou dirait un elfe au firmament Farfadet assurant le reste, planétaire ! Ô chantre inespéré des pays du soleil, Le tombeau glorieux de son vers dans pareil Sois un excerpt tombal au Charles Baudelaire. Je m'incline en passant devant lui pieusement Rêvant pour l'adorer un violon polaire Qui musicât ces vers et perpétuellement. SOIRS HYPOCONDRIAQUES Parfois je prends mon front blêmi Sous des impulsions tragiques Quand le clavecin a frémi, Et que les lustres léthargiques Plaquent leurs rayons sur mon deuil Avec les sons noirs des musiques. Et les pleurs mal cachés dans l'oeil Je cours affolé par les chambres Trouvant partout que triste accueil ; Et de grands froids glacent mes membres : Je cherche à me suicider Par vos soirs affreux, ô Décembres ! Anges maudits, veuillez m'aider !